Undertow ( Pv Abraham)

A en croire le soupir et le hochement de tête, il n’y aurait pas de second tour interrogatif. Etonnant. Il se pouvait aussi et surtout qu’Amaranth ait déchiffré certains éléments en lui tenant la main. Après tout, cela avait bien été défini comme un interrogatoire. L’obliger à rester là était sans conteste la raison première mais il se pouvait qu’elle ne soit pas la seule. C’était une option à explorer. De plus, elle n’avait rien dit à Caitlyn tout du long mais c’était cette dernière qui avait décidé de la suite de la soirée. Modes de communication particuliers ? Ce ne serait pas surprenant. Elles étaient toutes deux membres de X. Il pouvait concevoir qu’un système d’échanges ait été mis en place. Son unité en avait un, alors pourquoi pas. Et, non négligeable, il y avait le fait qu’elles étaient en couple. Là aussi, un langage propre pouvait s’installer. Il en avait fait l’agréable expérience.
Ou alors, il se plantait sur toute la ligne … mais il n’y croyait pas trop. La suite le conforterait probablement dans certaines de ses hypothèses. Il ferait le point tranquillement quand il rentrerait chez lui. Entier.

Abraham récupéra sa main avec un plaisir non feint tout en écoutant les excuses qui allaient avec. Il déplia et replia ses doigts lentement, comme pour vérifier leur état puis il replaça son alliance dans le bon sens. Tout le monde était ok. Il sourit doucement, mais avec sincérité, à la jeune femme, ne lui en tenant nullement rigueur.

« En d’autres temps ou d’autres occasions, cela aurait pu se passer autrement. Il est vrai que vous auriez pu me poser les questions directement sans entrave physique. Je ne me serai pas dérobé, ce n’est pas mon genre. Mais vous auriez également pu faire bien que ça. Au final, mon corps et mon esprit vont bien. C’est tout ce qui m’importe. »

Il resta debout et s’étira, dans un faible craquement sonore, alors que Caitlyn reprenait la parole. D’autres questions en fin de compte ? Ou peut-être pas. Il secoua doucement la tête aux excuses. Ce n’était pas de son fait si les événements étaient ainsi. Sauf s’il sous-estimait grandement son pouvoir et son influence. Même s’il n’était pas tout à fait d’accord sur la formulation de sa phrase, laissant croire que seuls les mutants vivaient une époque difficile, il n’en dit rien, n’en montra rien, restant tout aussi calme et serein qu’il l’avait été lors de son interrogatoire.
Il continuait de l’écouter, apprenant au fur et à mesure que son acolyte ponctuelle connaissait du beau monde. Les deux meilleures téléporteurs sur plusieurs univers, des mutants qui allaient et venaient dans le futur … remarque, les deux pouvaient être liés. Les réalités alternatives. Un sourire passa alors qu’il pensait à Ixas et Aiolos. Cet état de fait ne manquerait pas de leur être rapporté. L’idée leur plairait forcément et ils y adhéreraient aisément. Si lui-même y croyait déjà, il ne s’en préoccupait pas plus que ça. Il avait déjà bien assez à faire dans la sienne.
Il haussa un sourcil alors qu’il notait qu’elle était revenue au vouvoiement. C’était peut-être le cas depuis le début de sa reprise mais ça ne l’avait pas frappé. Pourquoi ? Le tutoiement faisait-il parti d’une manière de l’approcher ou quelque chose du genre ? Peut-être, après tout, pourquoi pas. Quant à réfléchir à ses actes et laisser sa conscience le guider … Il avouait volontiers qu’il n’avait pas toujours considéré les conséquences ce qu’il allait faire quand il prévoyait les 400 coups et que parfois, il avait clairement abusé. Bien que ça ne fasse pas tout et que ça ne l’excuse pas moins, il était jeune à l’époque. La découverte de son pouvoir l’avait calmé de façon assez radicale. Il avait appris à prendre le temps de se demander « Et après ? ». Quand il était entré dans l’armée, les actes étaient devenus moins anodins que des blagues douteuses d’adolescents. Et bien moins encore quand il avait rejoint l’unité spéciale d’Isaïah. La question restait toujours là, en suspens, et sa conscience le suivait docilement, s’interposant quand il le fallait.

« Je ne le veux pas plus que vous. Si jamais je commençais à dériver sérieusement et que vous vous en rendiez compte, n’hésitez surtout pas à m’en coller une bonne pour réaligner ce qui me resterait de neurones et de bon sens. Même s’il est probable que mon père s’en charge de lui-même … »

Léo avait les mots pour lui. Il savait très bien les manier et ce n’était jamais très agréable quand il commençait à démonter point par point votre comportement répréhensible. Son fils grimaça à quelques souvenirs déplaisants avant de secouer doucement la tête. Souriant à la main tendue, il l’accepta avec plaisir, y joignant la sienne.

« Un peu que nous allons le boire ce verre ! Manquerait plus qu’on rentre chacun chez soi avant ! Alors … »

Il relâcha la main de Caitlyn et regarda les alentours pour s’orienter rapidement. Il s’adressa ensuite aux deux jeunes femmes, toujours avec un souri ravi.

« Je ne suis donc pas allé plus loin que l’hôpital mais j’ai croisé quelques bars et cafés en venant jusqu’ici, certains ne sont pas loin. Nous pouvons y aller à pied. A moins que vous n’ayez déjà un lieu bien en tête ? »

Peu importe le choix, Abraham les accompagnera jusqu’à leur destination, passant le premier la porte mais leur tenant ensuite avant de demander une table pour trois quand la question sera immanquablement posée. Il ne prendra place qu’après leur propre installation, ne sachant si elles préféraient être assises face à face ou l’une à côté de l’autre.

Un sourire de la part de Caitlyn et je me retourne vers sa tristesse, acquiesçant à son hochement de tête avant de desserrer les doigts dans une même seconde, hésitante tout le reste de ce que je dois accomplir maintenant. Les troncs de mes ailes se baissent dans cette sincérité que je ne pourrais jamais cacher et je contemple encore quelques secondes mon aimée s’assombrir, se dégouter pour une raison que j’ignore, avant qu’elle se décrispe, me renvoyant au troisième parti auquel je refais face avec malaise et inquiétude ; malaise vis-à-vis de lui et inquiétude vis-à-vis d’elle.

- Hum, euh… désolée pour le petit piège. Et merci de votre coopération, fais-je en conservant aussi bien la voix que l’apparence de Nephilim, n’allant pas dévoiler ma véritable identité face à lui ; et puis Caitlyn aime bien la voix, si ça peut la distraire et la faire sourire c’est tant mieux.

Abraham récupère sa main avec joie, répliquant avec ce même élan pour répondre à des questions qui ne lui ont pas été posées ou donner des précisions sans grandes importances désormais ; ne pas immobiliser un téléporteur est une connerie que même du haut de mon inexpérience je ne ferais pas, quand bien même il est aussi honnête que se croit « Scotty », quand à le torturer, j’en suis incapable, même dans mes pires extrêmes. Quelques soient les circonstances ou les encouragements que je me serais donnés, ma meilleure capacité reste à détourner le regard, même lorsque je me laisse entièrement dominer par mes pulsions. Lui va bien, de corps et d’esprit, Caitlyn non, c’est ce qui m’importe à moi.

Ab'… Je ne suis pas désolée d'avoir eu à faire cela, je suis désolée cependant que les événements nous poussent à le faire, nous vivons une époque dangereuse et explosive… nous autres, les mutants. Je ne sais pas ce qu'il en est de votre organisation pour laquelle vos êtes sous contrat mais je veux juste vous dire cela…

Lentement, alors qu’elle parle, je viens me placer à son côté pour la prendre par le flanc, la serrant légèrement contre moi du bras et de l’aile. J’écoute son avertissement, un avertissement que je connais déjà et qui planera toujours comme cette Epée de Damoclès que c’est mais comme dit, je suis capable de m’aveugler au-delà du raisonnable et malgré une mémoire parfaite il ne m’est pas difficile d’occulter cela. Je détourne les yeux d’un massacre qui se passe pourtant tout autour de nous, au-delà d’un voile que je suis incapable de percevoir, et je me contente de me dire qu’il nous faut profiter de la vie, qu’il nous faut vivre, avant que des lendemains aussi hypothétiques arrivent, avant que l’on doive survivre. Je ne changerai pas le monde, j’y participerai peut-être et je crois qu’on peut le faire, mais ce n’est pas encore aujourd’hui que cela se fera. Il y aura des points de rupture mais c’est chaque jour que l’on devra travailler à les éviter, c’est chaque jour que l’on devra continuer notre route en évitant les précipices qui se trouvent sur les côtés. Beaucoup ont échoués à le faire mais ce n’est pas encore notre cas alors plus que nous donner perdants, essayons de partir gagnant. Je t’en parlerai, de cela, Caitlyn. Promis. A la maison, j’essaierai de te rassurer, de te faire positiver, je suis peut-être la plus maladroite de nous deux mais je suis la plus optimiste également.

Je te regarde lui tendre la main mais je ne peux sourire ; nous avons en effet l’opportunité de changer ce monde avec nos bonnes volontés, car en effet un cœur s’éduque et n’est jamais volontairement malfaisant. Mais il est des choses que je n’ai comprit, chez Abraham, comme ses sourires aux évocations des horreurs arrivées aux Réalités Alternatives, comme son interrogation face à aux suppliques de Caitlyn, suppliques prêtant à réflexion avant acquiescement ou réprobation. J’aurai aimé voir en ce verre un signe de paix, un signe de croyance, un signe d’avenir, mais je ne suis pas dans les pensées des gens et seuls leurs ressentis m’atteignent, ceux d’Abraham Lincoln Blackwood sont aussi mystérieux qu’inquiétant. Je ne baisserai pas ma garde, ce ne sera pas un bon moment avec une personne respectable, la mission continuera, longue et silencieuse veille alors que je jouerai un rôle social, aussi naturelle que possible sans oublier ce que je viens de voir ; il nous a battu, potentiellement. Et peut-être est-il un pas vers ces apocalypses que l’on craint, ils ne l’effraient pas et le réjouissent même, après tout. Pourtant il est sincère dans le fait qu’il ne veuille pas plus de cet avenir que nous, pourtant il nous demande explicitement de lui « en coller une bonne réaligner ce qui lui resterait de neurones et de bon sens », alors quoi ? Qu’est-ce qui m’échappe ?

L’évocation du père le fait grimacer, est-ce lié ? Il l’ignore bien vite pour répondre à cette main tendue avec cette même variation de joie. Mon ignorance n’a d’égal que mon aveuglement, parfois, même s’ils ne sont pas liés. Je ne fais même pas mine de lui retendre la main, il ne s’y attend même pas de toute façon. Il veut son verre alors qu’il serait peut-être effectivement plus sage qu’on rentre chacun chez nous. Est-ce un piège ? Je ne crois pas. Ou alors je suis obsolète. Je ne pense pas. Je n’espère pas. Je le crains. Mais pas par perte de capacité, plus pour avoir fait défaut à Caitlyn.

« Je ne suis donc pas allé plus loin que l’hôpital mais j’ai croisé quelques bars et cafés en venant jusqu’ici, certains ne sont pas loin. Nous pouvons y aller à pied. A moins que vous n’ayez déjà un lieu bien en tête ? »

Je me tourne vers Caitlyn sans rien dire, attendant son avis ; où qu’on aille j’attirerai les regards de part mes ailes et mes yeux qui resteront les unes comme les autres affichés pour ne pas me trahir plus que cela ne l’est déjà et ainsi il faudra trouver un endroit suffisamment tolérant. Après nous n’avons pas forcément faites beaucoup de sortie à Manhattan même si j’ai le plan de New York City entier en tête et que je suis capable de citer la totalité des bars des environs, ainsi que leur style. Je ne donnerai mon avis que si on me le demande, n’étant pas difficile tant que je suis assise à côté de (ou sur) mon aimée. Je ne compte pas la lâcher et je compte veiller sur elle, tant par rapport à elle-même que par rapport à lui ; on dit qu’une personne est innocente jusqu’à preuve du contraire, Abraham n’est pas innocent et c’est prouvé mais pas jusqu’à quel point il ne l’est pas. Il n’a rien d’agressif pour l’instant, il n’a jamais rien eu d’agressif, et soit c’est le meilleur acteur que j’ai jamais croisé soit nous resteront dans la normalité et je suis seule à psychoter pour rien. J’attendrais de voir.

C’est ainsi que je tends la main, en acceptant les autres jusqu’à ce qu’ils me trahissent suffisamment pour que je ne puisse plus pardonner, en essayant de les aider jusqu’à ce que j’échoue et cause plus de destruction que je n’ai réparé. Mais je n’abandonne jamais car on peut toujours pardonner, toujours réparer. Je l’ai apprit malgré moi. Mais c’est là de la théorie, il y aura toujours une différence avec la pratique.

Abraham, fraîchement rentré en taxi, accrocha sa veste sur le porte-manteau et quitta ses baskets, les laissant plus ou moins en vrac au milieu de leurs congénères qui, elles, étaient sagement ordonnées. Il s’avança alors vers la cuisine, extirpant une brique de jus de fruits du réfrigérateur et un verre d’un placard non loin. Il s’en servit une rasade avant de la boire d’un coup avant de commencer à se préparer un repas tout en repensant à la courte soirée qui contrastait avec le reste de la journée.

Caitlyn avait déclaré connaître un pub, ou quelque chose qui s’en approchait en tout cas, tenu par un couple d’irlandais non loin de l’hôpital. Pourquoi pas ? Il les avait suivies. Et à en croire l’accueil qu’elle avait reçu, elle y était déjà effectivement venue. Plusieurs fois s’il en jugeait la satisfaction de la dame qui avait vu passer un certain nombre d’hivers. Et s’ils étaient toujours là, elle savait tenir son affaire en tout cas. Peut-être reviendrait-il. Les lieux étaient agréables et chaleureux, il serait dommage de ne pas en profiter davantage.
Un peu l’inverse de leur discussion en fait. Il cassa des œufs dans un saladier avant de les battre. Non pas qu’elle ait été froide et insupportable, juste d’une neutralité à toute épreuve même si lui avait continué de sourire, content de boire enfin ce verre. Chacun avait évité d’en dire trop … sauf que lui, c’était uniquement parce qu’Amaranth et Caitlyn avaient poursuivi ainsi. Principe de l’échange équivalent. Il ne voyait pas pourquoi il donnerait des détails sur sa vie si les autres n’en faisaient pas autant. Un minimum en tout cas. Qu’ils ne reviennent pas sur les événements de l’hôpital et certaines des réponses délicates, il approuvait : ce n’était pas franchement l’endroit pour le faire et il n’en aurait pas plus dit en ce qui le concernait. Par contre, elles auraient pu rebondir sur ce qu’il avait répondu à la première question de Caitlyn. Mais non. Soit. Alors ils étaient restés sur San Francisco. Mais là encore, c’était resté assez général. Il pouvait comprendre qu’on ne déballe pas l’intégralité de sa vie à un inconnu. Cela étant, vu ce que lui-même avait répondu pour satisfaire leur curiosité, il avait espéré un peu plus d’égalité. Tant pis.

Il sortit une poêle, déposa une noisette de beurre dans le fond et la regarda s’étaler alors qu’elle fondait docilement. Il ne pouvait, ni ne voulait, les forcer non plus. Il pouvait juste déplorer qu’elles soient devenues aussi prudentes, voire paranoïaques, que ça. Elles devaient sans aucun doute avoir leurs raisons. Amaranth avait dû trouver quelque chose, à défaut d’avoir une dénomination appropriée, dans une de ses réponses d’où leur retenue et leur méfiance à son égard. Et c’était ça qu’il trouvait le plus triste dans toute cette histoire : qu’elles ne puissent plus simplement prendre un verre avec quelqu’un, rencontré récemment, sans devoir être sur leurs gardes. Il soupira.

L’ancien soldat versa ses œufs battus dans la poêle, celle-ci réagissant en crépitant joyeusement. En tout cas, la seule chose véritable qu’il avait pu observer avait été l’amour qui liait les deux jeunes femmes. Outre le fait qu’Amaranth avait été collée à Caitlyn comme un bulot à son rocher et que son côté territorialiste prenait tout son sens, les regards et les gestes faisaient le reste. Il en avait souri, à plusieurs reprises, y compris les fois où il avait vu les mains baladeuses. Etaient-ils ainsi avec Elena ? Il connaissait pertinemment la réponse. Il lui avait souvent été dit qu’ils irradiaient le bonheur et l’amour.  Qu’elles en profitent.

Il surveilla la cuisson pour ne pas dépasser le stade de l’omelette baveuse. Au final, il avait payé la, bien que très courte, tournée comme convenu. Il les avait saluées d’un petit signe de la main, leur souriant toujours aussi chaleureusement, avant d'aller prendre un taxi. S’il avait été un peu déçu par la conversation, ce n’était pas pour autant qu’il devait se montrer désagréable envers elles. Et puis, il était toujours vivant. Il devait toujours avoir le premier bout de confiance accordé. C’était déjà pas mal. Il comptait bien les recroiser un jour ou l’autre pour changer ça.

Tout en souriant, il coupa la plaque de cuisson.

Et merde, il avait oublié les lardons.