L'escale du passé [Pv. Alec]

L'Escale du Passé
Alec T. Abrams & Russell Collins

Rusty avait écumé les bars de cette rue de New York. Comme a son habitude il avait bu, et encore bu tel un ivrogne incontesté, mais comparé a d’autres, lui résistait aux effets de l’alcool. Il n’était jamais aussi imbibé que les vieux routiers qui passaient leur vie à noyer leur pitoyable existence dans l’alcool. Dans son cas, c’était purement et simplement un plaisir, et une tactique ; une façon d’attirer les filles dans son filet pour passer d’excellentes soirée, aussi chaudes que sa réputation en tant que mutant.

C’était également le cas ce soir là. Au premier arrêt, il avait repéré cette blonde à forte poitrine. Une tenue des plus équivoques, qui portait à croire qu’elle vivait de son corps, comme la plupart de ses conquêtes. Un bon mètre quatre vingt, un débardeur blanc qui moulait ses formes voluptueuses, et une jupe assez courte pour attirer l’œil de Firefist. Il l’avait tout bonnement aguichée en comptant principalement sur son aspect physique : sa tenue et son charisme naturel, mais également sur les mots choisis. Il n’y avait rien de bien compliqué dans la façon de draguer une fille de ce genre, ce n’était pas mission impossible. Puis au moment de changer de bar, il l’invita à le suivre, tout en officialisant leur rencontre, en échangeant leurs prénoms. Elle se prénommait Clara, et était a New York pour changer de vie. Elle n’était pas très intéressante, et Rusty savait que cette rencontre n’allait être qu’éphémère. Ils atterrirent alors dans un deuxième bar, où l’alcool coulait à flots évidemment, mais où la clientèle était déjà plus avantageuse : des nanas bien roulées venues montrer leurs atouts, mais sans autorisation de toucher encore une fois. Il y avait des hommes aussi, tous bien habillés, un peu plus classes, qui eux comptaient sur leur argent pour séduire la gente féminine. Ce fut ensuite, un troisième, puis un quatrième bar, et Clara suivait encore Rusty. Ils discutaient de tout et de rien : elle lui parlait de sa famille, et lui feintait son intérêt pour la discussion en enchainant clin d’oeils, et sourires malicieux, qui avaient le mérite de plaire à la jeune fille. Il ne connaissait ni son âge, ni ses origines… ni rien finalement. Il savait juste qu’elle était séduisante, et quelque peu intéressée par Rusty, au moins un minimum. (Et cela suffisait pour lui convenir)

Ce fut alors dans ce dernier bar, qui portait le nom d’un célèbre jeu vidéo, Tétris, qu’il vit un moment de sa vie défiler devant ses yeux. Il voyait encore la frégate de l’Hôpital Essex, sa tenue de militaire et ses compagnons avec lesquels il avait un lien assez fort et touchant (a l’inverse des liens qu’il pouvait entretenir aujourd’hui avec des personnes normales). Alors qu’il commandait un verre au comptoir, pour la blondasse toujours a coté de lui, a sourire bêtement à l’écoute de la musique redondante du lieu, il aperçut un homme dont le visage lui rappelait vaguement l’un de ces collègues de l’époque militaire. Il ne remettait pas son prénom, il y avait maintenant quelques années qu’il n’avait plus pensé à cette période de sa vie, et pourtant il avait cette impression de n’avoir jamais oublié cette personne.

Intrigué par cette sensation, il quitta le comptoir, en déposant le verre nonchalamment dans les mains de la perche blonde, et se dirigea vers l’autre bout du bar. Plus il s’approchait, plus les images dans sa petite cervelle imbibée d’alcool se faisaient nettes et claires. Cet homme était plus qu’un simple soldat qu’il connaissait, ou qu’il avait simplement croisé dans son service. C’était le Second Lieutenant Abrams, quelqu’un qui avait joué un rôle important dans son destin, quelqu’un qui avait changé le cours de son existence, malgré leurs différences, quelqu’un… Alec T Abrams. Son visage au début douteux s’était transformé en un visage illuminé et radieux, jusqu’au moment où il arriva à quelques centimètres de son ancien collègue, qui potentiellement ne l’avait pas vu, ni reconnu. Il s’appuya sur le comptoir à nouveau, oubliant la femme qu’il avait trainée et remplie d’alcool à l’autre bout de la salle, pour changer radicalement de but dans la soirée : maintenant il savourait ce moment comme une dernière occasion de le remercier :

- Alec ? Alec Abrams ?

Alec avait réellement changé depuis le temps qu’il ne l’avait plus vu. Son style de militaire dévoué n’était plus en vigueur chez lui, et visiblement, il avait cessé l’activité militaire, probablement dans de meilleures conditions que lui. Il se souvenait encore des échanges qu’il avait eus avec lui durant la période de fuite qu’il avait entrepris après la calcination de la prostituée face à son propre commandant. Une longue et dure période qu’il avait presque finit par oublier, tellement les choses avaient changé pour lui aussi. Malgré cette aide indispensable dont il avait bénéficié quelques années auparavant, quelques doutes subsistaient en lui : Alec l’avait couvert, mais pourquoi ?

Rusty avait sa petite idée sur la question, il ne fallait pas être surdoué pour se douter que son ami aussi connaissait les désavantages de la mutation, mais comme la chose n’était pas officielle entre eux, il n’osait pas s’avancer et parler de ce sujet en sa présence. Il se pouvait qu’il soit très peu ouvert sur la question, après tout, le temps avait coulé sous les ponts depuis quelques années. C’était pourtant toujours le sourire aux lèvres qu’il avait serré la main tendue par son ancien collègue, les yeux emplis d’espoir et d’intérêt pour la personne qui désormais attirait toute son attention. La blonde n’avait qu’à attendre, Rusty avait désormais chose plus importante à régler : rattraper le temps.

Il s’installa alors près de lui, en commandant un verre de whisky au barman qui passait juste devant les deux hommes, puis il répondit franchement à son ami, lorsque celui-ci lui demanda ce qu’il était devenu :

- Oh écoute j’ai pas mal bougé ces derniers temps. Quelques histoires à régler, mais sinon rien de bien particulier.

Il ne pouvait certainement pas se laisser aller à parler de la confrérie et de son rang dans ce groupe, les choses étant déjà bien assez fragiles entre eux, il ne savait pas ce qu’il pouvait penser de tout ca, encore une fois, alors il se laissa mentir sans grand regret, ni conséquences :

- Je travaille dans la sécurité. Les systèmes de surveillance, et tout ça. Il m’arrive d’accompagner certaines personnes un peu partout en veillant à ce que tout se passe bien. Tu vois ce n’est pas grand-chose. (Il se laissa rire stupidement et de façon particulièrement fausse). Et toi ? On ne s’est plus parlé après toutes ces histoires, c’est dommage ! Il faut dire que c’était assez complexe !

La blonde arriva à grand pas, enlaçant Rusty par la poitrine. Visiblement, elle avait bu encore plusieurs verres et était comme qui dirait « Chaude comme la braise ». Rusty aussi, mais c’était plus habituel. Alors presque gêné de se montrer avec une fille aussi insignifiante, il ajouta :

- Au faut, voici Clara. (Il se tourna vers elle et lui dit) Tu veux pas continuer à aller boire des verres ailleurs s’il te plait, j’ai une histoire à régler.

Il avait parlé d’un ton sec, mais il fallait dire qu’elle commençait à devenir assez lourde. Alors Clara dessina une mine renfrognée sur son visage, puis mima le « boudage capricieux » avant de s’en aller en se déhanchant sévèrement, paille à la bouche.

- Tu veux que je te la laisse ? j’en ai marre de la surveiller ! (Il se mit à rire toutes dents sorties)

L’aventure qui regroupait la fuite et sa nature de mutant était épique. Alec ne le savait pas, probablement. Bien sur il était reconnaissant pour tout ce qu’il avait fait pour lui, entre autre l’aider à s’enfuir, mais ce qu’il ne disait pas, c’était la suite, c’était l’après catastrophe, que lui-même avait presque occulté de sa mémoire, tant les moments n’étaient pas agréables. Mais comme Rusty n’était pas du genre a s’apitoyer sur son sort, il n’en fit pas mention et se contenta d’acquiescer lorsque son ami lui avoua son départ de la frégate il y a deux ans. Il continuait de boire dans son verre, en oubliant la présence de Clara dans ce même bar. Il reprit alors sa phrase mais n’eut pas le temps de la terminer, coupée par l’entrée fracassante d’un homme qu’il connaissait, visiblement.

Rusty haussa l’un de ses sourcils, parce qu’il ne comprenait pas, et qu’il se demandait pourquoi Alec mettait autant d’énergie pour aider un mec qui semblait plutôt mal en point et qui de sur croit se vomit dessus. D’un air dégouté, il détourna le regard, et en profita pour jeter un œil à la Clara, qui commençait déjà à faire du charme à un autre jeune homme, qui honnêtement était bien plus laid que Rusty. Laissant échapper un soupir, il se retourna vers l’endroit où se trouvait Alec et l’écouta négocier une place dans les chambres du bar. Sacré Alec, il n’avait pas changé ! Il était toujours aussi responsable et serein, du moins en apparence, et cela lui mit le sourire aux lèvres.

Une fois de retour, il pu à nouveau espérer continuer la conversation. Ils avaient tant de choses à expliquer, et probablement à découvrir, qu’il ne s’imaginait pas repartir d’ici sans au moins prendre son numéro. Ils n’avaient jamais réellement eu de « bons délires » ensembles, comme il avait pu avoir avec d’autres militaires, néanmoins, il le respectait et respectait sa façon d’être, tout comme il lui était redevable de beaucoup de choses. Il reprit alors la conversation :

- Je vois que notre soirée en est rendue au même point. Des boulets, partout…

Rusty plaisantait, évidemment, mais il avait gardé cette fâcheuse habitude de rire de tout. Ses supérieurs sur la frégate le lui reprochaient justement, mais on ne changeait pas Russell Collins. Il continua alors :

- Je me doute bien de ce que les gens ont pensé, t’en fais pas va ! Et maintenant je sais très bien que ma situation n’est pas si extraordinaire que ca, j’en ai rencontre des tas des gars comme moi et je n’ai su qu’après mon départ que d’autres étaient dans mon cas sur la frégate. (Il lança un sourire inquisiteur). Ce qui me rend mal a l’aise surtout, c’est de n’avoir jamais pu te remercier pour ce que tu as fais pour moi. Fisher avait un problème avec ca, c’était son problème. Heureusement que d’autres comme toi ne voient pas les choses de la même façon. D’ailleurs, je pense qu’il a changé d’avis sur la question maintenant, à moins qu’il nous ait quittés… je n’en sais rien.

Son regard marquait à présent un esprit pensif, et plongé dans les souvenirs. Chose que détestait Rusty. Il avala les dernières gouttes de son Whisky et prit quelques secondes pour le faire tourner dans sa paume. La chaleur de son corps commençait à monter, et c’était probablement du au fait d’avoir repensé a toute cette histoire. Et finalement il ne pouvait pas y échapper avec Alec, tout partait de là.

- Et d’ailleurs, tu n’as pas fini ta phrase, tu bosse où maintenant ?

Il afficha un sourire neutre, pour masquer sa peine. Rusty n’était jamais triste, il savait y faire face, et le sourire était la meilleure façon de créer l’illusion.

Alec ne put qu'acquiescer. Un boulet, il n'y avait pas de meilleurs terme pour Robert ce soir. Il savait qu'il devrait éprouver de la compassion pour le pauvre bougre, et il en éprouvait un peu, mais elle s'émoussait à mesure qu'il l'avait observé se faire trainer hors de la pièce. Il retourna prêt du bar et vida son verre avant de se hisser de nouveau sur son tabouret. Rusty ne semblait pas avoir trop mal pris cette interruption, il en riait et c'était sans doute ce qu'il y avait de mieux à faire. Alec s'autorisa un léger rire avant que l'ancien marines ne reprenne, passant en revue son passage sur la frégate. Le Major Fisher était un enfoiré, n'ayant aucune confiance dans le genre mutant. Lui s'abstenait de faire de l'esbroufe, mais ne s'en cachait pas non plus, Rusty avait été dans sa ligne de mire. Alec l'avait aidé sous une impulsion, ça ne lui avait rien compté, il fit signe que ce n'était rien du tout. Se taire, et couvrir ses arrières avait été aisé pour lui. Et puis il fallait bien instaurer une certaine fraternité entre les mutants, Alec n'avait pu s'empêcher de penser que ça aurait tout aussi bien être lui, ses pouvoirs étaient instables, la régulation ne lui posait plus trop de problème, mais un débordement pouvait arriver.

« T'as pas à me remercier, entre... mutos... »

Il insista sur le mot qu'on leur attribuait souvent, terme assez désagréable mais qu'Alec avait apprit à digérer, contrairement à ce qu'on pensait à être longtemps dans les forces armées, on apprenait à ranger son ego, ce n'était pas dire que blackos ou chicanos après tout.

« … faut bien se serrer les coudes de temps à autre. »

Le barman leur lança un regard, preuve s'il en fallait une, qu'il écoutait la conversation. Alec soutint le soutint, et pour se donner contenance l'homme attrapa la bouteille de whisky pour lui resservir un verre. Il se demanda un instant si c'était bien sérieux, avant que cette question passe au second plan face à celle de Russel. C'est vrai il n'avait pas pu terminer sa phrase, mais il se demanda soudain si c'était très prudent d'en parler ouvertement, il ne savait pas exactement qui se trouvait autour.

« Je bosse pour le gouvernement, je fais le gratte papier, rien de bien passionnant en somme. »

Ce n'était pas de la paranoïa, mais il préférait pêcher par excès de prudence plutôt que de le regretter plus tard. Et puis, le BAM étant encore relativement récent, il suscitait une certaine méfiance envers les mutants, et il n'était pas d'humeur à débattre sur son utilité. C'était la voie qui lui convenait le mieux, son département avec une organisation quasi militaire, il ne pouvait pas rêver mieux.

Enfin si sans doute.

Mais actuellement il s'en contentait pleinement. Cette cause lui parlait, et à son sens le gouvernement avait son mot à dire. Il repensa à Fisher et aux nouvelles qu'on lui avait envoyé. Une opération avait mal tourné en Syrie, le gouvernement était sur le qui vive, surtout que c'était une erreur de stratégie qui avait causé la capture de ce type et des cinq soldats sous sa responsabilité.

«EAu fait... je crois que Fisher fait partie des militaires kidnappés en Syrie, il a conduit sa troupe tout droit dans un piège. »

S'il sortait vivant de ce pétrin, nulle doute qu'il allait quitter le corps armé, on l'y pousserait de toute façon, pour finir sa vie sur une plage en Floride.

Finalement, Rusty avait eu la réponse à son doute. Il était évidemment persuadé intimement qu’Alec faisait partie de la même branche que lui, celle des homo superiors, mais il n’avait aucun preuve. A vrai dire c’était la seule raison valable qu’il avait trouvé pour expliquer l’aide qu’il lui avait apporté lorsqu’il avait quitté la frégate. Il n’osait pas non plus lui en parler aussi ouvertement qu’il l’avait fait, de peur de déclencher une certaine haine, non pas que Rusty n’aurait pas été capable de se défendre, mais il aurait été affecté par une relation essoufflée avec son ancien collègue et compatriote. « Mutos » était le terme employé par bon nombre d’anti mutants, ou du moins réfractaires a cette nature, et finalement ce mot ne l’avait pas choqué plus que ça : il l’avait entendu a de multiples reprises, et à la confrérie ce n’était pas ce qui manquait, entre les vulgarités et les horreurs de la nature, c’était un véritable zoo, aussi bien du point de vue comportemental que physique. Il esquissa tout de même un sourire à l’entente de ce mot et ajouta à la suite :

- Oui c’est un peut une communauté si on peut dire. Mais j’avoue que certaines choses changent d’un individu à un autre, on ne voit pas tous cette nature de la même façon.

Il mettait les pieds dans le plat, c’était indéniable. Mais il ne pouvait pas se prononcer encore sur le fait de savoir s’il avait bien fait ou pas. Il ne savait toujours pas ce qu’il faisait, et Rusty sentait tout de même une certaine gêne : probablement parce que lui avait employé la même technique pour cacher sa véritable affectation au sein de la confrérie : il n’avait pas dit qu’il était une arme de magnéto, une main d’œuvre pratique et qui n’avait pas peur du danger pour servir ses plans. Il n’avait pas non plus parlé de ses frasques, en dehors de celle de la prostituée de la frégate. Il ne savait pas trop quoi penser du « Gratte papier » et du « gouvernement ». Jusqu’à présent, ce dernier mot n’avait jamais été de bonne augure pour le jeune garçon et pour le clan entier. C’était donc partagé entre le doute et la confiance aveugle qu’il avait continué son entrevue avec Alec. Il y eut alors un vide dans la conversation, et l’ambiance était pour le moins étrange : Rusty doutait, et Alec semblait pensif. Il pouvait penser à n’importe quoi, se disait-il, mais il pouvait aussi réfléchir a ce qu’il venait de dire, comme s’il s’agissait d’un mensonge, ou d’une demi vérité… ou alors Rusty devenait paranoïaque, en plus d’être fatigué, ce qui n’arrangeait rien dans cette situation. Sans compter les litres d’alcool ingurgités durant la soirée : pour le coup, il eut un coup de chaleur, et la température de son corps augmenta légèrement, surement à cause d’un certain malaise ou d’un stress dont il ignorait encore la source.

Finalement, Alec lui fit part d’une nouvelle concernant Fisher, et cette réplique, en plus de lui rappeler de mauvais souvenirs, permit à la conversation de renaitre de ses cendres. Visiblement, Fisher avait perdu en responsabilité et en crédibilité aux yeux de l’armée, et c’était tout ce que pouvait souhaiter Rusty, en partie, puisque personnellement il l’aurait simplement envoyé à la morgue, mais ça il n’était pas disposé à le faire savoir. Il répondit alors :

- Fisher n’a pas toujours été comme ça. Lorsque j’étais sous ses ordres, j’avais une relation plutôt agréable avec lui. L’épisode de la prostituée m’a ouvert les yeux, c’est un homme dangereux, aux multiples facettes.

Ce qu’il ne disait pas, c’était que lui aussi cachait bien son jeu, comme d’habitude. Rusty était peut être reconnu pour son manque de tact et sa prédisposition à rentrer dans le lard d’entrée de jeu, mais c’était conjugué a sa capacité à mentir et à ses multiples comportements : lunatique, bipolaire… c’était inqualifiable mais c’était dans l’esprit.

- Sa carrière se sera terminée comme il le méritait. Je n’y voyais aucune autre fin de toute manière. Mais c’était un piège dans quel genre ?

Il reprit une gorgée du whisky que le barman leur avait servit a tous les deux, feintant de ne pas suivre la conversation, puis en posant le verre sèchement sur la table il ajouta :

- Hey mais… comment t’es au courant de ça d’ailleurs ? C’est pas sensé être une information interne aux corps de l’armée ? Je croyais que tu avais quitté tout ca ?

C’était un Rusty curieux et impliqué qui regardait Alec avec un regard inquisiteur, presque douteux vis-à-vis de ce qu’il se disait en cette soirée.

La nature mutante serait sujet à débat encore longtemps. D'autant plus que les mutants présentaient divers clans, divers idéologie et aucun moyen de s'unir pour faire valoir quoi que se soit. L'unité n'était de toute façon pas le fort de l'être humain. Alec ne connaissait pas le point de vue de Rusty sur la question, mais il y avait certains sujets qu'il valait mieux ne pas aborder afin de rester en bons termes. Et puis les débats interminables n'étaient pas ce qui l'enchantait le plus. Il résolu de s'arrêter de boire, ça commençait à faire beaucoup de verre qu'il ingurgitait et il n'habitait pas tout prêt. Bine que Rusty signala qu'ils ne s'étaient pas toujours mal entendu, il sembla satisfait de son sort. C'était un tantinet mesquin mais il préféra ne pas relever. Fischer n'était pas le seul à être coincé, il y avait également des soldats qui eux n'avaient fait qu'obéir aux ordres. Comme on leur apprenait à tous. Beaucoup de gens prenaient les militaires pour des demeurés parce qu'ils obéissaient sans réfléchir. Mais c'est vitale pour coordonner une opération, si une personne remet les ordres causes, toutes le feront et cela deviendra la débandade. Savoir obéir, c'était savoir faire confiance en ses supérieurs. Malheureusement pour ce groupe, leur supérieur était incompétent.

Alors qu'il allait répondre à la question, à savoir décrire l'embuscade dans laquelle ils étaient tombés, Rusty tiqua sur un détail. Alec se serait bien mis une claque, mais tâcha de rester aussi impassible que possible tandis que son esprit tournait à toute vitesse à la recherche d'une histoire probable.

« J'ai gardé des contacts qui m'ont raconté ça. Qu'est ce que tu veux, on ne quitte jamais totalement les marines. »

Il se serait bien auto congratulé pour avoir sorti cela avec autant d'aplomb. En outre, c'était tout à fait possible puisqu'il en avait effectivement parlé avec des amis rencontrés dans les marines. Mais ceux-ci savaient qu'il était au BAM puisqu'il servait de temps à autres d'agents de liaison lorsque les marines étaient impliqués dans des affaires liés aux mutants. Il préféra embrayer immédiatement sur la réponse.

« D'après ce que je sais, pas grand chose en réalité... »

Insister sur un mensonge, il avait définitivement un verre de trop.

« Ils ont bloqué une route de montagne avec des pierres. »

Un mutant de leur groupe a fait s'écrouler un pan de montagne pour les bloquer. Mais jusque là les affaires mutantes qui touchaient directement à la guerre était soigneusement étouffé, ce n'était donc pas le moment de le laisser échapper.

« Les types sont arrivés et ils se sont retrouvés rapidement débordés, apparemment. »

Pour l'instant, le BAM cherchait encore à négocier, mais c'était peu probable qu'ils arrivent à un accord. Alec était en tout cas assez sceptique, une bonne opération était serait sans doute plus efficace, mais il n'avait pas à remettre en cause les ordres.

Rusty avait posé son verre sur la table, d’un air douteux et sérieusement inquiet. Après tout il ne savait pas à quel point Alec était arrivé dans sa vie, s’il avait des relations particulières avec certains corps de l’armée, où s’il entretenait des liens étranges avec d’autres nouvelles organisations mutantes, voire anti-mutantes. Le fait que leur rencontre surprise les ait rapproché n’empêchait pas une mythomanie excessive, et un effort considérable pour occulter certaines parties de leur passé, tout en se disant qu’une fois à nouveau séparés ils pourraient soit se retrouver en toute amitié, soit se lancer dans une bataille interminable opposant leurs deux idéologies. Concrètement Rusty ne savait rien de tout ca avec exactitude, tout était trop flou pour lui et une question lui trottait dans l’esprit, bien qu’il était passablement déçu de la réponse douteuse de son ami. Il enchaina alors, conscient qu’il fallait changer de sujet, sentant que le terrain devenait instable et houleux à souhait :

- Mais dis-moi… juste une confirmation. En fait je me suis posé la question depuis le début, mais je ne sais pas vraiment si je peux me permettre, surtout ici… Tu n’étais pas un simple soldat toi non plus ?

Il ne pouvait pas dire clairement les choses : un barman trop curieux, beaucoup trop de gens alcoolisés autour de lui, donc lui-même, mais c’était un bon moyen de mettre les pieds dans le plat. Quelque part il s’en foutait royalement, mais d’un autre coté, il avait besoin de savoir, parce qu’il voulait connaitre les détails : cette discussion éclairait certaines parties de son passé, mais elle pouvait potentiellement prédire le futur qui allait les unir ou non. Il fallait dire que l’alcool n’aidait pas Rusty à faire des remarques pertinentes ou à poser des questions franchement bien placées. Peu importe au final il continuait dans sa lancée. Il ressentait tout de même une sorte d’angoisse et une certaine forme de curiosité qu’il n’était pas en mesure de définir clairement.

- Enfin je dis ça parce que j’ai la nette impression que ce que tu me dis n’est pas totalement vrai si tu vois ce que je veux dire…

Il accompagna sa dernière réplique d’un clin d’œil amical, pour marquer l’absence d’animosité dans ses paroles. Puis légèrement gêné par la question qu’il venait de poser, il se rétracta instinctivement, conscient que probablement il n’était pas l’heure de poser ce genre de question :

- Bref ! Laisse tomber c’est peut être pas le moment de poser ce genre de questions, ca ne colle pas avec tout ca, l’ambiance, et nos retrouvailles.

Il lança alors un regard derrière lui, pour apercevoir la blonde partir main dans la main avec un ringard de première. Un pincement en dessous de sa ceinture, mais tout allait bien il était en bonne compagnie : du moins c’était ce qu’il espérait.

Être un simple soldat. Alec s'était toujours considéré comme tel, le même que ceux avec qui il combattait. Jamais il ne s'était senti supérieur aux autres, ils avaient le même uniforme, ils étaient dans les même conditions. Il avait la vague impression que cette façon de pensée n'était pas partager par Russel. Ce point de vue divergeant pourrait amener à une confrontation, et c'était la dernière chose qu'il voulait. Il décida d'arrêter avec l'alcool pour ce soir, c'était le meilleur moyen de perdre son calme. Collins poursuivit avant de lui laisser le temps de répondre, son insinuation ne lui plaisait pas trop. C'était dit sans aucune agressivité, mais le fait qu'Alec le prit assez mal. Certes il n'avait pas dit toute la vérité, mais il n'était pas obligé de le relever. Mais il eut l'air de voir qu'il venait de jeter un froid, puisqu'il clôtura lui même le débat. Russel se retourna et Alec suivit son regard, il semblait que sa compagnie pour la soirée ait décidé de lever le camps. Cela ne sembla pas le chagriner outre mesure.

« On était tous des simples soldats, on était peut être un peu mieux armé, c'est tout. »

La guerre avait laissé ses traces, on ne ressortait pas totalement indemne de ce genre d'expérience. Ceux qui vous disent le contraire mentent, soit pour vous rassurer, soit pour vous impressionner. Mais ça reste un mensonge. Après des mois a vivre dans la peur d'une bombe ou d'une embuscade, même chez soi, dans son immeuble au huitième étage il vous arrive de vous réveiller en sursaut, de chercher son arme pour faire le tour de son appartement, simplement pour vous rassurer. Alec n'approuvait pas spécialement le culte des armes, mais il était rare qu'il sorte sans.

« Mais t'as raison, laissons ça de côté ! »

Alec s'accouda au bar. Il commençait à se faire tard, certains clients commençaient à déserté tandis que d'autre élevait la voix pour appuyer leur opinion sur un quelconque débat. A l'approche des élections cela n'avait rien d'étonnant. Il semblait que la conversation s'envenimait et ça ne l'aurait étonné qu'à moitié qu'ils en viennent aux mains. La politique était véritablement un poison, chacun voulait donner son avis quand bien même il n'y comprenait rien. Le barman les observait d'un air vaguement inquiet. Alec le plaignait presque. Il s'était montré trop désagréable pour que son empathie soit complète. Ce qui suivit ne fit que conforter son opinion sur le personnage. Un homme poussa la porte du bar, comme dans un mauvais film les conversations s'arrêtèrent, et les regards coulèrent vers lui. Sa peau d'un gris sale laissait suggérer une mutation. Ce qui ne laissa personne indifférent dans le bar.

« On ne sert pas les monstres ici. »

Le sang d'Alec se glaça. L'homme sembla hésiter, déjà prêt à rebrousser chemin, certainement pas un mauvais type, juste un délit de faciès en somme. Un des types qui parlaient fort plus tôt se leva, avançant d'une démarche titubante. Pointant d'un doigt accusateur le mutant, le discours qui suivit était décousu, teinté de propos anti mutant. Alec bondit quand l'homme leva le poing. Il s'interposa entre les deux. Ce fut le signal, à croire que les poivrots n'attendaient qu'une chose, se battre, l'autre mutant ne traîna pas, il avait profité de la distraction qu'avait offert Alec pour filer à l'anglaise. Les bagarres de bar, il n'avait pas envie d'ajouter à son palmarès. S'il avait cru que son affiliation au BAM pouvait calmer les ivrognes, il aurait brandit son badge comme un bouclier, mais quelque chose lui disait que ça ne ferait qu'envenimer la situation.

La discussion devenait de plus en plus tendue et visiblement, Russell avait du toucher un point sensible dans la personne d’Alec. Il ne souhaitait pas mettre l’histoire sans dessus dessous, surtout pour des broutilles ou des divergences d’idées, ce qu’il souhaitait, c’était simplement prendre de ses nouvelles et par ce biais, en apprendre d’avantage a son sujet. Même s’ils étaient collègues a l’armée, ils n’en restaient pas moins des personnages totalement différents, ayant choisi de prendre des chemins différents, et cette divergence se ressentait : le seul problème c’était que Russell Ignorait si cette divergence était nuisible pour son statut de confrériste. Probablement qu’il sautait a pied joints dans la gueule du loup, mais il était partagé entre ces retrouvailles agréables et l’étrange sensation de voir son ami s’éloigner de lui au fur et a mesure de la conversation. Alors, écourtant la conversation houleuse qu’ils étaient en train de partager, ils se mirent à boire ou du moins à finir leur verre.

L’action de la soirée fit son entrée dans le bar lorsqu’un homme à la peau teintée de gris entra dans le bar. Alec semblait l’avoir déjà croisé du regard à l’instant même de son entrée, mais Russell avait eu le temps de se retourner et de remarquer la différence. Il laissa échapper un « Ca y’est c’est reparti », phrase qui pouvait laisser croire qu’il avait un sérieux problème avec les différences et particulièrement regardant les mutants. Mais loin de là : dans sa petite cervelle, Russell imaginait déjà la scène de bagarre impromptue mêlant Pro et Anti mutants. Se connaissant assez, il tachait de garder son calme pour ne pas sauter sur l’ennemi des mutants, lorsqu’il vit un homme bien imbibé s’approcher de lui en le pointant du doigt. Reflexe impressionnant, Alec s’était déjà interposé entre les deux hommes, sous une mélodie joyeuse rythmée par des phrases telles que « Dehors sale type ! », ou « On ne sert pas les monstres ici ! ».

Bouillonnant de l’intérieur, et tâchant de garder son calme, Russell fit mine de continuer à boire tout en détournant son regard de la bagarre : il était dans un lieu public, et s’il se laissait aller, tout le monde allait voir qu’il était un mutant. Ne connaissant pas la moitié des gens ici, c’était une très mauvaise idée. Mais tout changea lorsque l’homme imbibé commença à bousculer Alec, surement sous l’emprise de l’alcool, mais d’une façon inexcusable, surtout lorsqu’on prenait en considération le monologue raciste qu’il hurlait dans le bar :

« Hey Mec ! Tu le laisse partir ? Faut leur montrer a ces salauds qu’ils n’ont aucun droit sur notre territoire ! Je vais leur montrer moi qui sont les maitres ! Rien à foutre, qu’ils crèvent l’un après l’autre ! »

Rien à foutre en effet, Russell ne put s’empêcher d’entendre cette phrase qui avait eu le don de faire exploser son self contrôle. Il se leva alors en laissant tomber son tabouret et en claquant le sol de ses chaussures lourdes, et se dirigea d’un pas assuré vers l’homme en question qui continuait malgré tout de hurler qu’il était le maitre de ce territoire. Il lui donna une tape sur l’épaule afin qu’il se retourne puis à l’instant où il put admirer son visage bouffi et puant l’alcool, il lui fila une droite dont il se souviendrait toute sa vie. L’homme s’étendit sur le sol, tandis que le mutant en question était déjà dehors depuis longtemps. Il ajouta les poings fermés et le regard vicieux :

- C’est ca ton putain de territoire ? Même pas capable de le défendre…

Il lança un regard noir à Alec, sans le vouloir, puisqu’il avait passé son regard directement de l’homme à terre, a Alec sans distinction de sentiments. Il fit alors craquer ses doigts et ajouta tout en regardant Alec dans les yeux tandis que le silence se fit entendre étrangement dans ce lieu qui était sur le point de se vider :

- Tu parle d’une race suprême… Pff