X-men RPG
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.



 
AccueilPortailDernières imagesRechercherS'enregistrerConnexion

 

 Tout marché mérite étude [PV Lilian]

Aller en bas 
2 participants
AuteurMessage
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeMer 17 Juil - 18:35

Le reflet du coucher du soleil sur l’écran m’agace. J’ai beau avoir passé les vitres des portes fenêtres en mode soleil, les rayons de fin de journée sont trop puissants pour que la coloration les arrête. Des taches éblouissantes viennent ainsi interrompre ma lecture à intervalles réguliers, rendant pour le moins ardu l’exercice de s’assurer de la bonne santé de mes comptes. Signe de mon agacement croissant, je claque ma langue contre mon palais dans un tic acquis de longue date, avant de me pencher de nouveau sur les résultats de la nouvelle drogue de synthèse dont mes hommes ont commencé à inonder les soirées de haut standing de New-York. Autrement dit, il s’agit de s’assurer que les rentrées d’argent sont aussi conséquentes qu’elles se devraient de l’être.

Pour un premier bilan après trois semaines de test, les chiffres sont plutôt acceptables. Rien d’extraordinaire mais le contraire aurait été surprenant. Il s’agit d’un marché des plus compétitifs et l’attrait de la nouveauté ne suffit que rarement à contrer l’habitude acquise par un client. Les drogués peuvent en effet se révéler étonnamment attachés au produit de leur choix lorsque celui-ci a su les fidéliser comme il se doit. Mais je ne m’inquiète pas. Toute la force de cette nouvelle drogue réside dans la rapidité des hallucinations qu’elle provoque associée à des effets secondaires des plus minimes. L’équivalent d’une grosse migraine. Bon, bien entendu, sur la durée je n’assure pas que la surcharge de travail imposée aux cellules du cerveau en charge de l’imagination ne puisse pas causer quelques désagréments. Mais, toute personne qui choisit la facilité de quitter la réalité pendant une poignée d’heures en échange de quelques dizaines – voire centaines selon le produit – de dollars est responsable de ses actes. Je ne distribue qu’un service et je considère qu’au vu de la position sociale de ma clientèle, tout utilisateur est parfaitement capable de savoir dans quoi il se lance lorsqu’il acquiert l’un de mes produits.

Mon rôle consiste simplement à créer le produit le plus prompt à remplir les attentes de mes clients et, pour cela, rien ne vaut une étude de marché dans les normes. En effet, c’est ainsi que j’ai découvert à mon arrivée que la vente des produits traditionnels de la famille serait fort peu adaptée à ma nouvelle clientèle new-yorkaise. Car ces messieurs-dames américains n’ont pas les mêmes désirs ni besoins que mes compatriotes moscovites. Sans compter que le marché est nettement plus saturé qu’au pays. Ce sont d’ailleurs ces mêmes raisons qui m’ont amené à bien tâter le terrain avant de me décider récemment à ouvrir un casino underground en terre yankee. Car si la distribution de drogue en serait grandement facilitée, je ne tiens nullement à marcher sur les platebandes d’une quelconque organisation déjà bien installée. Comment dire ? Les Irlandais ont le sang chaud, les Italo-américains la gâchette facile, les Triades la rancune tenace et les Yakuzas un réseau mieux implanté qu’il n’y paraît. Mon arrivée s’est jusqu’ici déroulée sans embûche, je préfèrerais que cela reste ainsi. Augmenter les profits toujours, à n’importe quel coût jamais.

C’est pourquoi je désire avant tout m’informer des marchés fermés à la compétition pour savoir quelle voie emprunter. Car il y a toujours un chemin tortueux mais gratifiant pour qui sait patienter et a les bons contacts. Dans mon cas, le bon contact porte un nom : Lilian D’Eyncourt, le petit prince de l’information. Il est en effet connu pour fréquenter le genre d’endroits dans lesquels je veux insérer mon futur casino, j’ai donc chargé Dimitri de lui faire parvenir une invitation à dîner en ma compagnie au Tokoyama ce soir à huit heures. Dire que Dimitri était mécontent de la tâche que je lui ai confiée serait l’euphémisme du siècle. Il m’a grandement mis en garde contre l’homme qui détruit les réputations d’un seul trait de sa plume. Apparemment, le rencontrer à visage découvert serait inutilement risqué. Une trop grosse chance de révéler la double identité de l’héritier Kolyakov.

Il n’a pas tort en soi, néanmoins je n’ai jamais dit que j’allais lui exposer mon plan en détails en attendant qu’il use ensuite de cette information contre moi à la première occasion. En ce qui concerne M. D’Eyncourt, il a été invité à dîner par un magnat du gaz et rien d’autre. Sans compter que j’ai toute l’intention de glaner moi-même dans l’esprit de M. D’Eyncourt de quoi m’assurer de son silence. On n’est jamais trop prudent.

D’ailleurs, l’heure du rendez-vous approche. J’éteins donc mon ordinateur que je range ensuite soigneusement dans le troisième tiroir de mon bureau – le seul qui ferme à clé – avant de remettre la clé autour de mon cou. Qu’est-ce que je vous disais déjà sur la prudence ? Une fois ces détails réglés, je me rends jusqu’à ma chambre pour enfiler une tenue appropriée au Tokoyama. Après tout, on n’entre pas dans un des meilleurs restaurants japonais de New-York habillé n’importe comment. J’enfile donc un costume noir, dont la sobriété totale n’égale que le prix exorbitant que mon tailleur m’en a exigé. J’y assortis une chemise bleu nuit pour éviter une ambiance trop guindée, des chaussures bien vernies, et complète le tout avec un fedora noir également mais avec un ruban faisant écho à ma chemise. Ma touche personnelle comme j’aime à l’appeler.

Puis, je sors de la pièce. Dimitri m’attend déjà à l’entrée, les clés de la limousine à la main. J’aurais aimé prendre la Kawasaki, un peu d’air frais m’aurait fait du bien après avoir passé la journée enfermé dans mon bureau, mais j’ai une réputation à tenir. Et mon costume ne supporterait sûrement pas le voyage. Je passe donc devant mon second tandis que ce dernier me tient la porte et me dirige jusqu’à la limousine dont Dimitri s’empresse de m’ouvrir la portière avant de rejoindre son poste de chauffeur.

Le trajet me semble plus court que prévu. Il est pourtant vingt heures moins dix très précisément lorsque je passe le seuil de Tokoyama. Juste ce qu’il faut de temps pour m’installer avant l’heure que j’ai fournie à M. D’Eyncourt. Une serveuse s’approche de moi avec un sourire aimable et me demande si j’ai réservé. Elle m’amène ensuite à une table pour deux dans un coin séparé du reste du restaurant par un magnifique paravent et me laisse m’installer. Elle revient néanmoins la seconde d’après avec du saké « aux frais de la maison en attendant que mon compagnon ou ma compagne arrive ». Le geste est touchant mais j’aurais peut-être dû la prévenir que je ne suis en rien assuré de la venue dudit compagnon. Après tout, rien n’oblige M. D’Eyncourt à me rejoindre ce soir. Je ne compte que sur sa curiosité réputée insatiable. Dans le pire des cas, j’aurais seulement pu profiter d’un repas de chef.


Dernière édition par Nikolaï M. Kolyakov le Sam 27 Juil - 12:15, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeLun 22 Juil - 21:26

- Alors, tu vas aller voir le ruskov ? Lança Mélo, sa chemise froissée sur le canapé, un magazine people sous les yeux.

Après quelques jours de séparation exigés par Lilian, le jeune homme se sentait à nouveau chez lui. Cette histoire d’invitation l’avait remis sur le devant de la scène. Il était indispensable. Son pouvoir, son éloquence, son savoir-faire, ... en faisaient une pièce majeure de l’échiquier D’Eyncourt. On ne pouvait l’éloigner trop longtemps. Il savourait sa victoire. Mais Lilian restait distant, un ordinateur sur ses genoux, les yeux posés en diagonale sur un texte qu’il laissait défiler. Pour le bien de ses affaires et de sa propre sécurité, il poursuivait les faux-semblants. Son assistant devait rester près de lui, se croire important, se sentir aimé même. Il s’étonnait toujours de la facilité avec laquelle il se jetait dans les pièges de séduction qu’il lui avait appris. Etait-il à ce point aveugle. Non. Il ne savait pas. Il n’avait jamais cherché à explorer les anfractuosités de son « vieil ami ». ça ne le concernait pas. Les soucis des autres n’étaient pas les siens. Il tenait à la tranquillité de sa conscience. Comment réfléchir s’il fallait, en plus, s’inquiéter des blessures de l’un ou de l’autre et, dans le cas de Mélo, analyser un esprit tordu aux fixations définitivement malsaines ? Tant qu’il lui laissait une place privilégiée dans sa vie, il le suivrait. L’information suffisait. Seulement, elle l’ennuyait. Depuis qu’il se montrait moins conciliant, le jeune homme ne le lâchait plus. Son absence d’un an n’y changeait rien. Mélo ne voulait pas modifier ses habitudes. Il fallait le comprendre, il s’ennuyait terriblement sans lui.

Sa première question resta sans réponse. Il insista.
- Tu as de nouvelles infos ?
- Pas tellement..., soupira Lilian.
L’idée de ce repas l’intriguait presque autant qu’elle le contrariait. Passer par un intermédiaire, signer des messages cryptés, porter un nom russe… Il n’aimait pas ces méthodes, elles dissimulaient toujours quelque chose, et rarement de bonnes nouvelles. Sa première réaction avait été de passer en revue tous ses faux pas. Un contrat trop suspect ? Un cadavre mal caché ? Et, surtout, avait-il attiré l’attention sur lui à Magadan l’hiver dernier ? Ou était-ce son père ? Les fantômes de sa famille qui le poursuivait ? Raisonnablement, il n’avait rien à craindre. Toutes les pistes étaient coupées, il y avait veillé, il n’oubliait jamais les détails. Tant que personne ne le trahissait, il ne craignait rien.
Alors, qui était donc ce Nikolaï Kolyakov ? Un russe, du genre très riche, arrivé aux Etats-Unis depuis peu. Il s’était montré plus accort avec Mélo pour profiter d’une précieuse collaboration avec son pouvoir. Malheureusement, ils n’avaient rien appris de très concluant. Malgré son jeune âge, l’homme avait, semblait-il un bel avenir dans les hydrocarbures. Quand à savoir pourquoi il venait ici et, surtout, connaître leurs « intérêts communs », mystère. « Peut-être qu’il veut juste se recycler dans un autre business, et tu es bien placé pour lui présenter les dernières tendances, non ? Dis, juste comme ça, tu reçois combien d’invitations par jours dans ta boîte aux lettres et tes mails ? », avait finalement dit son assistant, lassé de le voir plisser le front sur des problèmes insolubles quand il pouvait commencer par les évidences. La proposition se tenait, mais elle n’impliquait pas tant de prudence. Les gens normaux qui avaient besoin de ses services ou de ses conseils l’appelaient sur sa ligne directe et lui donnaient des éléments concrets…

- Puisque je te dis que c’est un type de la mafia, déclara soudain Mélo en laissant tomber sa revue bariolée. Russe louche = mafieux, c’est pas compliqué. Tu ne regardes pas assez de films pop-corn Lilian, ça te simplifierait la vie.

Aussi bête que fût sa réflexion, elle n’était pas totalement infondée. Une drogue mise au point par les ex soviétiques était la coqueluche de ces dernières soirées, et, avec la joyeuse bande de camés qu’ils fréquentaient, ils avaient déjà eu droit à un topo détaillé sur ses effets « démentiels ». Lilian l’avait testée aussi. La régénération constante de ses globules rouge nuisait gravement à l’abrutissement de son esprit, et il ne disait jamais non à un produit plus violent que les autres. Verdict ? Pas mal… pour un mutant. Vu ce qu’une seule prise lui avait envoyée, il ne serait pas étonné de voir quelques humains en état de mort cérébrale partielle dans les semaines à venir. Sélection naturelle, comme il aimait le penser. Cependant, en poussant la paranoïa de peu, on pouvait remarquer une certaine corrélation entre  la drogue et Nikolaï. Ce pouvait tout aussi bien être un hasard. Mais il ne croyait pas au hasard, et son mystérieux admirateur non plus, semblait-il.

Le rendez-vous était fixé dans un grand restaurant japonais pour vingt heures. Pourquoi pas. C’était une cuisine à la pointe de la tendance sans être trop guindée, il y avait peu de chances de se tromper. Avant de partir, Lilian hésita entre plusieurs tenues, de la plus sobre à la plus extravagante. Il dû faire un compromis, comme très souvent, le choix d’une entrée en scène qui annonçait à la fois qu’il portait un intérêt à son interlocuteur, mais que certaines règles lui appartenaient toujours. Il avisa une chemise blanche, un pantalon gris à fines rayures noires et une veste légère, coupée court, aux tons grenat. Ses tenues, parfaitement taillées, à la fois contemporaines et passées de mode retenaient souvent toutes les attentions. Il passait pour une sorte de dandy ce qui lui permettait de porter des gants de coton ou de soie sans éveiller de lourds soupçons. On lui passait cette fantaisie, elle allait à son personnage.
Son chauffeur le déposa avec Mélo à 20h05, mais son associé ne se joindrait pas au repas. Il s’occuperait un peu plus loin. Par simple mesure de précaution, Lilian tenait à surveiller ses arrières tant qu’il ne connaissait pas les intentions de Monsieur Kolyakov.

En retard ? Si peu. Il y avait deux manières de maîtriser un entretien, le temps d’avance, ou le retard. La ponctualité était un art de dominé. Lilian aimait parfaire ce genre de détails. Il se montrait désinvolte sur les horaires jusqu’à ce que, lassé, ses rendez-vous réguliers s’autorisent les mêmes libertés. Alors, il le leur faisait remarquer, avec un sourire contrit de circonstance. Salaud, et alors ? Il avait l’argent, il fallait se plier à ses lubies. Pour Nikolaï, les choses étaient légèrement différentes. Il se contentait de poser une certaine distance d’entrée de jeu. Il venait parce qu’il le voulait bien, et, pour le reste, c’était encore chasse gardée.

Il entra d’un pas tranquille dans le restaurant. Une serveuse le reconnut aussitôt comme un client important et s’approcha de lui pour lui demander de se présenter et le guider derrière un paravent dressé pour l’occasion. Derrière, l’homme était très jeune, un peu plus que lui. Il l’évalua d’un regard rapide, bien soigné, plutôt beau garçon, fort peu blond. Un sourire en biais étira ses lèvres. Il prit place sur la chaise que la femme venait de lui tirer et lança d’une voix légère :

- D’étranges rumeurs m’ont soufflées que vous souhaitiez-me rencontrer. Veuillez me pardonner de ne pas avoir encore l’heur de vous connaître Monsieur Kolyakov.

Sous l’affabilité exagérée, le regard était à la fois neutre et appuyé. C’était sa manière habituelle de sonder ses interlocuteurs, peu de mots, une entrée en matière inattendue, voire inappropriée, et il laissait à l’autre le loisir de s’exprimer.


Dernière édition par Lilian D'Eyncourt le Sam 3 Aoû - 16:23, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeSam 27 Juil - 12:14

Le saké est d’excellente qualité. Je me permets donc de me verser une deuxième coupelle en attendant l’arrivée envisageable de mon interlocuteur. Mon corps est depuis – trop ? – longtemps habitué à des eaux-de-vie nettement plus fortes, ce ne sera donc pas un peu d’alcool de vie qui aura raison de mon esprit rationnel. Bien au contraire, le calme appréciable fourni par le paravent qui me coupe du bourdonnement du reste de la salle me fournit les meilleures conditions possibles en vue de l’entrevue à venir. Car il est toujours essentiel de choisir son terrain avant d’engager un duel, fusse-t-il verbal. Et, dans mon cas, c’est la solitude silencieuse que je recherche, solitude m’autorisant à user de mon pouvoir en toute tranquillité.

Solitude néanmoins rompue par l’apparition de deux ombres derrière le paravent. La taille de la première m’amène à penser qu’il s’agit de nouveau de la serveuse, j’en déduis donc que la deuxième pourrait fort bien être celle de mon invité. Déduction bien rapidement confirmée lorsqu’un homme légèrement plus âgé que moi fait son apparition. Je le reconnais immédiatement grâce aux nombreuses photos circulant à son propos. De taille raisonnable, un visage aux contours particulièrement marqués lui donnant un petit côté aristocratique renforcé par les gants qu’il porte, sa tenue ainsi que son entrée en matière m’en disent presque autant que ne le feront ses pensées.

Je le laisse donc avec affabilité s’asseoir et prendre l’initiative de la parole tandis que j’enclenche mon pouvoir, sans pour autant m’introduire immédiatement dans son esprit. J’attends pour cela qu’il ait terminé son petit discours d’introduction, me permettant l’esquisse d’un sourire amusé face à ses manières. En voilà un qui sait jouer son rôle, reste à savoir ce que cette façade cache. Je m’introduis donc très discrètement dans sa psychè de manière à faire un premier sondage préliminaire pour en ressortir presque immédiatement. Et bien en voilà un esprit complexe. En ce court laps de temps, je n’ai pu glaner que des impressions, rien de concret, mais rien de surprenant non plus.

Il se méfie de moi et de ce rendez-vous, il sait qu’il marchera en terrain miné tant que je ne lui aurais pas expliqué ce que je désire, et c’est pour cela qu’il s’est refusé à s’attarder en présentations de manière à me donner l’occasion de prendre les rênes. Une action qui démontre une intelligence aiguisée et surtout une certaine habitude des conversations piégées. Je sens que, quel que soit le résultat de cet entretien, discuter avec Mr D’Eyncourt risque bien de se révéler particulièrement intéressant.


-Rien d’étonnant à cela Monsieur D’Eyncourt, je suis encore un jeune arrivé en terre new-yorkaise et je n’ai pas la prétention de m’être fait un nom en dehors des cercles que je fréquente. Sachez seulement que je représente la firme Kolyakov sur le territoire américain.


Je ne lui en dis pas plus pour l’instant, ne voulant pas dévoiler mon jeu dès le premier tour. Sans compter que je parierais les bénéfices d’une année qu’il n’est pas venu jusqu’ici sans s’informer sur mon compte. Après tout, il suffit de taper Kolyakov sur le premier moteur de recherche internet pour tomber sur la page d’accueil de l’entreprise – légale j’entends – familiale, expliquant en long et en large comment Grand-Père fit la découverte d’un gisement majeur de gaz naturel sur ses terres sibériennes il y a de cela un peu moins de soixante ans, comment il s’assura d’en conserver la propriété en profitant du chaos qui suivit la mort du Petit Père des Peuples et comment l’empire s’est développé depuis.

Néanmoins, il convient que j’entame la négociation d’une façon ou d’une autre. Reste à trouver la bonne. En effet, si j’avais envisagé quelques scénarii avant de venir, je ne pouvais arrêter définitivement mon choix avant de rencontrer Mr D’Eyncourt en personne. Je profite donc du répit que m’offrent les bonnes manières – autrement dit je me permets de lui verser du saké - pour mettre en place les derniers détails de ma stratégie.

-Or, c’est justement mon encore récente arrivée qui m’a amené à vous imposer ma présence. En effet, je désire étendre mon champ d’activités en dehors des sentiers battus, plus précisément dans un autre secteur des services à la personne bien éloigné de celui du gaz. Je désirerais ouvrir un casino. Appelez ça une lubie, un caprice, l’envie de me faire un nom par moi-même au-delà de celui fourni par mes aïeuls ou simplement le désir de me différencier, mais quoi qu’il en soit mon choix est fait. Malheureusement la concurrence est rude peu importe les secteurs et, avant de m’aventurer en terrain inconnu, il m’a semblé utile de s’informer de l’état du marché.

Je fais une pause, en profitant pour m’humidifier la gorge de saké, laissant mon image de jeune héritier qui cherche à quitter le carcan ennuyeux des affaires familiales imprégner doucement mais sûrement l’atmosphère. Je ne pense pas que cela suffise à duper mon interlocuteur que j’ai senti des plus méfiants, mais tant que je n’en saurais pas un peu plus sur lui, je ne m’aventurerais pas plus loin dans mes confidences.

-Or qui mieux que le « Petit prince de l’information » – si vous me permettez d’emprunter cette formule un peu pompeuse à certains media de masse – pour me faire un tour d’horizon du marché existant ? Car, si la rumeur est juste, vous auriez vos entrées dans plus d’un club select. Bien entendu, tout travail méritant rémunération, si l’offre vous intéresse, je pense avoir de quoi satisfaire vos envies, terminais-je en laissant le suspens planer sur les envies en question.

Car quelque chose me dit que ce Monsieur D’Eyncourt ne se satisfera pas d’un simple chèque.
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeSam 3 Aoû - 21:00

Pour toute réponse, un sourire amusé. Le jeune russe reste calme, posé. S’il est surpris, il n’en laisse rien paraître. Son visage conserve une amabilité de façade, et, lorsque les premiers mots tombent, le ton est tout aussi mesuré. Comme il pouvait s’en douter, Kolyakov n’a rien d’un amateur. Sa mise en scène ne l’a pas déstabilisé, il l’a parfaitement assimilée et cherchera à la contourner. Les appréhensions des dernières heures font place au plaisir de trouver un adversaire de choix. New-York a beau être une grande ville, la nouveauté finit par manquer lorsqu’on gravite autour de la même sphère, et, la plupart du temps, le sang neuf se contentait de remplacer des caractères préexistants. Sur une liste, ils seraient peut-être au nombre de vingt, grand maximum. Il suffisait de les maîtriser pour tout connaître. S’il était un créateur, il manquait d’imagination. A propos de son interlocuteur, il était bien évidemment trop tôt pour s’avancer, mais le mystère qui l’entourait jetait un premier défi sur leur table. Son introduction lui en appris très peu. Il pouvait tout au plus apprécier un anglais exempt de tous défauts linguistiques. Tout était calculé et, s’il prenait le temps de choisir ses mots, de placer ses phrases, ce n’était pas dans un souci de tomber juste.

Très affable, il lui servit un verre de saké qu’il accepta volontiers. Puis, quelques éclaircissements vinrent. Peut-être par excès de prudence, il les précéda d’une explication soignée. Il fallait bien le comprendre, il voulait se lancer dans un autre commerce que celui du gaz, tenter les casinos aux Etats-Unis. Voyez-vous cela. Il accepta avec circonspection la thèse de la fantaisie de riche. Il connaissait les caprices des hommes fortunés, et n’avait pas l’habitude de les entendre formulés de cette façon. Au contraire, ils avaient pour eux l’assurance de l’argent, l’enthousiasme de l’ignorance. Ils vous parlaient d’un projet alors, qu’en réalité, il était déjà dressé pierre par pierre dans leur pensée, ne réfléchissaient pas, écoutaient à peine vos conseil, et trouvaient quelqu’un d’autre pour leur donner raison si vous refusiez de contribuer à l’élaboration d’une structure trop bancale. Le jeune Kolyakov devait faire un peu mieux s’il voulait endormir sa méfiance. Personne n’ignorait le rôle des casinos dans la vie nocturne et interlope des cités. Quand ce n’était pas la mafia qui les tenait, des gangs intouchables imposaient une taxe aux propriétaires, et une série de pressions diverses. S’informer de l’état du marché était presque secondaire lorsqu’on se lançait dans ce genre d’affaires. Mais le russe ne s’en remettait pas à la bonne fortune, il comptait gentiment sur sa naïveté ou, en tout cas, sur une complicité tacite. S’il ne s’agissait que d’un casino, Lilian se fichait assez des activités illégales qui s’y dérouleraient, mais, maintenant que le profil de son vis-à-vis se dessinait derrière les non-dits, il guettait le piège. Le casino pouvait n’être lui-même qu’une façade, une manière de le sonder pour le détendre, lui faire avouer des relations supposées avec les milieux criminels ? Il allait peut-être trop loin. Il fallait être aussi tortueux que lui pour imaginer un plan aussi pervers.

- Vous vous aventurerez en effet sur l’un des secteurs les plus territoriaux, dit-il d’une voix neutre. Les propriétaires bien implantés aiment très peu les changements de cet ordre.

Un demi-sourire étira ses lèvres. Il but à son tour, témoigna d’un amusement plus franc lorsque Kolyakov le surnomma « petit prince de l’information ». Mignon, presque adorable. Il n’y avait jamais songé. S’il devait le croire sur parole, il n’y aurait rien d’autre qu’un échange de bons procédés. Comme le lui avait dit Mélo un peu plus tôt, la théorie tenait la route. A bien y réfléchir, s’il décidait demain de monter un casino, il pouvait monter un projet viable avec des moyens humains. Ses talents promotionnels n’étaient pas à prouver non plus. Il connaissait les lois du marché, les règles de la nuit, les techniques marketings qui vous faisaient plonger ou décoller n’importe quelle entreprise dotée d’un minimum de potentiel. Cependant, là n’était pas son métier. Rémunération ou non, il n’avait aucune raison d’aider la famille Kolyakov à s’implanter, que leurs raisons soient honnêtes ou non, mais surtout si elles étaient honnêtes, à dire la vérité.
Il croisa ses mains, comme s’il allait donner un élément de la plus haute importance pour la suite de la conversation. Doucereuse, sa voit souffla :

- Voyons monsieur Kolyakov, n’allez pas si vite à l’ouvrage. Il serait de meilleur ton de commencer par me convaincre, avant d’essayer de me séduire.
Et son regard appuyé brillait de cette lueur dérangeante, qui se tintait toujours d’une ambigüité étrangement hors de propos. Il la perdit presque aussitôt pour ajouter :
- Je suppose, que vous n’ignorez pas que d’autres personnes sont officiellement habilitées à conseiller au mieux les jeunes entrepreneurs. L’argent ne me fait encore suffisamment défaut pour me donner l’envie de changer d’activité. Je serais bien entendu ravi de vous voir réussir une reconversion, mais, puisque vous parlez d’envies, la bienveillance est d’une fadeur peu tentatrice…

Il se tut et pris la carte du restaurant pour la parcourir avec une attention feinte. Ce qu’il attendait ? En ce qui concernait le casino, ses idées restaient floues, mais il ne s’y sentait pas fermement opposé. Une nouvelle expérience présentait toujours quelques attraits. Mais, d’abord, le russe devait lui en dire davantage pour lui prouver sa sincérité. S’il avait quelque mauvaise intention cachées, il finirait par s’emmêler dans ses explications ou par révéler ses premières cartes, faire marcher le chantage, ou toute autre chose susceptible de lui montrer qu’il avait par avance les moyens de le compromettre.
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeMer 7 Aoû - 11:33

Le refus est posé mais clair. Une manière délicate et distinguée de me rappeler qu’il n’est pas un jeune oisillon à peine sorti du nid que la promesse du premier ver grassouillet à proximité fera s’envoler droit dans la cage que l’on lui tend. Ce dont je ne doutais nullement mais que j’aime à me voir confirmer, cette petite piqûre de rappel démontrant définitivement que je ne me suis pas trompé d’interlocuteur en m’adressant au Britannique. Car, toute personne prête à s’engager dans un projet sans méfiance est potentiellement dangereuse puisque, de la même manière que vous l’avez aisément manipulée, un autre peut venir vous remplacer et obtenir ainsi des informations compromettantes sur votre cas. Je préfère donc nettement un adversaire trop méfiant à trop confiant.

Un demi-sourire satisfait se dessine donc de nouveau sur mes lèvres à l’écoute de ses manières qui, derrière une façade savamment maîtrisée de nonchalance, laissent entrevoir la possibilité d’un accord, à condition que je sois capable de le convaincre. Certes, la lueur inquiétante qui a traversé un instant son regard m’amène à vérifier mes conclusions par un rapide coup d’œil à son esprit mais n’y ressentant aucune hostilité latente, je me permets de poursuivre sans tension. S’il avait vraiment voulu m’intimider, ses pulsions auraient été nettement plus visibles dans son esprit, ce qui n’était pas le cas. Cela ne signifie bien entendu nullement que je doive baisser ma garde en sa présence, mais je peux continuer à discuter sans perdre pour autant mon temps.

-Excusez mon empressement, vous avez bien raison, entamais-je donc de nouveau les hostilités avec une lueur d’excuse réelle dans le regard, non pas tant pour mon empressement mais vis-à-vis du petit numéro que j’ai dû lui jouer pour m’assurer que sa réputation n’était pas volée. J’ai tendance à m’emballer lorsqu’un projet me tient à cœur.

O mensonge quand tu nous tiens que tu es doux. S’il y a bien une chose que je sois c’est patient et méticuleux.

-Néanmoins, je maintiens ma première impression. Je ne suis pas sans savoir qu’il existe bon nombre de personnes qui se feraient une joie de me délester amplement de mon argent pour s’assurer d’un nouveau client en me conseillant selon leurs avantages, mais contrairement à ce que certaines mauvaises langues s’imaginent, je ne suis pas né de la dernière pluie. Si mon nom de famille a aidé, bien présenter ne suffit cependant pas pour accéder à un poste comme le mien et j’ai une certaine tendance à me méfier grandement de toute personne qui a trop à gagner à me brosser dans le sens du poil.

Pour une fois, cette tirade est entièrement vraie et vous ne me verrez jamais garder longtemps prêt de moi un homme – ou une femme, pas de sexisme je vous prie – qui ne me contredise jamais, à l’inverse d’Alekseï qui ne supporte pas que ses ordres soient remis en question. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai emmené Dimitri avec moi malgré son refus premier de quitter la mère Patrie. Car il sait lorsqu’il convient de me faire voir les ennuis au-devant desquels je vais. Que j’écoute ensuite ou non ses conseils dépend de la situation, mais j’aime à savoir que je peux me reposer sur lui en cas de doute pour avoir un avis impartial et réfléchi. Ce qui est bien plus que ce que l’on est en droit d’exiger de la plupart de mes subordonnés.

-Par conséquent, si je vous ai choisi parmi la liste des gens qui m’ont été premièrement proposés pour cette entrevue c’est car j’avais la quasi-certitude que vous ne prendriez pas de pincettes au moment de déclarer vos intentions.

*Et j’ai pu constater que mes prédictions se sont avérées véridiques*, conclus-je mentalement avec amusement avant de remplir de nouveau ma coupelle de saké et de m’humidifier de nouveau les lèvres pour pouvoir passer au plat de résistance en toute tranquillité.

-Il est donc désormais question de m’étendre un peu plus sur mes raisons, commençais-je alors sur le ton de la confidence, bien que celle-ci ne soit toujours qu’à demi-mots. Après tout, tout le monde sait que la meilleure façon de faire passer un mensonge est de l’enrober d’une belle enveloppe de vérité. Vous n’êtes en effet pas sans savoir qu’avec la crise que subissent les pays développés de nos jours, les clients se révèlent chaque jour plus tatillons au moment de sortir le porte-monnaie, or je ne vais pas vous faire un dessin, c’est un inconvénient majeur pour les affaires. Néanmoins, j’ai la chance de travailler en grande partie avec des clients représentant tous d’immenses firmes dont les moyens n’ont pas tant diminué. Malheureusement, l’inconvénient est que, qui dit argent dit exigences, et il devient chaque jour plus difficile d’accéder à ces dernières dans un pays qui n’est pas le mien et où mes possessions restent limitées comparées à celles dont je disposais à Moscou. Ainsi, si je désire ouvrir ce casino, c’est en grande partie pour disposer d’un local où mettre à l’aise de potentiels acheteurs dans une ambiance plus prône à leur faire ouvrir les bourses, si vous suivez mon raisonnement.

Bien entendu, les clients dont je parle ici ne sont pas tant mes clients légaux que les illégaux mais toute ma tirade avait la saveur de la vérité car, vraie, elle l’était. En effet, lorsque l’on travaille avec des gros poissons, pour les faire acheter, il est convenable de les mettre dans la bonne disposition d’esprit. Or quoi de mieux qu’un lieu de loisirs de tout genre pour détendre l’atmosphère ? Reste à savoir désormais en quoi mon idée est à même d’intéresser Mr D’Eyncourt car, cette fois-ci, je ne répèterais pas mon erreur de lui faire miroiter ses avantages. Qu’il choisisse de lui-même son intérêt et, si jamais il venait à nécessiter plus d’informations pour faire un choix plus ou moins définitif, je lui fais confiance pour faire connaître ses besoins.
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeJeu 3 Oct - 22:32

Il semblait navré, presque embarrassé d’avoir parlé trop vite. Lilian reposa doucement sa carte. La pantomime se tenait presque. Mais il en faudrait davantage pour le confondre. Rompu à l’observation de ses semblables, l’anglais gardait toujours un souci de cohérence. Certaines attitudes étaient incompatibles avec d’autres, sauf si, bien sûr, il fallait évaluer un esprit chaotique. Kolyakov restait dans la mesure. Peut-être un peu trop. Il connaissait le pouvoir des mots, celui de la séduction, et se pensait visiblement capable d’effacer une fausse note sous un grand sourire. Or, quelque chose ne prenait pas. Il ne l’avait jamais trouvé emballé. S’il avait opté pour ce rôle, son attitude aurait été très différente. Il ne faisait que se rattraper, et prenait un virage serré pour tenter un meilleur angle d’approche. Le constat l’amusa. L’étude des enjôleurs était un petit plaisir dont il ne se lassait pas. Cet homme était probablement très doué pour faire baisser les défenses de ses interlocuteurs. On avait beau conseiller la plus grande méfiance vis-à-vis des personnes trop aimables, la plupart des gens finissaient par tomber dans leurs filets. De son côté, Lilian songea qu’il n’avait jamais véritablement appliqué cette technique. Il n’avait jamais essayé de se faire passer pour un type bien. Les autres s’en persuadaient pour lui, ou forçaient la réalité en assurant qu’ils lui faisaient confiance. C’était étrange, à la fois profondément stupide et rassurant.

Le russe sentait qu’il avait tout intérêt à éviter les raccourcis classiques et fallacieux s’il ne voulait pas perdre un futur allié. Il parla… Longuement. Il maîtrisait à merveille l’art des circonvolutions. Rien de tel, effectivement, qu’une longue explication pour endormir l’esprit de l’adversaire. On ne lui mentait pas, on ne disait pas tout, en gardant l’impression d’un discours fourni. Mais Lilian découpait chaque mot, élaguait déjà le superflu, suivant un défaut professionnel tout journalistique. Son talent à lui consistait plutôt à desceller les failles ou rebondir sur le seul élément intéressant d’une tirade, au mépris de tout ce qu’on avait voulu développer avant. Son magazine s’était fait une réputation solide grâce aux interviews qu’il avait menées de front au début, avant qu’on ne se méfie un peu trop de lui pour lui en accorder. Cependant, une déclaration involontaire était toujours facile à obtenir le jour où il décidait de raviver un scandale. Sa revue portait bien son nom et n’avait pas d’autre but réellement avoué. Le désordre était tout ce qui l’intéressait. Etait-ce un avantage du point de vue de Kolyakov ? Son excessive prudence ne trouvait pas d’explication concrète. Bien sûr, il concevait sans peine sa sincérité lorsqu’il affirmait chercher un collaborateur dénué de cupidité, ou, en tout cas, connu pour son apparente franchise. En affaires, sa réputation restait solide. Personne ne pouvait lui reprocher le moindre faux engagement, et si un accord devait être rompu, ce n’était jamais sans de fortes mises en gardes. Avec les personnes d’importances, Lilian tenait à conserver une sorte de limpidité et, s’il en croyait le sort de son père, il avait eu une excellente intuition. Un jour, un couteau planté dans le dos finissait par vous revenir en plein cœur. Il était heureux d’apprendre ou, de deviner, que sa réputation devenait de plus en plus solide pour ceux qui savaient ce qu’ils pouvaient attendre de lui.

Une coupelle de saké plus tard, il écoutait attentivement ses dernières explications. L’idée d’un casino où « mettre à l’aise » les clients était plaisante, mais peu conventionnelle, voire suspecte. Pensait-il vraiment le duper de cette manière ? Non, sans doute. Il était question d’argent. S’il le connaissait par des sources illégales, il savait qu’il étudiait ses intérêts avant la loi. Cependant, il laissait peu de traces. Alors, il pouvait considérer que ces choses n’avaient pas besoin d’être nommées pour être comprises. Il accepterait ou refuserait sur un faux prétexte, dont le sens voilé serait « je ne veux pas être mêlé à tout cela ».

- Jusque là, tout semble très limpide, dit-il d’une voix posée, non sans une pointe d’ironie. De l’alcool, un zeste d’érotisme, du jeu, et une prodigalité plus leste… Je saisis très bien l’idée, oui… Vous ne modérez pas vos moyens. A dire vrai, je suis toujours ouvert à de nouveaux projets. J’aime les distractions lucratives. Mais, voyez-vous, même si la direction d’un groupe médiatique a ses limites, elle demande aussi beaucoup de temps. Un temps précieux, que je ne voudrais pas perdre sur un coup de poker… malgré mon amour du jeu. – Un sourire étincelant étira ses lèvres. – Je n’investirai pas une seconde sur quelque chose qui ne porterait pas un tant soi peu ma marque. Si vous souhaitez que je m’occupe de la communication, l’orientation artistique sera faite à ma manière et, d’une manière générale, je vous conseille de ne jamais oublier que je tiens à ma réputation, et qu’elle ne saurait être mise à mal.

Il avait momentanément renoncé à l’idée de chercher à savoir si oui ou non le jeune homme avait l’intention de lui nuire. Un excès de méfiance ne menait à rien. Donner une ouverture simple et directe permettrait une discussion plus détendue, et il savait très bien diriger ce genre de rapport sans jamais baisser la garde un instant. Ce qu’ils échangeaient n’étaient que des mots, des plans sur la comète, des possibilités. Il ne s’engageait pas.
La fin de ses paroles sonnait plus gravement, malgré un sourire constant. Cette histoire de « réputation » rappelait qu’il ne laissait pas ses premiers soupçons de côté. La clause essentielle de la plupart de ses contrats était de ne pas nuire à ses affaires. Le signe d’un danger trop proche marquait forcément la rupture. Il avait toujours su fuir à temps et présenter patte blanche lorsque les choses commençaient à mal tourner.
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeSam 12 Oct - 19:27

Aurais-je choisi la bonne solution en l’incitant aussi subtilement que possible à me proposer de lui-même ses conditions plutôt que de chercher à l’appâter avec des avantages peut-être peu à même de l’intéresser ? Il est encore trop tôt pour le dire, néanmoins la discussion semble avoir fait un énorme pas en avant dans les dernières minutes et je pense pouvoir affirmer sans me tromper trop lourdement que nous sommes arrivés à la croisée des chemins. Soit je finis d’accrocher mon possible associé, soit je termine de le détourner de mes affaires. Un simple faux pas maintenant et toutes les circonvolutions et autres envolées verbales de tantôt auront été complètement inutiles. L’entremets est terminé et voici que se profile déjà le plat de résistance. Un plat consistant qu’il faut savoir assaisonner correctement pour éviter l’indigestion.

Mon invité m’a volontairement tendu la perche : sa proposition est claire et précise. Il n’est pas fondamentalement opposé à un partenariat mais à condition que ce dernier porte bien son nom. Il n’associera son nom qu’à un projet digne de lui, comprendre par-là susceptible de lui apporter autant d’avantages qu’il ne m’en apporte. Or, si cela paraît loin d’être évident au premier abord, l’idée ne m’en rebute pas pour autant, bien au contraire. J’ai toujours apprécié les problèmes difficiles à résoudre et chercher à combiner nos deux ambitions dévorantes de manière à faire fructifier nos deux empires est une tâche qui titille fortement mon intellect. A tel point que je ne cherche même plus réellement à sonder les pensées de mon adversaire pour savoir si ses paroles correspondent à ses pensées. J’entends pourtant en arrière-fonds la voix bourrue de Dimitri me remontant les bretelles pour ce manque flagrant de précaution, mais je dois avouer qu’au-delà de mes projets pour cette soirée Mr Lilian D’Eyncourt me fascine chaque minute un peu plus. Outre un esprit retors au sens de complexe comme j’en ai rarement connu et qui semble là comme pour provoquer ma curiosité innée, sa façon de s’exprimer a un charme quasi inexplicable et je comprends soudain mieux pourquoi malgré sa réputation sulfureuse tant d’innocents naïfs tombent chaque jour dans ses filets.

Néanmoins, malgré mon inclination, je n’en perds pas totalement le sens des réalités et je sais reconnaître une menace pour aussi voilée qu’elle soit lorsque l’on m’en adresse une. J’archive donc la légère inflexion du ton de mon compagnon pour de futures discussions et choisit de prendre un instant pour lui répondre. Il s’agit autant de ne pas lui donner l’impression de me ruer sur la première possibilité, voire pire encore de céder à sa première injonction que de trouver les mots exacts pour exprimer ma prochaine proposition. J’en profite donc pour faire signe à un serveur en poste à quelques pas de notre paravent pour qu’il nous apporte les menus. J’avais bien dit qu’il était temps de passer au plat de résistance, n’est-ce pas ?


-Vos demandes me semblent justifiées. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’avais envisagé d’avant-main votre participation active à l’organisation du casino dans les scenarii où vous acceptiez ma proposition, mais je pense ne pas trop m’avancer en déclarant que cela pourrait nous être mutuellement bénéfique. J’aurai en effet dans tous les cas besoin d’un gérant prenant à sa charge la direction artistique qui, je le reconnais sans honte, est loin d’être ma spécialité. Je suis un homme de chiffres, à l’occasion de bonnes paroles, mais fort peu de visions culturelles. Ainsi, si vous vous proposez pour le poste, je serais idiot de ne pas prendre votre candidature en considération.

Surtout que la touche D’Eyncourt serait probablement le plus qui attirera à moi toutes les baleines dont je rêve de délester les portemonnaies. Je poursuis donc sur un ton plus sérieux, une fois ma bonne volonté, pour le coup complètement sincère, mise en avant.

-Néanmoins, vous comprendrez que je dirige un business et qui si, force est de reconnaître que vos recommandations et succès vous précèdent d’une bonne longueur, je n’en peux pas pour autant vous faire de proposition plus concrète sans entendre les idées que vous pourriez me soumettre. Bien entendu, il n’est pas question de vous soumettre à un interrogatoire sur le champ, ce qui serait impoli tout d’abord, et surtout fortement contreproductif, mais je dois vous avouer que je serais néanmoins bien curieux de savoir quelles grandes idées vous traverserait l’esprit en ce moment si le projet devait être mis en route dès ce soir.

Il en effet toujours très révélateur de voir le fonctionnement d’un esprit à l’œuvre sans nécessairement laisser à ce dernier un temps de réflexion trop long qui pourrait décanter les idées brutes et donner une fausse idée de l’ensemble. En attendant néanmoins l’acceptation ou le refus de mon compagnon de soirée, je jette un premier regard au menu que le serveur a déposé devant moi, me préparant à hésiter longtemps entre un plateau de makis végétariens en entrée ou bien une soupe à l’aileron de requin. Douceurs végétales ou entrée en matière liquide, un choix non moins cornélien que toutes les décisions que j’ai dû prendre jusqu’ici dans le but avoué de convaincre mon invité de baisser progressivement ses défenses.
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeMar 5 Nov - 0:14

Un échange de regards scelle silencieusement son dernier message. Lilian ne donnait jamais dans la déclaration ouverte, mais il accordait une valeur équivalente à ses discours voilés, qui présentaient l’avantage d’une interprétation plus souple. Il ne manquait jamais à sa parole. Certains non dits évoluaient juste de temps à autre. Les points de fuite étaient indispensables. Il ne tendait pas de pièges, on ne le coinçait pas, et ses « victimes » ne pouvaient finalement s’en prendre qu’à elles. Avec le jeune Kolyakov, bien sûr, il n’était pas question de présenter un profil adroitement faussé. Il n’en connaissait pas suffisamment sur lui, il ne savait pas encore où il avait intérêt à l’amener. La conversation s’étirait donc toute en douceur. Il endossait, pour ainsi dire, la peau du manipulé, assurait ses arrières, ne posait aucun pion à la hâte. Cependant, le russe commençait à lui inspirer une réelle sympathie derrière ses sourires artificiels. Il possédait une ambivalence charmante, tout à fait séduisante, d’un registre auquel il ne résistait habituellement pas. En d’autres circonstances, Nikolaï serait devenu un sujet d’étude de choix, une personne dont il aurait ardemment souhaité faire la connaissance avant d’entrer, éventuellement, dans un rapport plus professionnel. Il regrettait presque la tournure de ce repas. Et, en même temps, il adorait le défi qu’on lui tendait. Pour cette fois, il faudrait inverser la balance. Le jeune homme avait choisi à sa place.

La perspective d’une nouvelle aventure dans sa vie ne lui déplaisait pas. Il détestait l’immobilisme et, pourtant, rien n’avait beaucoup changé ces dernières années. Ses affaires prospéraient. Il arrivait à un stade où, si le lancement d’un magazine restait un pari risqué, si chaque article à scandale provoquait un vent d’animation, d’hostilités, si l’actualité changeait d’un jour à l’autre, il restait engoncé dans les mêmes mécanismes. Financièrement, il serait compliqué de renoncer à une partie de son marché, et il avait encore beaucoup à développer, mais tout cela commençait à l’ennuyer. Il lui prenait de plus en plus souvent l’envie de tout plaquer, juste passer à autre chose, et surveiller du coin de l’œil la lente progression ou destruction d’un empire abandonné au début de sa gloire. Ce serait presque romantique. Il avait bien failli céder à la tentation pendant sa longue escapade en Europe. La seule chose qui le retenait était un sentiment de possession, et ses désirs trop confus. Que voulait-il faire ? Tout. Ou, pour éviter l’exagération, tout ce qui touchait aux arts, à la communication, tout ce pour quoi il était certain d’avoir du talent et de l’intérêt. Le champ trop vaste des possibles l’étourdissait vite. Il préférait garder le confort d’une situation léguée par sa famille, dont il aimait presque autant la mémoire qu’il la détestait.

Nikolaï piquait au vif son goût pour l’aventure. Que ferait-il d’un casino ? Un véritable terrain de jeux et d’expérimentation sociale, quelque chose de trop osé pour attirer la plupart des investisseurs, mais susceptible de se démarquer des propositions habituelles. Il fallait du neuf, donner l’impression d’un « jamais vu », deviner les désirs les plus profonds de la future clientèle, et leur donner du volume, de la forme, y consacrer un établissement tout entier. Plus il se laissait aller à y penser, plus il trouvait l’idée séduisante. Et ce n’était qu’une esquisse mentale. Avant de se lasser, il savait que son imagination pouvait porter le projet très loin. Il y aurait, de plus, un enjeu plus direct. Il viserait un public très particulier avec le double but de lui soutirer une belle somme d’argent dans la soirée, et d’endormir sa vigilance. Tellement de stratégie dissimulées derrière une fausse bienveillance pouvaient être mises en place… Et il savait que sa réputation et son nom attiseraient les curiosités. La reconverstion était peut-être à étudier après tout… Mais il préférait se contenter de rêvasser, comme cela lui arrivait très souvent. Il connaissait ce monde là, il avait déjà relevé une partie de ses faiblesses, de ses forces, envisagé les évolutions possibles sous différents angles. En réalité, il ne pouvait s’empêcher d’évaluer tous les endroits dans lesquels il mettait les pieds et réfléchissait malgré lui aux meilleurs moyens de tirer parti de leurs avantages. Rien de très sérieux cependant. Il ne se prétendait jamais maître d’un sujet tant qu’il ne l’avait pas étudié en profondeur.

- Je crains que mes grandes idées ne soient encore très abstraites, dit-il pendant que son interlocuteur observait la carte. Vous me confrontez à un imprévu, et j’aurais besoin d’étudier plus en détails mes concurrents pour trouver la meilleure manière de leur faire de l’ombre. Néanmoins, je peux déjà vous faire quelques propositions. – Ses yeux virèrent un instant sur la carte, comme si les réponses se trouvaient sur le menu. Puis, il parla lentement, d’une voix modulée par une ponctuation très appuyée. - Les gens d’aujourd’hui s’ennuient, ils ont besoin d’une sorte de dépaysement nostalgique tout en ayant le sentiment de participer à une manifestation culturelle pleine de controverse. Nous pourrions peut-être feindre l’esprit et l’époque où sévissait le Grand Guignol. Ou faire dans du plus commun, miser sur un décor contemporain, mais surprenant, chercher chaque semaine des thèmes qui piqueront l’envie et la curiosité d’une clientèle qui ne demande qu’à approcher l’idée qu’elle se fait du vice sans en avoir l’air. Peu importe que les autres casinos aient déjà les spectacles les plus prisés de la mégapole, ils reviendront. – Lancée sur un ton presque badin, sa phrase s’acheva par un léger soupir. - Je ne peux vous promettre un lieu paisible et guindé dont le succès sera assuré, mais modéré. Cependant, je peux essayer de distraire suffisamment le non-initié pour le rendre dépendant. C’est même la seule chose qui m’intéresse.

Il délayait les informations, comme toujours. Les réponses trop catégoriques l’ennuyaient, elles le privaient, lui semblait-il d’une partie de sa liberté. Ses idées se concrétiseraient en temps voulu si elles devaient être appliquées. Pour l’instant elles flottaient, vagues à travers ses mots, précises dans un cerveau qui travaillait en large partie avec l’inconscient. Il n’était pas nécessaire d’aller plus loin, de réfléchir plus que de raison à quelque chose qui s’imposerait si on lui tendait une base concrète.
En attendant, il imita son compagnon et observa un peu plus attentivement la carte. La composition de ses repas était aussi une chose à laquelle il réfléchissait très peu, quitte à ne rien manger du tout. Après avoir très souvent frôlé l’anorexie pendant son adolescence, il s’efforçait de garder une santé physique convenable, mais l’appétit l’abandonnait vite, quand il arrivait à le trouver. C’était tellement secondaire. Au restaurant, la plupart du temps, il se contentait de suivre les conseils de ses interlocuteurs, ou d’un serveur. Sa passivité était souvent déconcertante. Il savait cependant apprécier un bon plat, mais, pour le reste, tout lui était égal. Il interrogea sans succès son envie du moment. Et, comme d’habitude, il finirait par suivre la commande précédente ou pointer quelque chose au hasard.

- Les lieux ont-ils une spécialité digne de leur renommée ? demanda-t-il par habitude au bout de quelques secondes.
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeDim 17 Nov - 19:07

Les gens s’ennuient. Une affirmation terrible de par sa véracité. A une époque où l’information est à portée de doigts, où les loisirs sont incessants, la populace se languit. De plus, de mieux, de différent. Rien ne satisfait jamais longtemps l’être humain lambda. La dernière nouveauté est bien vite remplacée dans le cœur du public par plus spectaculaire, plus rapide, plus extraordinaire. Car le voilà bien le mal du vingt-et-unième siècle : l’incapacité à se conformer du présent. Nous vivons l’ère de l’éphémère, idéalisant en permanence un futur que nous craignons cependant trop pour l’approcher de près. L’illusion est notre meilleure amie : illusion de contrôler notre vie, illusion de maîtriser l’espace et le temps, illusion d’être plus que nous ne sommes en réalité. Et si l’illusion n’est pas suffisante, il existe toujours des moyens synthétiques d’atteindre cet état de béatitude si ardemment désiré. Spectacles, relations, drogues, tout est bon pour s’oublier un instant.

Néanmoins, l’illusion finit toujours par se briser et il faut alors tout reprendre à zéro, repartir de rien. Et c’est très exactement sur cette déception toujours renouvelée, ce désir jamais comblé que je joue pour fidéliser mes clients. Je leur offre ainsi des produits qui leur font tourner la tête suffisamment longtemps pour les fidéliser mais de manière cependant incomplète pour qu’ils ressentent le besoin impérieux de revenir se refournir chez moi. C’est là tout l’art du marketing : faire miroiter monts et merveilles au client mais ne jamais pleinement satisfaire ses envies pour l’obliger de manière quasi inconsciente à en redemander de lui-même. Autrement dit un produit parfait se doit d’être défectueux car la perfection n’intéresse personne. Les gens ont besoin de se sentir rassurés dans leur médiocrité tout en ayant l’impression d’être supérieurs à leur voisin. Il faut donc leur offrir ce qui s’approche le plus de la perfection sans jamais atteindre complètement celle-ci. Tout est question de délicats et subtils frôlements plutôt que de plongée réelle.

C’est la loi de la dépendance réduite à sa plus simple expression : on ne peut apprécier un produit que lorsque l’on ressent un manque. Comme la lumière qui produit nécessairement de l’ombre, l’absence totale d’imperfections conduit à un produit terne. Car l’attente du mieux compte presque autant que la réception même de l’objet. Les propositions de D’Eyncourt piquent donc réellement ma curiosité. Sa conception embryonnaire du casino m’attire. A tel point que je décide d’aller jeter un coup d’œil discret aux images que son esprit produit pour accompagner ses paroles. Rien de concret, tout n’est encore qu’un assemblement de couleurs sombres et vives à la fois, captant le regard partout à la fois, mais déjà je ressens un sentiment de surprise mêlée d’émerveillement s’emparer de moi et je sais que c’est exactement l’impression que je veux donner à mes clients. Une illusion d’être happé hors du train-train quotidien, dans un monde constitué de dangers et vices sans conséquences. Le parfait havre où perdre le vernis de bienséance quotidienne pour s’adonner aux plaisirs interdits de la bonne société.

Je me sépare donc presque à contrecœur de cet entrelacs d’impressions à fleur de peau que constitue l’esprit de mon interlocuteur lorsque ce dernier m’interroge à son tour. La spécialité des lieux ? Cela me semble soudain si éloigné des fantasmes d’avenir dans lesquels j’étais plongé quelques secondes auparavant que je dois me faire violence pour ne pas marquer mon instant d’incompréhension. Ce n’est cependant pas la première fois qu’un esprit différent des autres me happe quasi totalement et les années d’entraînement à ne rien laisser paraître entrent bien vite en jeu. Je me reprends alors en penchant les yeux sur le menu qui me sert momentanément de rempart face au regard si inquisiteur de mon compagnon de soirée. Je parcours les lignes des yeux, cherchant mon péché mignon et je tombe bien vite dessus.


-La spécialité est le bœuf de Kobe d’où la file d’attente à l’entrée. La famille du propriétaire possède une ferme dans la préfecture de Hyogo et il se fait livrer par jet privé deux fois par mois. Vous le trouverez à toutes les sauces : steak, sukiyaki, shabu-shabu, sushimi, teppanyaki, … Personnellement, je ne suis pas un grand traditionaliste, je me laisse donc le plus souvent tenter par le shabu-shabu, voir la viande cuire devant soi permet de la sortir exactement au moment désiré du pot d’eau bouillante. Accompagné de légumes en tempura, c’est un véritable régal. Néanmoins si vous préférez vous en remettre au chef, je ne peux que vous conseiller le teppanyaki.

En ce qui me concerne, je préfère m’adonner au teppanyaki lorsque je peux profiter du spectacle offert par les cuisiniers. Car rien de plus impressionnant par exemple qu’un chef cuisinant votre okonomiyaki devant vos yeux. Mais assez tergiversé sur le menu, ce sera bœuf shabu-shabu, légumes tempura et makis végétarien pour moi, je préfère donc en revenir à notre sujet initial de discussion tandis que mon hôte fait son choix.

-Quant à vos idées, je dois m’avouer conquis par votre vision première des choses. Si le projet vous intéresse toujours à tête reposée, je me ferais un plaisir de vous envoyer les plans des lieux d’ici quelques jours pour que vous puissiez spatialiser l’endroit au moment de préparer une première esquisse de vos désirs. De mon point de vue néanmoins, changer le thème de manière hebdomadaire me semble légèrement irréel question financement. Et, tout comme je suis de votre avis que seule une bonne dose de nouveauté doublée de dépaysement sera à même d’attirer tant le passant curieux que l’habitué endurci, je pencherais plutôt pour un roulement mensuel. Autant laisser à tous les moyens de profiter d’une ambiance avant de la leur retirer. Trop se presser pourrait sinon se révéler contreproductif. Frustrer le client oui, mais jusqu’à un certain point seulement. Enfin, je ne pense pas avoir à vous expliquer les règles du métier, vos accomplissements parlent d’eux-mêmes, terminais-je de dire en faisant de nouveau signe au serveur pour qu’il vienne prendre nos commandes respectives.
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeJeu 19 Déc - 17:56

Faire rêver. Offrir du rêve. Les années passaient, et, malgré sa bonne connaissance des stratégies marketing, Lilian s’étonnait toujours de la facilité avec laquelle on les appliquait. Les gens s’enthousiasmaient d’un rien. Leur vie ne tenait sur rien. Leurs existences étaient semblables, leurs désirs identiques. Et, surtout, chacune de leurs aspirations sonnait faux. Ils rêvaient de choses simples, de dérives faciles, se sentaient furieusement décadents pour une entorse aux règles que même son adolescence aurait jugée ridicule, et pourtant, malgré l’accessibilité incroyable des « vices » qu’ils observaient, le cœur vibrant, dans des séries télévisées populaires, ou lisaient en frémissant dans un roman érotique pour dilettantes, ils étaient incapables de les réaliser. Lorsqu’ils osaient briser quelques règles, ils ne savaient pas non plus en profiter. Ils préféraient ne faire les choses qu’à moitié, puis se précipiter sur twitter ou facebook avec des photos provocantes ou un statut énigmatique. Peu importait l’âge au final, la vantardise sociale les comblait. Il fallait leur donner de quoi briller le plus régulièrement possible devant des personnes encore plus fades qu’eux. Montrez leur une séance de bondage sur scène, et vous les verrez jouir de plaisir à l’idée de la folle anecdote qu’ils rapporteraient à leurs amis. Quelque chose dans leurs existences était resté au stade de l’enfance. Lilian était presque impressionné par leur capacité à s’émerveiller de tout sans vivre plus que leurs voisins, ou juste un peu, histoire de se sentir supérieurs. Il songeait à toutes les limites qu’il avait dépassées, sans jamais ressentir le besoin d’en parler, en gardant, sans cesse, l’idée de ne pas être allé suffisamment loin pour sentir la Vie pulser en lui. Il n’aurait su dire s’ils avaient de la chance, ou s’ils étaient juste plus vide que lui, jamais sortis du gouffre dans lequel il craignait de sombrer un jour. La seule chose de certaine était que leur vanité arrangeait ses affaires. D’autres imaginations devaient travailler pour eux, la sienne, et celle de Nikolaï sans doute.

Le jeune russe présentait d’ailleurs quelques signes troublants, un changement subtil dans son expression, son regard, qui écaillait le masque impavide de son visage. Il pouvait, bien sûr, partir du principe que sa description du futur casino l’avait plongé dans une profonde réflexion. Mais Nikolaï ne lui donnait pas l’impression d’une personne qui réfléchissait. Il semblait, au contraire, happé par une sorte de spectacle invisible. Ses yeux ne disaient rien. Ils ne lui paraissaient par réellement absents pourtant. C’était plutôt comme s’il percevait quelque chose au-delà de l’entendement commun. Tout se passa en quelques secondes. Un temps de trop, une fausse note dans la scène qu’étudiait Lilian. Il lisait les visages avec l’acuité dérangeante d’un grand mélomane. Les plus discrets mauvais accords lui écorchaient l’esprit à vif, et celui-ci le mit, un très court instant, en état d’alerte. Son interlocuteur avait peut-être d’autres cartes sous sa manche. Technologie cachée ou gène x ? Il était trop tôt pour le dire. L’idée le préoccupait autant qu’elle lui plaisait, et il la considéra avec prudence tout en écoutant d’une oreille distraite la tirade culinaire du russe.
La gastronomie japonaise avait beau fasciner de nombreux occidentaux, il n’avait jamais réussi à s’y intéresser sincèrement. Le pays lui posait quelques problèmes de compréhension. Ni les valeurs, ni les passions de ce peuple asiatique ne lui inspiraient confiance. Son tempérament très vieille Europe, dans le fond, s’y perdait. Il se contentait de tolérer, de retenir pour quelques minutes les noms en « i » et « u » des plats, tout en se demandant s’il avait réellement envie de manger un aliment au nom aussi absurde que « shabu-shabu », et d’aller vers ce qu’on lui conseillait. Teppanyaki, lui disait-on ? Soit. Après un coup d’œil sur la carte, il en déduisit qu’il s’agissait simplement de viande grillée. Et si c’était autre chose, peu importait, il n’avait aucune préférence.

- Je crois que vous m’avez définitivement convaincu de ma désolante inculture sur ce pays. Il faudra que je m’en remette au chef, dit-il en plaisantant.

Il n’était pas utile d’étendre plus longuement cette parenthèse triviale. Les affaires reprirent. Nikolaï se disait plutôt convaincu par ce qu’il lui avait donné à voir et lui proposait même un plan. La tentation devenait cruelle. Il jouait avec sa curiosité. Sa furieuse envie d’examiner l’espace le pousserait à se projeter, à imaginer tant de choses qu’il deviendrait frustrant de ne pas les réaliser. Il serait piégé. Mais il avait peut-être envie de l’être, s’il pouvait s’assurer que rien ne compromettrait le reste de ses possessions. La collaboration ressemblait trop à un appât pour qu’il ne s’en méfiât pas. Les bons intérêts étaient une chose, mais ils ne suffisaient pas à un esprit aussi paranoïaque que lui. Les contrats d’argent se rompaient facilement. Il préférait les complicités réelles, accompagnées d’une fidélité que seuls les escrocs de haut niveau dans son genre savaient se donner, ou, de manière plus pragmatique, le couteau sous la gorge. Il n’y avait plus de trahison lorsque celle-ci pouvait coûter très cher, sans compensations possibles, à l’autre. Avant le casino, le plus passionnant était donc de trouver un sérieux terrain d’entente.
Au long discours du russe, il retourna des paroles très posées.

- Bien entendu, je parlais des spectacles, et non d’un décor modulable à volonté. Cependant, décliner un même thème sur plusieurs semaines afin de laisser à tous le temps de se joindre à la fête devrait imposer un très bon rythme, tout en créant pour chaque événement une nouvelle clientèle d’habitués.

Même en ciblant son public, les gens continuaient à avoir des goûts quelque peu capricieux. Il fallait d’abord les attirer avec des univers familiers pour les faire venir, les fidéliser, les amener à explorer des terrains plus inattendus une fois qu’ils seraient attachés au lieu pour accepter de s’y laisser surprendre.
L’arrivée d’un serveur le coupa momentanément dans sa lancée pour prendre note de leurs choix. Comme prévu, Lilian se contenta de la spécialité, en y ajoutant cependant une bouteille d’un vin de marque qui n’avait plus rien d’asiatique. Le japonais s’inclina à plusieurs reprises avant de les laisser en paix, et il reprit :

- Je ne pourrais malheureusement vous en dire beaucoup plus sans m’assurer d’un certain nombre d’informations qui dépassent le cadre d’une simple discussion. Vous semblez bien me connaître Monsieur Kolyakov, mais je vous avouerais que l’envoi très inattendu de votre invitation ne m’a pas permis de préparer convenablement cet entretien. J’ignore si vous souhaitiez mentionner des exploits particuliers en rappelant mes grands accomplissements. Cependant, je suis certain que vous saurez m’impressionner avec une aventure dont vous fûtes le héros.

La flatterie avait assez durée, il fallait l’inverser, bloquer les issues de son interlocuteur pour le forcer à se livrer davantage, l’observer dans une autre situation, sur un registre qu’il n’avait probablement pas prévu. Lilian feignait une innocence de circonstance. Ne serait-ce que par politesse, Nikolaï était obligé de trouver quelque chose. Malgré l’ironie évidente de sa dernière phrase, ses yeux brillaient d’une naïve impatience.


Dernière édition par Lilian D'Eyncourt le Mer 15 Jan - 22:32, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeJeu 2 Jan - 19:46

La gastronomie asiatique semble laisser mon interlocuteur indifférent, pour ne pas dire complètement froid. Je n’en prends néanmoins pas ombrage, ayant accepté depuis longtemps que sortir les gens de leurs habitudes culinaires requiert un talent que je ne possède ni ne souhaite posséder. Je me contente aisément de déguster les délices du monde en solitaire, voire avec l’occasionnel amateur, sans ressentir le besoin de convertir toutes mes connaissances. D’ailleurs, si j’avais su que M. D’Eyncourt était un traditionaliste de la dégustation, je l’aurais plutôt invité "Chez Gustave", cependant les petits désagréments faisant également le sel de l’existence, je le laisse se rabattre vers la solution de facilité sans grande inquiétude. Pour autant que la cuisine japonaise recèle de différences vis-à-vis de nos spécialités occidentales, en termes de viande, la saveur et la texture des aliments ne diffère que jusqu’à un certain point, Lilian n’en sera par conséquent pas bouleversé. J’apprécie néanmoins l’effort évident qu’il met à déguiser son manque d’intérêt. Combien à sa place auraient, au choix, étalé leur inculture pour se faire bien voir, ou pire encore démontré une fermeture d’esprit irritante ?

Une fois la question du menu résolue, la conversation reprend un tour plus sérieux et je constate mon erreur d’interprétation d’un léger hochement de tête. Effectivement si c’était de varier les spectacles hebdomadairement qu’il parlait, j’éprouve moins de réticences à cette idée. Tout comme l’ambiance se doit de garder une certaine stabilité pour donner aux habitués des points de repères, l’attraction principale se doit d’être suffisamment éclectique pour ne pas attirer qu’un seul type de public. Sans compter que pour fidéliser, une certaine dose de nouveauté doit se faire sentir. Restera à voir dans quelle mesure la logistique des débuts permettra une rotation si rapide. A mon avis, il est fort probable que changer de spectacle toutes les semaines se révèle trop ambitieux, mais autant ne pas mettre la charrue avant les bœufs en se laissant emporter par des projets qui ne sont encore que de simples chimères. Pour l’instant, cette conversation – pour  aussi profitable qu’elle soit en train de se révéler – n’est rien d’autre que cela, une conversation. Aucun accord n’a été convenu, aucun contrat n’a été signé. Pour autant que j’en sache jusqu’ici, je pourrais tout aussi bien repartir les mains vides.

La demande impromptue de mon compagnon ne me rappelle d’ailleurs que trop combien il serait dangereux de laisser tomber ma garde. Ce n’est pas n’importe qui que j’ai face à moi et, après la demi-heure qui vient de s’écouler à discuter avec lui, j’ai bien l’impression que toutes les rumeurs sur M. D’Eyncourt ne font que frôler la surface de cet homme. Si l’on dit de moi que je suis un manipulateur, j’ai toute l’impression d’être face à un adversaire de taille en la matière. Et, pour être tout à fait honnête, les quelques coups d’œil furtifs lancés dans son esprit tendraient à me faire dire que le moindre faux pas de ma part pourrait très bien mener à ma parte. Quelqu’un possédant un esprit si tortueux ne peut définitivement pas être pris à la légère. Malgré tout, j’apprécie d’être ainsi constamment mis à l’épreuve. Il est habituellement si simple pour moi de convenir exactement aux attentes de mes partenaires que ç’en est presque ennuyant, rencontrer enfin quelqu’un qui est toujours sur la défensive tout en sachant attaquer au bon moment est des plus rafraîchissant. C’est comme faire face à un adversaire digne de nom sur le ring. Tout n’est pas dans la technique mais dans la façon d’anticiper les mouvements de l’autre, dans votre manière de lire les micro-attitudes de l’autre pour anticiper. Et, pour le coup, Lilian a pris le dessus. Il a trouvé la faille et s’y est engouffré de plein pied. Difficile désormais de faire machine arrière. Si je lui sers une anecdote sans saveur, il risque fort de ne plus me prendre au sérieux alors que, si je rentre dans les détails, je m’engage en terrain hautement dangereux. Suis-je donc prêt à prendre un tel risque ?

La voix bourrue de Dimitri résonne à mes oreilles, telle la bonne conscience qu’il est bien malgré lui, pour m’interdire de faire cette idiotie mais c’est trop tard, j’ai mordu à l’hameçon et, pour autant que je puisse le regretter plus tard, je ne désire plus me retirer de ce duel de haut vol. J’adresse donc un demi-sourire au Britannique, histoire de me laisser le temps de trouver une histoire à même de répondre correctement à sa demande. Je rejette d’emblée les histoires officielles, sachant qu’il faut désormais m’engager un peu plus loin dans cette étrange relation. Je ne suis néanmoins pas encore prêt à dévoiler au beau milieu du repas mes secrets les plus sombres. Je porte donc ultimement mon choix sur une anecdote du temps de mes études. Ce sera l’occasion parfaite de démontrer que, malgré mon âge, je ne début pas pour autant au petit jeu des affaires. Bien que sachant que Lilian n’étant pas bien plus âgé que moi, il est peu probable qu’il accorde à ce genre de détail une attention trop poussée.

-Dont je fus le héros au sens plein du terme peut-être pas, dont je ressortis grandement récompensé pour mes efforts, je pense avoir de quoi vous satisfaire, déclarais-je donc avec un sourire provocateur.

Avant de me lancer, j’avale une nouvelle lampée de saké puis me plonge dans des souvenirs qu’appeler « de jeunesse » serait idiot sachant que je n’ai pas encore atteint le quart de siècle.


-Il s’agit tout bêtement du récit de la réussite de mon projet de fin d’études. Les prérequis pour être diplômé étaient simples : monter un simili d’entreprise et la faire prospérer à partir d’un capital de départ d’un maximum de cinq cent livres et d’un minimum de cent. Les seules conditions pour réussir consistaient à ne pas terminer les quatre mois avec moins du double de la somme de départ et à ne pas se faire aider d’une personne déjà impliquée dans le monde du business. Connaissant la plupart de mes camarades et leur incapacité quasi intrinsèque à user de leurs talents sans direction aucune, je dois reconnaître que je sus assez rapidement quel type d’ «entreprise » j’allais monter.

Un sourire satisfait se dessine sur mes lèvres en me rappelant de cette première réussite commerciale.

-Je créais ainsi un cabinet de conseil ouvert à mes camarades en manque de directives et imprimait des flyers pour me faire connaître. Le premier mois, tout le monde me prit pour un fou. Pourquoi me paieraient-ils pour les aider alors qu’ils pouvaient s’en sortir seuls ? Malheureusement, tous les cours du monde ne préparent à la réalité du monde de l’entreprise, pour aussi factice que cette dernière soit, et bon nombre de mes camarades l’apprirent à leurs dépens lorsque les premières erreurs tactiques commencèrent à avoir des conséquences. Personnellement, j’aime à croire que mon père me l’avait inculqué avant même que je n’apprenne à parler.

Et si jamais tel n’est pas le cas, je peux vous assurer que ce n’est pas faute d’avoir essayé.

-Quoi qu’il en soit, à un mois de l’échéance, les premiers désespérés se tournèrent vers mes services, et après avoir remis deux ou trois ventes de goodies sur pied – les gens sont d’un tel manque d’originalité – les clients commencèrent à faire la file devant mes « bureaux ». Il me suffit alors d’augmenter mes prix au fur et à mesure que la date d’échéance approchait et je terminais les quatre mois en ayant joliment quadruplé mes cent livres initiales. Ce n’était certes pas la réussite la plus spectaculaire de la promotion, mais je dois avouer que jusqu’à ce jour, je suis encore assez fier de mes actes.

Peut-être même un peu trop pour être tout à fait honnête, mais une pointe d’orgueil n’a jamais tué personne que je sache. Et puis, qui a dit que j’étais honnête ?
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeVen 17 Jan - 21:07

Lorsqu’il évoquait un projet, Lilian n’aimait pas s’attarder d’abord à sa mise en place, aux premières étapes pénibles qui devaient mener au succès. Il préférait braquer toutes les lumières sur l’apogée souhaitée. Ce qu’il finançait ne pouvait marcher sur une demi mesure. Il voulait le meilleur. L’important était donc de se demander si les plus hautes ambitions de ses futures créations seraient réalisables. Avec Le Scandaleux le processus avait été très proche. Il s’était donné le temps de la réflexion, mais avait tenu à frapper fort dès le coup d’envoi. La revue culturelle avait su intriguer, retenir son lectorat, jusqu’à devenir la référence du genre en déclenchant des polémiques jusqu’aux plateaux télévisés. L’idée incongrue de mélanger un magazine intellectuel à une feuille de choux people s’était révélé d’une efficacité monstre. Parler de ses derniers articles faisait désormais de vous une personne branchée, à la pointe d’une actualité que seule une certaine élite connaissait (ou, du moins, en donnait-on l’illusion). Fier de son succès, Lilian avait racheté et subtilement remanié de nombreux titres depuis. Ces dernières années, il s’agissait d’une sorte de passe temps. Il restructurait des médias en sous marin et n’avait presque pas l’impression de travailler. Alors, s’il fallait lâcher une partie de la presse pour s’attaquer au monde du spectacle, il voulait une réussite aussi grandiose. Et, enfin, soyons réaliste, à l’heure du numérique et d’un abrutissement accéléré des masses, la proposition du russe s’annonçait bien plus lucrative. Ne disait-on pas qu’il fallait vivre avec son temps ?

Mais il attendait autre chose de son interlocuteur. Nikolaï n’était pas ce bon ami qui, depuis vos premières années d’études, vous promettait une place d’associé dans sa nouvelle entreprise. Il ne savait presque rien de lui. Cet élément gênant pour les affaires l’invita à trouver des failles, une brèche où s’engouffrer. Là, il pourrait mesurer plus en détail la sincérité, le degré de fiabilité du jeune homme, et, peut-être, saisir des faiblesses à exploiter plus tard. Dans un milieu comme le leur, faire confiance devenait souvent une erreur. Il n’avait jamais baissé sa garde, même devant des partenaires zélés qui semblaient prêts à tuer pour lui s’il le fallait. Alors qu’il avait su garder sa place et ses secrets jusqu’à présent, il serait regrettable d’activer un générateur à problèmes qui le mènerait à sa perte sous prétexte d’ajouter une épice à son existence.
Piégé, Nikolaï était contraint de trouver une histoire à lui raconter. Pas n’importe quelle anecdote évidemment, une aventure assez incroyable pour mériter d’être retenue, et Lilian savait qu’il était difficile d’improviser ce genre de chose en restant crédible. La vérité était le parti le plus certain. Si le russe essayait de l’embrouiller, il n’aurait aucune difficulté à le remarquer. Malgré un très bon self-control, son interlocuteur n’était pas tout à fait à l’aise. Derrière un sourire poli qui voulait occuper le silence d’une réflexion, l’anglais le sentait légèrement plus tendu, comme si sa circulation sanguine se réglait sur sa concentration cérébrale. Il n’avait pas droit au faux pas. Sans doute passait-il en revue les nombreux passages à la fois brillants et peu avouables de son existence. Il devait trouver quelque chose d’assez léger pour ne pas trop en dévoiler, et il opta très intelligemment sur le terrain neutre de l’université. Le sourire de Lilian valida le compromis. Après tout, les études n’étaient pas si loin derrière eux. Un esprit plus naïf serait bien capable de songer qu’il n’avait encore rien vécu de très exceptionnel à l’extérieur et se lançait, tel un jeune coq bouffi d’ambition, après avoir écrasé un à un ses camarades avec une désolante facilité. La manière dont il avait profité des autres étudiants était très amusante. Pourquoi pas, après tout ? La majorité de ces promotions était composée d’enfants aisés auxquels il manquait encore la stature. Nikolaï n’avait pas monté le projet le plus ambitieux du monde, cependant, il avait trouvé un excellent moyen d’affirmer sa place en société. Ses propres camarades avaient financé d’un bout à l’autre son projet, ils étaient devenus des esclaves consentant, l’avaient élu chef de meute. Cette victoire là n’avait pas de prix. Il l’avait compris très tôt lui aussi, sans aucun autre but, à l’origine, que celui de se faciliter la vie.

- Je vois…, murmura-t-il en s’écartant légèrement de la table pour laisser un serveur remplir son verre de vin. Vous avez su vous rendre indispensable… Suffisamment pour que ces pauvres étudiants soient convaincus qu’ils n’arriveraient à rien sans vous. La méthode remporte toujours un beau succès. Dois-je en conclure que vous continuez à l’appliquer ?

Il leva un regard azuré vers lui, esquissa un léger sourire et bu son verre du bout des lèvres. Les questions se poursuivaient, sur le ton de la conversation, comme s’il ne s’agissait que de formalités auxquelles il serait absurde de ne pas répondre. Cependant, pour l’inciter à poursuivre, il lui accorda ses propres confidences.

- A l’université, j’ai davantage donné dans le divertissement. Je ralliais à moi ces grands génies que l’idée de vivre effrayait et attirait tout à la fois. Je devenais le guide de leurs nuits, celui sous le regard duquel ils osaient tout, et ils furent d’excellent partenaires de travail. C’était une époque agréable, conclut-il en buvant une plus longue gorgée.

L’époque, en réalité, avait commencé bien avant, dès le collège, et peut être même en primaire. Il s’était rendu indispensable d’une autre façon, en appuyant sur la corde sentimentale de ceux qui retenaient son attention. Il créait une dépendance intellectuelle et affective, dont il était doublement difficile de se séparer. Le tromper, refuser de le soutenir menaçait une relation idéalisée. Beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes en pleine construction identitaire n’arrivaient pas à accepter la perspective d’une rupture définitive avec lui. Elle les effrayait. Avec le temps, Lilian s’était légèrement détourné de ce procédé. Les plus de vingt-cinq ans ne fonctionnaient plus de la même manière, et sa réputation lui permettait de poser d’autres arguments sur la table. Même si Nikolaï jugeait son attitude perverse, il savait qu’elle ne lui serait pas plus dérangeante qu’une autre. Il avait aussi appliqué une loi du faible sur le plus faible, une loi qui ne deviendrait pas réalité sur lui… sauf s’il finissait par s’y laisser prendre ? Cette dernière pensée fut appuyée d’un regard plus pesant, plus brillant, aussi espiègle que celui d’un démon qui, tout en dévoilant ses intentions, savait que son piège s’était refermé depuis longtemps.
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeDim 26 Jan - 16:53

Un sourire qui en dit long fait suite à la demande de mon interlocuteur concernant mes méthodes actuelles. Juste ce qu’il faut d’assurance arrogante pour lui faire comprendre que je suis en effet un adepte de l’utilisation à bon escient des capacités de chacun de mes associés, tel le joueur d’échecs déplaçant ses pièces en vue du mat final mais avec la lueur de sérieux nécessaire dans le regard pour ne pas passer pour un adolescent attardé à l’ego démesuré. J’ai certes mes défauts mais le péché d’orgueil ne se trouve pas parmi eux. Car il convient de différencier clairement confiance en soi et suffisance. L’homme qui connaît ses points forts peut les utiliser et aboutir à des résultats spectaculaires, celui qui les surestime court droit à la catastrophe. Or, quelque chose me dit qu’il est désormais temps de dévoiler plus clairement mon jeu à D’Eyncourt.

La discussion vient en effet de prendre un tour plus personnel qui marque l’entrée dans un terrain plus dangereux mais parallèlement plus à même de se révéler hautement productif. Si je ne rate pas le tournant et réussit à m’attirer au-delà de l’intérêt poli de Lilian, une pointe de sympathie de sa part, nos projets communs auraient une véritable chance d’aboutir. Sans compter que, plus le rendez-vous progresse, et plus je me surprends à éprouver une véritable fascination, à la limite du malsain, pour le journaliste. Je n’ai ainsi aucun mal à m’imaginer, adolescent mal dans ma peau que je fus, tombant dans le piège de la toile sentimentale que le Britannique aurait su patiemment tisser autour de mes insécurités. L’idée est à la fois dérangeante et envoûtante. En particulier si j’inclus dans l’équation la donnée hautement volatile qu’était ma mutation à l’époque. Je suis par conséquent bien heureux de n’avoir rencontré Lilian qu’aujourd’hui que je suis en contrôle total de moi-même. Bon, certes mon addiction prononcée aux calmants aurait tendance à limiter la vérité de cette dernière affirmation mais, en comparaison avec la période du lycée, je suis aujourd’hui un être particulièrement fonctionnel. Maladivement curieux et à la limite de la paranoïa constante, mais fonctionnel pour autant. La réussite de mes affaires le démontre suffisamment.

Le regard provocateur de D’Eyncourt me ramène de nouveau sur terre. A force de vouloir en savoir plus sur lui, il va falloir que je fasse attention à ne pas me retrouver happé par son aura magnétique, ou bien plus dangereux englué dans l’attraction profonde que je ressens pour son esprit détraqué après seulement quelques brefs coups d’œil. J’ai en effet la fâcheuse tendance à m’attacher rapidement aux esprits hors du commun qui croisent mon chemin et je mentirais en disant que celui de Lilian ne fait pas partie des trois plus étranges qu’il m’ait été donné de rencontrer. D’ailleurs, s’il m’en était donné l’occasion, je pourrais très certainement passer des heures à visiter les méandres de cet espace en trois dimensions où le haut et le bas semblent s’entrechoquer comme pour mieux vous déboussoler. Malheureusement, le moment est très mal choisi. L’heure est désormais de passer à une conversation légèrement plus détendue, plus intimiste. L’évocation de nos études respectives et de notre passé de manipulateurs a été le signal pour changer de disque. Je me lance donc, choisissant sciemment de lâcher un peu de lest, prenant quelques risques en vue de ramasser des gains d’autant plus grands. Si je ne m’ouvre pas, il ne le fera pas non plus, c’est une certitude.


-Tout est toujours effectivement plus simple quand on a la demi-insouciance de la jeunesse avec soi. C’est d’ailleurs très étrange comme la sortie de l’université représente un tournant qu’on le veuille ou non. Une fois hors des murs rassurants de la faculté, tout semble plus sérieux. Je dirais même que seuls ceux qui savent effectuer la transition ont un avenir.  

Car pour autant que bénéficier d’un empire familial pour vous soutenir aide, cela ne suffit pas, je peux vous l’assurer. Dans le monde des affaires, légales comme illégales, si le chef ne tient pas la route, vous pouvez être sûr qu’il y a dix ambitieux qui ne rêvent que de le remplacer. Dans mon cas, vous pouvez rajouter à cela un frère aîné que je dérange par ma simple existence mais il s’agit d’un cas à part. Soi-dit en passant en parlant de famille, il s’agit peut-être du bon moment pour s’aventurer dans ces eaux-là et terminer le changement de discussion. Je rajoute donc :

-Transition qu’un attachement excessif à ses origines rend bien souvent difficile selon mon expérience. Il faut savoir tirer avantage de son héritage sans pour autant s’en contenter. Le formatage est l’ennemi du renouvellement des générations. Toute la difficulté consistant à se détacher des siens sans couper tous les ponts, un art des plus subtils que je ne suis pas toujours certain de maîtriser à la perfection. Qu’en est-il de votre côté ?

J’en ai suffisamment laissé entendre pour qu’il fasse ses déductions. Car je doute fortement qu’il se soit rendu à notre rendez-vous s’en s’informer un minimum sur moi, à lui désormais de comprendre ce qu’il veut de mes paroles. Je ne me découvrirais pas plus s’il ne me rend pas la pareille. Or, si les informations que j’ai reçues sur son compte sont correctes, je ne suis pas le seul à cette table à venir d’un milieu privilégié. La différence entre lui et moi étant que j’ai gardé un contact bien plus profond avec mes proches mais, qui sait, peut-être ne s’agit-il que d’une façade pour ne pas présenter de failles au public ? Quoiqu’il en soit, c’est à présent à lui de faire un pas en avant s’il veut que je continue. Il est celui qui a – de manière parfaitement calculée je m’en rends maintenant compte – entamé une discussion plus privée, très bien, je suis rentré dans son jeu de plein pied. Néanmoins, je ne suis pas un de ses sujets d’expérimentation, si je ne reçois pas ma part, je me rétracterais de sitôt pour en revenir à des banalités jusqu’à ce que le repas se termine. Il s’agit en effet désormais de déterminer si l’alliance en projet de ce soir sera la simple association de deux partenaires lointains réunis pour la réussite d’une entreprise commerciale ou bien la rencontre de deux personnes destinées à s’entendre sur bien plus qu’un simple casino.
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeVen 31 Jan - 22:49

Si Nikolaï était tombé dans le piège des confidences, il ne fit pas l’erreur de répondre à son attaque concernant ses méthodes de manipulation. Un simple sourire lui suffit à donner une réponse convaincante à la question. Il ne lui dissimulait rien, mais ne perdait pas de points. Lilian appréciait de plus en plus ce petit jeu. Sans le vouloir, le jeune homme lui apportait une distraction bienvenue dans un monde qui s’enlisait au point de chercher à le faire rentrer dans le rang. Absurdité, n’est-il pas ? Hélas, la routine guettait les plus aventureux. Il suffisait, à un moment, de se sentir épuisé par ses dérives, le sentiment d’avoir trop vécu pour goûter à la nouveauté, et on s’assagissait. On devenait l’adulte insipide de nos cauchemars… Or, son intérêt pour le russe réveillait son extravagance. Il lui apportait peut-être ce qui lui manquait depuis son retour à New-York, un autre monde, des possibilités, des plaisirs plus hauts que les tournées de soirée sous acide… De toute manière, il n’arrivait plus à se droguer convenablement. Les évolutions de sa mutation ruinaient ses voyages vers les paradis artificiels. A bout d’idées, il avait même eu la fantaisie de tester la stabilité. Mais ce n’était agréable qu’un temps, une parenthèse, l’illusion d’un équilibre dans une existence vouée au désordre. Dès qu’il essayait d’imiter les autres, il échouait. Un mode de vie « sain » le rendait fou. Les excès l’attiraient vers un gouffre sans fond. Il glissait toujours d’un bord à l’autre, et Nikolaï appuyait dangereusement sur la balance. Ses airs sûrs de lui l’appelaient furieusement. Il connaissait son attitude. Elle était aussi sienne. Et il était plutôt rare de rencontrer des hommes aussi confiants sur leur capacité à tromper, cela sans véritable mauvaise arrière pensée.

En se laissant prendre dans une conversation plus ouverte, le jeune homme lui révélait un réel intérêt. Lilian avait vécu beaucoup de repas commerciaux très ennuyeux. Il sortait rarement des politesses de surface, mis à part lorsqu’il s’agissait de piéger un adversaire. Mais, au fil des mots, il abandonnait l’idée d’une traque méticuleuse. Les informations viendraient d’elles-mêmes. Tant qu’aucun danger ne se présentait, il était tenté de profiter au mieux de cette étonnante rencontre. Les réflexions de Nikolaï sur la sortie de l’université rejoignaient ses pensées. Nombre de diplômés étaient déphasés par le saut dans la vie d’adulte. Certains l’ignoraient et rataient le coche. D’autres faisaient l’erreur de rechercher la sécurité financière et sociale au plus vite. La plupart finissaient ennuyeux à moins de trente ans, avec un travail bien payé mais sans avenir personnel. Ils se piquaient soudain de valeurs, d’une certaine conception de la maturité qui excluait presque toutes les fêtes, et surtout les nuits blanches. Cependant, ils étaient tous comme lui, dans le fond, ils finissaient par en revenir. C’était là, curieusement, avec les personnes qui touchaient la quarantaine, que ses méthodes pratiquées sur les étudiants s’appliquaient à nouveau.

- Faire le choix entre plaisirs et sérieux est difficile. Le second semble le plus porteur. Mais je me plais à croire que le succès le plus durable va à celui qui reste au milieu.

Son sourire paisible ne niait à aucun moment les compliments qu’il se tournait à lui-même. Se moquer de la rigueur du monde le mettait toujours de bonne humeur. Même si ses fêtes n’étaient qu’un vernis passé sur des réalités plus dures, il tenait à sa désinvolture. Une façade, qui, lorsqu’on la prenait à la légère, devenait une arme cruelle. Il suffisait de se laisser un peu trop aller à ses côtés pour perdre la face. Il invoquait les foudres sur lui, et les renvoyait à tous ceux qui mordaient. Comment osait-on le traiter de pitre ? A chaque attitude attendue, il en servait une autre, par caprice d’abord, suivant un refus obstiné des codes et, aussi, plus stratégiquement, pour empêcher à ses adversaires de prendre des coups d’avance sur lui, même s’il ne les trompait qu’à moitié. Ses objectifs étaient la plupart du temps trop ouverts, trop fluctuants pour être anticipés. Il créait simplement des ouvertures et saisissait des occasions.

Mais les réflexions de Nikolaï parvinrent à le surprendre. Il le mena sur une pente inattendue, celle des origines, dans le but manifeste de se livrer et, très certainement, de tirer au clair sa situation familiale. Il faisait appel à leurs connivences d’héritier. Comme lui, il avait su tirer profit de la fortune qu’on lui avait légué, malgré une révolte adolescente qui, au début, le poussait à tout dilapider. L’envie très matérielle de continuer à abuser du luxe, avait finalement rattrapé sa rébellion stérile. Il s’était élevé, pour suivre les pas de ses ancêtres.
Le jeune russe faisait référence à un formatage dont il n’avait pas été la victime ou, du moins, pas de la manière dont il devait y penser. Son père avait exigé une éducation très stricte dans son testament, en estimant qu’un fils digne de lui refuserait chaque code qu’on essayait de lui imposer. Il avait suivi son plan en pensant le contrer, il avait satisfait toutes ses attentes en faisant tout pour insulter sa mémoire. La révélation, quelques mois plus tôt, laissait encore une marque cuisante dans son orgueil. Oui, il voyait très bien où son interlocuteur voulait en venir, il appréciait toutes ces confidences à demi mot, qui en livraient énormément sur les défis de son adolescence, ceux qu’il devait toujours relever, et il détestait les réflexions intriquées dans lesquelles il le plongeait. Il aurait voulu l’égarer qu’il n’aurait pas mieux dit.

Cette histoire de rester à la fois lié aux siens sans tout briser était une sorte d’électrochoc, qui fit passer sur son visage une neutralité surprenante. Détaché de sa famille dès sa plus jeune enfance, il avait passé sa vie à courir après le souvenir effacé de ses parents. Il les avait cherchés sans trop savoir pourquoi, partagé entre l’envie de les maudire, et l’espoir de trouver une raison valable à leur abandon. Sa mère avait l’excuse de s’être fait piéger par son propre compagnon. Il revoyait les cobayes mutants difformes des rocheuses, leurs peaux qui s’étaient flétries comme du papier lorsqu’il les avait vidés de leur sang, l’odeur de chair brûlée qu’ils dégageaient lorsque Orsso les réduisait en centre, les hommes en bocaux, et une image qui le hanterai toute sa vie, celle d’une femme au gène x déréglé qui se décomposait jusqu’aux os et reprenait son apparence à l’infini. Elle les avait suppliés de la tuer entre deux morts… Mais, ce n’était pas le pire. Pire était la révélation de son père en Sibérie. Il avait, en réalité, rencontré sa mère. Tout ce chemin dans un laboratoire souterrain, à nouveau entouré de cobayes, où il avait failli mourir étouffé avant d’être sauvé par un cœur qui, grâce à sa mutation, s’efforçait de battre, tout cela n’avait servi qu’à découvrir les pires ignominies possibles. Et pourtant, son père l’avait convaincu d’une chose, il n’aurait certainement rien été d’autre qu’un gamin capricieux s’il ne lui avait pas infligé toutes ces épreuves, un gosse de riche doué, et aussi mauvais que lui. Il avait longtemps eu l’impression que le mystère autour de ses parents l’empêcherait toujours d’avancer. Aujourd’hui, il souhaitait presque renouer avec cette illusion. S’il avait pu se détacher de ses origines, se voir comme une entité unique et indépendante, tout cela ne serait pas arrivé, il n’aurait pas eu tous ces tourments, et toutes ces images pour le hanter jusqu’à la fin de ses jours. Pourtant, il ne regrettait rien, comme s’il n’avait pas eu le choix. Après tout, sa mère devait mourir une fois pour toutes. Son père aussi. Il avait rétabli une sorte de vérité. Aujourd’hui, il pouvait se dire orphelin sans en douter.

- De mon côté, je crains qu’on ne m’ait pas laissé le choix, finit-il par dire avec un sourire désabusé de circonstances. De manière assez paradoxale, je dirais que je suis un héritier sans famille. Mais je garde des attaches que je ne m’explique pas. J’aurais pu tout revendre, mes biens, les sociétés léguées par mon père, et j’ai poursuivi une partie de son travail. Je suppose qu’il faut bien s’accrocher à ce que l’on peut, surtout lorsqu’une enfance dans un château semble nous prédestiner à un destin hors du commun.

Mais des attaches, en avait-il vraiment ? Il avait essayé de se reconnaître dans les discours de la noblesse conservatrice, et n’y avait vu qu’une grande absurdité. Tout aurait été plus simple si l’idée de marcher dans les traces de ses ancêtres était suffisante. Ce raisonnement simpliste ne fonctionnait pas avec lui. Il s’était accroché à des titres, à de la pierre, pour garder racine quelque part, et il éprouvait encore une sorte de paix romantique lorsqu’il s’autorisait quelques semaines de repos dans son domaine anglais. Il l’aimait comme on apprécie une belle maison chargée d’histoire, avec la satisfaction de la savoir sienne. Mais il n’y aurait jamais rien d’autre qu’un amas de pierres fondamentalement vide de sens, et peuplées de vies trop lointaines pour faire véritablement sens. Que pouvait-il bien répondre de pertinent à Nikolaï ? En ce domaine, il n’avait aucune référence concrète. Sa « relation » avec les siens était aussi absurde que désolante.
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeSam 8 Fév - 17:49

La curiosité ne fut jamais mon amie. Je dirais même qu’elle est ma malédiction. Bien plus perverse que ma mutation, bien plus dangereuse aussi, elle est la raison de ce que je suis aujourd’hui. Mon gène X ne fit que me révéler à moi-même, m’ouvrant une infinité de portes jusque-là cadenassées. Des portes menant toutes à un même univers interdit mais ô combien attirant : l’esprit des autres. Soudain je découvrais comme j’étais à l’étroit entre les murs intangibles de mon cerveau, combien vaste le monde qui s’offrait à moi était. La moindre pensée, aussi fugace fût-elle, était désormais à portée de mes doigts. En me concentrant suffisamment j’entrais dans un espace étrange et intime à la fois, j’envahissais le jardin le plus secret d’une autre personne sans que celle-ci n’en soit même au courant : la violation la plus cruelle et la plus douce qui soit réunie en un seul geste. Le tout saupoudré d’une impression de puissance comme je n’en avais jamais connue. Moi qui avais vécu dans l’ombre terrifiante de mon père et mon frère toute ma vie, jamais assez bon, jamais assez fort, je possédais brusquement une arme qui amena la fierté et l’envie dans les yeux de l’un, la crainte et la jalousie dans ceux de l’autre.

Bien entendu, tout ne fut pas simple, loin de là. La première plongée faillit m’être fatale, incapable de revenir, dérivant d’un esprit à l’autre dans une panique innommable. Et la suite ne se révéla pas plus aisée, car c’est une chose de s’immiscer dans la psyché d’une personne de votre plein gré, ç’en est une autre de vous y retrouver immergé contre votre volonté. Le sentiment de désorientation totale que cela amène est à même de vous faire faire les pires des idioties. Sans compter le sort que peut rencontrer votre corps durant les instants où vous n’êtes plus aux commandes. Heureusement, ces temps sont révolus et je suis aujourd’hui nettement moins prompt à ce que « la radio s’allume d’elle-même » comme j’ai coutume d’appeler ce phénomène des plus désagréables auquel je suis encore soumis de temps à autres, en particulier lorsque j’ai abusé de mon pouvoir. Néanmoins, si les effets secondaires de ma télépathie se sont calmés, ou plutôt si j’ai appris à les contrôler à l’aide de substances médicamenteuses qui feraient hurler à la mort mon médecin traitant, la curiosité dévorante qui me caractérise, elle, ne fait que grandir de jour en jour.

A tel point qu’elle peut parfois en devenir handicapante. Dans mes éphémères relations sentimentales par exemple. Le besoin quasi viscéral de savoir ce qui traverse l’esprit de mon ou ma partenaire finit indéniablement par nous séparer, que j’y découvre le défaut impardonnable ou au contraire que je ne l’y trouve pas et finisse par devoir me débarrasser de l’autre avant d’être amené à franchir la ligne de trop dans mon intarissable soif de connaissances. Mais il y encore pire. Il y a les cas comme celui de Lilian. Ces esprits qui sortent du lot, tels des joyaux brillant de tous leurs feux dans une longue ligne de pierres sans intérêt. Je me retrouve alors tel le papillon irrésistiblement attiré vers la lumière qui lui brûlera les ailes. Pour aussi précautionneusement que je m’en approche, je finis toujours par tomber dans l’abîme. Et ce soir n’aura pas constitué l’exception à la règle, invariablement me voici telle la mouche maudissant sa malchance alors qu’elle cherche vainement à se défaire de la toile de l’araignée qui s’approche.

Les images m’assaillent, dans le désordre le plus complet, sans que je sois capable de leur donner un sens, me contentant de recevoir de plein fouet les sentiments intenses, brutaux, dangereux, qui les accompagnent. Surprise, dégoût, peur, colère, détresse, haine, acceptation mais par-dessus tout une envie, un désir, brûlant, dévorant. De qui ? De quoi ? Je ne saurais vraiment dire, peut-être ne le sait-il même pas lui-même. C’est comme s’il cherchait à se convaincre de quelque chose, l’illusion ultime, celle peut-être après laquelle nous courrons tous : la certitude que nous sommes sur cette terre pour une raison. Que notre existence a un sens, peu importe lequel, peu importe si nous le trouvons jamais, mais qu’il est bien là, quelque part, caché, inchangé, attendant sagement notre arrivée, pour l’éternité s’il le faut.

L’image la plus impressionnante est sans doute aucun celle de cette femme, inlassablement décomposée et inlassablement recomposée. Son regard me poursuivra pour longtemps, j’en suis certain. Mais plus terrifiant encore est l’imbroglio d’émotions qui l’entourent, comme si Lilian ne pouvait – ne voulait ? – choisir parmi toutes les possibilités : peine, amour, dégoût et tant d’autres que les quelques secondes de vision ne m’ont pas laissé le temps de toutes les déchiffrer. Je voudrais d’ailleurs replonger à sa recherche, pour décortiquer le moindre de ses détails, mais ce qu’il reste de mon bon sens me l’interdit. Je peux me permettre de voguer à la surface des pensées du Britannique mais m’aventurer plus loin serait des plus malvenus. Personne n’est là pour me sortir de l’impasse si quoique ce soit venait à arriver. Je me retire donc à regret lorsque sa voix résonne à mes oreilles, lointaine et brumeuse. Mon regard met quelques secondes à retrouver sa clarté. J’entends la fin de ses propos et un sourire que je qualifierais presque de nostalgique m’échappe malgré moi.

La silhouette bedonnante de mon père s’impose à moi et sa voix rocailleuse prononce de nouveau ces mots dont je rêverais de dire que je ne les avais pas attendus toute ma vie : « Je suis si fier de toi mon fils ». C’est tellement pathétique, j’en rirais si la situation était différente. Pour autant que je me sois cru invincible, je n’étais qu’un petit garçon qui aspirait à la reconnaissance paternelle. Même si le père en question était un tueur implacable, même si pour cela je devais marcher sur quiconque se mit en travers de ma route. Mais il est trop tard pour les remords à demi-mots. J’ai assumé depuis longtemps qui je suis, non mieux que cela, ce que je suis. Ni bon, ni mauvais, cynique et opportuniste tout simplement. Présentant une façade aimable et sociable pour mieux m’immiscer jusqu’aux failles les plus profondes de tout un chacun, dans l’espoir enfantin d’y découvrir que je ne suis pas le seul cassé de l’intérieur. J’arrête donc l’emballement des souvenirs, avant que leur déferlement ne m’entraîne trop loin de la réalité et répond à mon interlocuteur, une ombre d’un quelque chose que je ne saurais définir avec précision, à la limite entre regret et critique au coin des yeux :


-Peut-être que c’est justement ce destin qu’on croit prédéfini qui finit par nous écraser. Peut-être qu’en voulant l’accomplir ou au contraire le renier nous nous enfermons nous-mêmes chaque jour un peu plus en son sein. Si nous l’ignorions tout bonnement, qui sait si nous ne serions pas bien plus libres ? Mais il semble bien que ce ne soit qu’un beau rêve de plus, un simple mirage qui s’agite devant nos yeux pour mieux nous narguer avant de disparaître jusqu’à ce que l’envie de refaire une apparition lui revienne. Après tout, la prédestination, la Fortune avec un grand F – peu importe le nom qu’on leur donne – ne sont-ils pas les grands mots qui ont taraudé l’humanité de tout temps ? Quelqu’un a-t-il décidé de ma vie sans me demander mon avis ? Suis-je destiné à être le grand dupe de puissances supérieures pour autant que je me débatte ?

Avalant une nouvelle gorgée de saké pour arrêter le flot des paroles qui semblent ne plus vouloir prendre fin, j’adresse un nouveau sourire de connivence à Lilian.

-Il faut croire que vous me rendez plus philosophique que jamais Mr D’Eyncourt, ou bien ce n’est que le saké qui me donne l’impression d’être cohérent, allez savoir.
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeDim 16 Fév - 21:33

Partageait-il un sentiment si différent de celui de Nikolaï vis-à-vis de sa famille ? Il avait souvent essayé d’imaginer une vie avec des parents. L’idée de ce qui aurait pu être l’obsédait. Le refrain « si j’avais un père, si j’avais une mère… » sifflait souvent dans ses pensées d’enfant. Il ne comptait plus le nombre de scénarios imaginés au gré des situations. Parfois, il voyait le mauvais côté, ses camarades punis, brimés par une autorité absurde, obligés de subir le joug d’esprits incroyablement immatures, instables, malgré la sagesse prétendue de leur âge. Mais, la plupart du temps, il se construisait de belles histoires, des moments privilégiés qui, peut-être, lui auraient permis de partager des choses qu’il aimait, avec des aînés qui lui ressemblaient. Il interrogeait les objets de la maison, leur inventait des valeurs sentimentale, interrogeait les livres de la bibliothèque, se demandait quels récits avaient marqués leur jeunesse. Etait-ce le vieux volume du Comte de Monte Cristo ? Les aventures d’Oliver Twist ? Les facéties de Jeeves ? A quel âge avaient-ils ouvert un roman de Sade ? Ne lui en auraient-ils pas voulu de lire et relire avec fascination les contes de La philosophie dans le boudoir à neuf ans, pour mieux percer les zones encore brumeuses de la prose ? Il s’inventait des interdits, s’amusait à les contourner, à défier une autorité invisible en trouvant des cachettes à ses mauvaises lectures, ou aux films que les autres enfants disaient ne pas avoir le droit de regarder. Puis, quand le poids du décor muet dans lequel il vivait l’oppressait, il brisait quelque chose, un vase, un bibelot, poignardait un tableau. Sa gouvernante le comparait alors à un vandale, elle s’imaginait qu’il essayait de la contrarier. Pauvre idiote égocentrée. Ce qu’il détruisait avait simplement l’erreur d’être trop « beau » pour être sans valeurs aux yeux des absents. Il attendait une réaction, c’était vrai. Il cherchait à attirer l’attention, mais ceux qu’ils visaient n’en savaient jamais rien.

Il n’était jamais revenu de ce monde de fantasmes. Beaucoup d’orphelins s’en sortaient mieux que lui. L’absence, le mensonge n’étaient pas ces seuls problèmes. Il avait subit l’influence du manoir, les siècles d’héritage, l’impression dérangeante de vivre en milieu des morts, des fantômes et d’être important, plus important que ces gamins qui l’éclaboussaient de leur bonheur à l’école, avec leurs fêtes d’anniversaire stériles et leurs cadeaux de Noël. Même s’il s’appliquait à avoir l’air plus chanceux qu’eux, à les frustrer d’être limités par leurs géniteurs, à les pousser au rôle de victime pendant qu’il brandissait le sceptre de la cruauté. Finalement, il avait été incapable de rien construire sans l’ombre de ses parents. Il n’avait ni oublié, ni pardonné. La résolution des mystères ne changeait rien au goût amer du passé. Il tenait les réponses, sa vie avait repris comme avant. Tout semblait déjà scellé. Dans son univers mental, il avait naïvement cru déterrer de nouvelles ressources de son esprit en découvrant la vérité, une motivation plus forte, un sens caché, un autre équilibre, quelque chose, n’importe quoi. Mais il avait vingt-sept ans. Il était trop tard, beaucoup trop tard pour bâtir une conscience plus claire sur le dédale de son esprit. Il avait gardé ses fantasmes. Il n’avait jamais rien connu d’autre que les fantasmes.

Même s’il le cachait le mieux possible, les questions qui l’entraînait dans son enfance contradictoire posait une chape de plomb sur ses pensées. La neutralité glaciale qu’il affectait dans ces moments avait tendance à décourager les plus curieux. Il donnait toujours une réponse imprécise dont personne n’avait l’autorisation de douter. Nikolaï l’accepta avec une facilité étonnante. Trop, à dire vrai, pour ne pas éveiller quelques soupçons. Attentif malgré sa légère contrariété, Lilian avait cru remarquer un changement dans son attitude, encore ce regard absent et fixe à la fois, cette vulnérabilité aussi soudaine que rapide. Quelque chose n’allait pas. Il poursuivit la conversation très naturellement pourtant. Mais une autre lueur perçait son regard, comme s’il avait deviné le double sens de ses mots, et, dans son propre discours, il semblait en tirer un sens plus profond que prévu. Ou le russe était un très bon acteur, et un fin psychologue ou, comme il s’était fait la réflexion un peu plus tôt, quelque chose agissait en amont, quelque chose qui lui déplairait très certainement. Lilian détestait ce type de pressentiments. Il n’en avait jamais sans raison, encore moins lorsqu’ils se produisaient à plusieurs reprises. Pourtant, le jeune homme n’arrivait pas à lui inspirer de réelle antipathie. Au contraire, le phénomène qu’il avait constaté avait, semblait-il, eut pour effet de le rendre plus familier. Ses premières confidences lancées, il s’ouvrait comme une personne très seule qui se sent assez en confiance pour se livrer, parce qu’il avait besoin de parler, et reconnaissait un semblable. Une sorte de coup de foudre ? Lilian avait déjà vécu cette situation, mais il ne pensait pas Nikolaï si simple à séduire, proximité mentale ou non… Les derniers mots eurent un écho étrangement significatif dans son esprit. Il recula sur sa chaise et attrapa son verre. Le ton plus philosophique de la conversation l’aida à reprendre toute sa contenance. Il avait l’habitude de deviser sur des concepts abstraits qui lui permettaient de parler de son expérience sans s’impliquer personnellement et prendre un ascendant certain sur ses interlocuteurs en touchant droit au cœur dès qu’il trouvait quelques points de raccord avec son expérience. Parce qu’il se laissait toujours un rôle de sage parfaitement maître de ses émotions, de son passé et de son futur.

- Les êtres les plus libres sont les plus vains. Ceux qui, paradoxalement, s’enchaînent à l’idée d’une destinée plus haute pour échapper à leur condition, essayeront, au moins, de créer quelque chose. Il y aura toujours quelqu’un pour tracer notre chemin. Inconsciemment ou non, nos choix subissent toujours une influence. Par exemple, c’est votre faute si je suis ici, ajouta-t-il dans un sourire plus cynique qu’amusé. Mais, il est vrai que vous tenez déjà un homme formé par d’autres, ou simplement, par les circonstances de sa première enfance. Sans croire en une puissance supérieure, il semble que l’esprit fasse des choix, avant de les rejeter dans un inconscient contre lequel nous nous débattrons toute notre vie. Nous sommes seuls avec notre folie. Certains ne sont pas assez intelligents pour la comprendre et vous donnent dans l’irrationnel, les démonstrations pénibles d’émotions, et d’autres, apprennent à la dompter, au point d’oublier qu’ils ne sont que fureur. J’aimerais vous dire qu’il suffit de se lâcher et revenir à l’état premier. Chose que vous savez probablement impossible. Parce que vous avez déjà essayé. Vous avez échoué, mais vous recommencerez, en vous trouvant des excuses. Je sais que je n’ai pas le don de lire les pensées, mais n’ai-je pas un peu raison ?

Un serveur s’approcha pour servir leurs plats. Il ne quitta cependant pas Nikolaï des yeux après sa dernière réplique qui, plus légère, tranchait avec le reste de sa tirade. Encore une fois, tout était parfaitement calculé. Il avait prononcé facilement un discours qu’il n’aurait pas supporté d’entendre. Accepter une certaine réalité était une chose, l’entendre concrètement dans la bouche d’un autre en était une autre. Elle devenait souvent écrasante et révoltait, justement, l’inconscient. Nikolaï y serait-il sensible ? Il n’en savait rien, il cherchait à faire baisser sa garde en appuyant sur les failles qu’il venait juste de lui tendre pour l’aider à se trahir, ou, du moins, à écarter l’absurde supposition d’être face à un télépathe. S’il ne l’était pas, il n’aurait aucune réaction (ou serait, toujours, un très bon acteur). S’il l’était, il y avait de fortes chances pour que le caractère inattendu de la déclaration le surprenne et, après cette discussion très sérieuse, soit prise, une seconde de trop, au premier degré.
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeSam 1 Mar - 15:25

Me raccrochant au goût aigre-doux de l’alcool descendant lentement le long de mon œsophage, je remonte péniblement à la surface de mes souvenirs, cherchant à reprendre complètement pied dans la réalité. Je me suis trop aisément laissé entraîner hors des limites que je me fixe habituellement, offrant mon flanc à toutes les attaques avec une naïveté terrifiante. Un frisson métaphorique me parcourt alors l’échine en réalisant que mes inquiétudes amusées de tantôt se sont réalisées : je suis tombé droit dans les filets de mon interlocuteur. Bercé par l’illusion d’une communion intellectuelle que je désire plus que je n’aime à l’avouer, j’ai baissé mes défenses et lui ait permis de s’approcher au-delà de toute précaution élémentaire. De manipulateur, je suis passé à manipulé sans réaliser la transition. Et, désormais que j’en prends conscience, les énormités qui m’ont échappé ici ou là m’explosent à la figure. De toutes les images que j’ai fauchées dans l’esprit de Lilian comment ai-je pu si aisément passer outre leur caractéristique principale ? Avais-je tant besoin de me croire en bonne compagnie pour ne pas réaliser que seul un mutant pourrait observer les horreurs auxquelles d’Eyncourt a assisté et rester stoïque malgré la tempête de sentiments qui faisait rage en son intérieur ? Quel voile m’étais-je laissé apposer devant les yeux pour ne pas voir l’évidence ? La réaction de Lilian dans ses souvenirs est trop proche de celle que j’aurais pu avoir pour ne pas être suspecte.

C’est comme si j’avais soudainement oublié que me ressembler, loin d’être un bon signe, est au contraire un élément digne d’amener méfiance et suspicion. Car rien de plus dangereux pour un illusionniste qu’un autre illusionniste. En effet, malgré nos réticences et notre paranoïa, notre race est probablement la plus prompte à tomber dans le panneau d’un bon embobineur. Trop sûr d’avoir pris toutes les précautions nécessaires, nous finissons toujours par rencontrer celui ou celle que nous avions sous-estimé. Et il semble bien que Lilian soit cette personne dans mon cas. Personne d’autant plus dangereuse que, si je suis maintenant convaincu d’avoir face à moi un camarade mutant, je n’en suis pas plus avancé sur la nature de sa mutation. Or, ma spécialité est la récolte d’informations et rien ne me met plus mal à l’aise que d’être dans l’ignorance d’un fait. J’ai tout bonnement horreur d’en savoir moins qu’un autre et, si rien n’indique que cela soit actuellement le cas, je ne peux me défaire d’un très mauvais pressentiment depuis que j’ai laissé de nouveau la parole au Britannique.

Je décortique par conséquent chacun de ses mots, y cherchant le double-sens qui m’aurait échappé, l’implicite que j’aurais laissé inconsciemment passer. Refusant de plonger de nouveau dans son esprit de peur de me dévoiler une fois de plus, tout en rêvant de pouvoir passer outre ce handicap majeur qui me laisse si vulnérable lorsque je me balade d’esprit en esprit. Et, petit à petit, ses phrases font grandir l’angoisse qui s’est emparée de moi. Là où il y a quelques minutes je me réjouissais de tomber sur un homme partageant mes opinions, je crains désormais d’être tombé sur un prédateur face auquel je ne me suis pas assez préparé. Je sens quasi physiquement mon espace vital se resserrer contre mon gré et ce jusqu’au coup final. Sa dernière phrase me fait ainsi l’effet d’un coup porté en pleine poitrine. Maigre consolation, des années de conditionnement limitent mon geste de surprise à un écarquillement un peu trop poussé des yeux mais je sais désormais que ce sera suffisant pour confirmer les doutes de mon vis-à-vis. Cela m’aurait suffi si la situation était inversée.

L’arrivée du serveur me permet heureusement de ne pas commettre immédiatement d’impair. Je profite donc du répit qui m’est offert pour redresser toutes mes défenses naturelles et réfléchir à la meilleure tactique à adopter désormais. Feindre l’ignorance serait un mouvement d’une inutilité totale, qui ne ferait qu’insulter l’intelligence d’un homme qu’on ne me prendra plus à sous-estimer, ne serait-ce qu’inconsciemment. Quant à mettre les deux pieds dans le plat, ce n’est pas mon style et je crains de ne faire que jouer le rôle qu’il m’aurait ainsi désigné. Ainsi, fierté mal placée ou habitude trop incrustée en moi pour m’en débarrasser, quoiqu’il en soit, je choisis de poursuivre notre duel d’esprits sur le même ton, considérant qu’il est temps de lui rendre la monnaie de sa pièce. Puisqu’il sait et que je sais qu’il sait, autant renverser la situation et lui rappeler qu’il n’est pas le seul à posséder une information digne de chantage. Car ne pas connaître la spécificité de sa mutation ne m’empêche nullement de déduire sans le moindre doute que cette dernière a un potentiel des plus mortifères, j’en veux pour preuve les souvenirs sanglants que j’ai pu admirer lors de mon petit tour chez lui. Un sourire volontairement figé se fixe donc sur mes lèvres alors que je réponds.

-Touché, je vous accorde le point. Néanmoins, je pense pouvoir affirmer sans me tromper n’être pas le seul à avoir donné dans les excès peu avouables à cette table ou bien ais-je tort ? Après tout, le dicton ne dit-il pas que seuls les esprits semblables se comprennent vraiment ? Ou plus prosaïquement et sûrement moins agréable à entendre, ne m’accorderez-vous pas que seuls ceux qui ont marché dans le noir le plus complet, irrémédiablement seuls y compris parmi les autres, incapables de trouver le moindre réconfort dans une autre âme que la leur, sont capables de reconnaître leurs doubles ?

Les reconnaître, les aimer et les craindre. Car existe-t-il de réalité plus repoussante que de rencontrer un Autre qui n’est rien de plus ni de moins que Soi ? Pas physiquement, l’apparence extérieure n’étant qu’une coquille que l’on peut faire et défaire à plaisir. Non, quelqu’un d’identique au sens le plus profond du terme. Un miroir déformant vous renvoyant vos qualités et défauts en les magnifiant. Vous interdisant de fermer les yeux sur ce que vous êtes. Une image qu’on ne peut que vouloir serrer dans ses bras ou au contraire détruire de toute la force de son âme.
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeJeu 6 Mar - 23:59

L’entendez-vous ? Le murmure des vaisseaux qui se serrent, les contractions liquides du cœur, la course des globules carmines jusqu’à la poitrine. Il aimait ce chant, la musique rapide et envolée des muscles qui se réchauffent et se glacent. Pour une raison encore inconnue, Nikolaï perdit pied avant qu’il ne reprenne la parole. Cette étrangeté alourdissait la liste d’accusation. Il avait très certainement découvert des choses qui allaient bien au-delà de ses paroles. S’il s’agissait de télépathie, Lilian n’imaginait que trop bien ce que ses derniers souvenirs avaient laissé entrevoir. La nouvelle lui était très déplaisante. Tout le soin qu’il prenait depuis des années à dissimuler sa mutation ne pouvait être réduit à néant par un fouineur russe. Ce qu’il savait le mettrait-il en danger ? La défiance remontait des deux côtés. Mais Lilian gardait un calme déroutant. Toute son attention restait désormais rivée sur le langage interne de son interlocuteur. Un télépathe de haut niveau avait souvent la fâcheuse tendance de jouer avec la mémoire des individus gênants. Il était fermement décidé à ne pas lui en laisser l’occasion. Le danger faisait frémir le sang sous sa peau. A la plus petite variation cardiaque suspecte, il n’hésiterait pas. C’était une attitude qui le préservait depuis des années. Il ne laissait jamais de témoin lorsqu’une situation tournait à son désavantage. Bien sûr, neutraliser le jeune Kolyakov n’était pas la meilleure des idées. Il accordait encore une certaine valeur à la suite de leur discussion. Lorsque deux mutants aux intérêts similaires se croisaient, il y avait toujours moyen de s’arranger. Il devait beaucoup aux possesseurs du gêne x rangés de son côté.

La tension monta. Sa dernière phrase jeta un point magistral sur le rythme effréné de son organe. Tout se bloqua d’un coup. Le silence absolu, pendant quelques dixièmes de secondes, et la reprise, aussi rapide qu’essoufflée. Nikolaï pouvait bien avoir une maîtrise parfaite de son visage, son corps était un véritable traître. Le dilatement de ses pupilles avait appuyé ses certitudes mais, à ce stade, Lilian n’avait plus besoin de preuves visibles. Si son adversaire pouvait explorer en douce les esprits, il pratiquait un genre de télépathie contre laquelle il lui serait bien difficile de lutter. C’était le meilleur aspect de son pouvoir, et celui que personne ne connaîtrait jamais, à moins qu’il n’en livrât les délicieux avantages.
Après cette première manche brillamment remportée, l’anglais apprécia tous les efforts du russe pour reprendre sa contenance, une véritable lutte de la pensée sur l’organisme. Il se recompose très rapidement une neutralité, et répond avec le plus de mesure possible à sa tirade. Au sujet des excès peu avouables, Lilian ne peut rien lui retourner d’autre qu’un sourire entendu. La suite est beaucoup moins plaisante, mais n’arrive pas à le surprendre réellement. Il s’attendait à découvrir une partie de son intimité violée. Que Nikolaï en soit certain, bonne entente future ou non, cela se paierait. La seule idée de ce qu’il avait pu voir, comprendre, lui comprimait le cœur, faisait fulminer son sang du bout des doigts jusqu’aux épaules. L’espace d’un instant, quelque chose, un éclair, passa dans son regard. Ce n’était pas le signe de la contrariété, de la colère, ou de la peur. Lorsque son impassibilité était brisée par un élan de son inconscient, il en ressortait toujours quelque chose d’extrêmement violent, aussi bref qu’inquiétant. Mais il serait idiot de menacer son interlocuteur. La tournure malicieuse de ses phrases n’empêchait pas l’expression de la sympathie. Il lui opposa son propre reflet. Etaient-ils si semblables ? En tout cas, il était certain qu’aucun d’entre eux n’auraient intérêt à être découverts par un tiers.

A quel genre de réaction son pair s’attendait-il en lui révélant une partie de ce qu’il avait pu deviner ? Comme à son habitude lorsque la situation pouvait échapper à son contrôle, Lilian répondit d’une voix calme et fermée pour former une très aimable mise en garde.

- J’ai parcouru bien des mers houleuses, il est vrai, et, à ce sujet, je vous déconseille fortement de vous y aventurer de nouveau. Comme vous le savez malheureusement, j’ai plus qu’un brillant esprit à vous opposer, et, j’ajouterai même, un sixième sens particulier dont la vigilance n’est pas prête de se relâcher.

En révélant des dons aussi difficiles à analyser, il comptait décourager définitivement Nikolaï. Le jeune homme serait trop prudent pour utiliser son pouvoir sur une personne dont il ne pouvait plus anticiper les réactions et, malgré l’humiliation qu’il éprouvait encore en songeant à ce que le russe avait lu en lui, Lilian gardait son ascendant. Cet état de fait le mettait dans d’assez bonnes dispositions pour l’inciter à entamer son repas. Il mâcha un petit bout de viande, plongé dans une réflexion rapide, et de très nombreuses impulsions contraires. Puis, il posa son couvert, et reprit le verre de vin, apparemment plus intéressant que la nourriture de son assiette.

- Cependant, je ne peux blâmer votre attitude, lança-t-il sur un ton soudain plus primesautier. L’ombre est notre meilleure alliée. Il serait dommage de se priver d’un atout qui offre un avantage sur presque toutes les discussions. J’ai moi-même longtemps regretté de ne pas être pourvu du même talent… avant de tirer un parti tout aussi convaincant des subtilités du mien. – Encore un changement de registre, encore ce regard pétillant et appuyé. - Maintenant, Nikolaï, mon âme romantique est chagrine, il semble que, plus qu’une chance, notre belle entente soit une nécessité. Je n’avais encore jamais rencontré de double, comme vous l’avez si joliment dit, juste de pâles copies. Mais je nous souhaite de nous découvrir des différences. Le contraire serait aussi réjouissant que dangereuse, ne trouvez-vous pas ? Je pourrais vous aimer et vous détruire tout à la fois.

Qui serait passé à côté d’eux à cet instant aurait cru surprendre la discussion de deux futurs amants. Il avait pris une voix plus enveloppée, et souriait, en même temps, d’un air moqueur qui niait en partie l’ambigüité. Ce qu’il cherchait à faire ? Il ne le savait pas très précisément. Il avait presque oublié l’origine de ce repas. Un autre jeu se mettait en place et ce n’était pas exactement de la séduction. S’il ne pouvait pas récupérer les souvenirs volés, il était, au moins bien décidé à lier Nikolaï à lui, à se les réapproprier d’une autre façon, en l’engageant dans une partie insensée, tentante et risquée. Il eut une vague pensée pour Icare, un amant dans une autre vie, qu’il retrouverait peut-être plus tard. Là, songer à son existence l’ennuyait profondément.
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeDim 16 Mar - 11:34

Un éclair primal. Le miroitement involontaire du monstre dissimulé derrière l’humain, de l’animal rongeant son frein dans l’ombre, attendant son moment. Une seconde de dévoilement inconscient qui m’en dit plus que toutes les images dérobées dans son esprit. Un instant suffisant pour réaliser définitivement que c’est sur le fil du rasoir que je suis actuellement. Au bord du précipice, provoquant indécemment le destin à force de titiller la bête. Et pourtant, impossible de faire demi-tour, de revenir au confort et à la sécurité du quotidien. J’ai mis un pied dans l’antre du démon et, sans surprise, j’y ai trouvé mon bonheur. La sensation d’être vivant, réellement, de tout risquer à chaque moment, de miser ma survie au moindre faux pas. L’adrénaline qui parcourt mes veines est la sensation que je recherche en permanence en m’aventurant dans le monde imprévisible des esprits. Cet instant où je me sens tout-puissant, omniscient je dirais presque, jusqu’à la redescente et l’inquiétude d’être allé trop loin qui me prend, la paranoïa qui s’empare de moi et m’empêche de vivre en paix, l’absence de repos naturel, la nécessité de l’arrêt provoqué des capacités mentales… le tout pour mieux recommencer le lendemain.

Dimitri s’insurge contre cette tendance, il considère mon « addiction » malsaine, autodestructrice même pour le citer directement. Il n’a pas tort. A un certain degré, je me démolis consciencieusement dès que j’en ai l’occasion, incapable de décider si mon pouvoir est un don ou une malédiction et l’usant à tort et à travers malgré les nombreux inconvénients qu’il implique. Je sais néanmoins que je tiens trop à ma propre existence pour me laisser dériver trop près du bord. Toujours sur la corniche, mais jamais au-delà. Je ne laisse court à mes tendances nihilistes que tant que je sais que je peux reprendre le contrôle à tout moment. Car, plus encore que le désir de me perdre dans le flot des pensées, c’est la nécessité d’ordre et de puissance qui dirige ma vie. Je navigue ainsi tant bien que mal entre Charybde et Scylla, tendant néanmoins toujours plus vers celle qui me maintient en vie. C’est pourquoi je prends très au sérieux les menaces à peine voilées du Britannique.

En effet, en la personne de Lilian D’Eyncourt, là où je m’attendais à rencontrer un partenaire de travail stimulant et des plus rentables, je suis tombé sur celui qui pourrait tout aussi bien devenir un proche indispensable qu’un ennemi redoutable. Probablement même les deux à la fois. Car, user de mon pouvoir sur lui sans en savoir plus sur le sien relèverait du suicide et je crois avoir laissé assez clair qu’il ne s’agit nullement d’une option que j’envisage, pour aussi détraqué que je puisse me révéler être. Et pourtant, je ne me sens pas plus menacé que ça. J’ai beau être face à un des hommes les plus dangereux pour ma survie qu’il m’ait été donné de rencontrer, je ne peux m’empêcher de deviner – ou bien n’est-ce qu’un fol espoir ? -  qu’il n’a rien à gagner à ma disparition. Au contraire, comme il vient si bien de l’exposer, nous avons désormais besoin l’un de l’autre. Mais pas pour combler un manque, non, c’est bien plus tordu que cela. Il s’agit maintenant de s’assurer que notre mutuelle destruction n’aura pas lieu pendant que l’un de nous a le dos tourné sur son partenaire.

J’avale par conséquent les bouchées de viande fondante, laissant les saveurs de la sauce sucrée sublimer le mets, en réfléchissant à la meilleure façon de poursuivre la discussion. Démarrer une collaboration, c’est désormais affaire réglée, malheureusement ce n’est pas exactement celle que j’avais prévu en arrivant et je sais que je marche à présent sur des œufs. Il s’agit d’en dévoiler suffisamment pour retrouver un terrain d’entente neutralisé sans rentrer dans une complicité que je ne me sens plus de partager après les récentes découvertes. L’heure des confidences viendra bien assez tôt, probablement trop pour nos deux goûts, pourtant d’ici là, il s’agit de conclure une trêve implicite, un pacte nous engageant mutuellement. Et pour cela, la première action consiste à nous remettre sur un pied d’égalité, je réponds donc à la dernière phrase de mon interlocuteur avec un calme qui n’est pas qu’apparent car renforcé par la vérité que porte mes propos.


-Une phrase que je pourrais tout aussi bien vous renvoyer Lilian. Mais, je dois avouer une préférence pour la première éventualité car les répercussions d’une confrontation autre que notre stimulant duel verbal actuel seraient déplorables pour nos deux personnes.

Et bien d’autres, pourrais-je rajouter, mais cela ne nous concerne cependant pas. Car si je n’aurais certainement pas la prétention de considérer avoir déchiffré les mystères du caractère de mon contrariant vis-à-vis, je pense dorénavant en savoir assez pour le déclarer tout au moins aussi narcissique que votre serviteur, peut-être même plus. Mais, on trouve toujours plus de défauts aux autres qu’à soi-même, n’est-ce pas ?

-Cependant, si je reconnais être assez empressé de nous découvrir autant de dissemblances que de ressemblances, je poserais une condition que la redéfinition de notre association rend selon moi nécessaire avant de l’approfondir. Je suis prêt à vous inviter dans mon monde, mais l’invitation est personnelle. Pas de plus un. Appelez-moi possessif, mais je ne partage pas mes attentions. En échange, personne d’autre que moi ne vous dérangera. Bien entendu, l’étendue de notre union nécessitera l’implication de personnes tierces et je suis un businessman autant que vous, tout atout pour l’équipe sera apprécié à sa juste valeur, mais ce que nous partageons doit rester entre nous et uniquement entre nous.

Achevant mon dernier maki, je termine donc sur une question qui déterminera si l’entretien prend fin ici ou s’il n’est que le début d’une fructueuse et ô combien alléchante entente.

-Mes conditions vous semblent-elles raisonnables ou aurais-je le déplaisir de devoir vous remercier pour un repas des plus agréables et excitants ?  
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeVen 4 Avr - 14:41

Il redessinait les règles, chassait les mauvais souvenirs, tout ce qui tâchait l’image du prédateur insondable. Alors que l’étau se resserrait, il était évident que Lilian se laissait emporter par les possibilités multiples de leur échange. Nikolaï l’attirait presque malgré lui au bord des limites qu’il avait toujours refusé de franchir. Ce jeune homme était dangereux. Il n’en ferait très probablement jamais son pantin, même en taquinant ses failles. D’habitude, ses techniques de déstabilisation obtenaient d’excellents résultats sur les personnes intelligentes. Elles cherchaient à le comprendre, à le défier sur son terrain, tiraient sur les mauvaises cordes, s’enroulaient autour, s’emmêlaient, créaient leurs propres liens, lui livraient au bout du compte un esprit si épuisé qu’il arrivait à leur faire dire et promettre n’importe quoi. Lorsqu’il invitait quelqu’un dans son monde, il ne le faisait jamais sans instiller une forte dépendance mentale à l’autre. Ses collaborateurs les plus fidèles redoutaient fictivement sa colère. Ils n’essayaient pas de le duper, le tenaient en trop haute estime pour s’en séparer. Mélo s’accrochait à la routine, Délia continuait de le considérer comme le seul et meilleur ami qu’elle n’aurait jamais. Icare acceptait ses absences prolongées. Iphigénie l’aimait comme un grand frère. Il avait toujours su de quelle manière se rendre indispensable avec les bonnes personnes. Son entourage ne lui renvoyait rien de plus qu’un petit monde confortable fabriqué de toutes pièces. Il écrivait son propre scénario, distribuait les autres, se complaisait dans un univers organisé autour de lui. Les révélations de la Sibérie, n’avaient remis cette illusion en question qu’un temps. Au contact du russe (à croire que l’ex urss le poursuivait) il réalisait que ses dernières actions se contentaient de refermer l’agréable cocon qu’il s’était tissé toutes ces années. Qu’avait-il fait d’extraordinaire depuis son retour ? Rien. Il avait retrouvé un joli garçon à dorloter, essayait de se convaincre qu’il allait vaincre ses démons, trouver le repos dans une stabilité salvatrice…

Il avait réussi à se calmer. Mais, en quelques mots, Nikolaï avait dissipé l’écran de fumé. Et s’il faisait fausse route ? Si la petite vie paisible n’était pas ce qu’il voulait ? Oui. C’était évident. Malgré sa contenance, il n’en menait pas plus large que l’autre mutant. Il lui offrait une possibilité de changement réel, un casino, une plongée probable dans un milieu ouvertement illégal, et, peut-être, la relation la plus intense qu’il n’ait jamais connue. Quand il vit et sentit l’aisance avec laquelle le jeune homme parvint à retrouver son calme pour couper court à une ambigüité qui risquait très vite de lui faire perdre pied, Lilian en fut très positivement contrarié. On ne lui laisserait pas mener la danse jusqu’au bout. Du moins, pas ce soir. Il en souriait d’amusement. Il en aurait presque éclaté de rire si une telle réaction ne risquait pas de le faire passer pour un grand dérangé.

Très sérieux, Nikolaï posa les conditions à son tour. Il reculait dans son domaine, un monde où il serait son hôte, en lui signifiant jalousement que personne d’autre que lui n’aurait le droit d’y entrer sans son autorisation. La balance s’équilibrait à nouveau. Lilian devrait s’aventurer sur un sentier inconnu, où son seul allié était un jeune homme à l’identité trouble qui avait toutes les qualités requises pour devenir son ennemi. Des offres de cet acabit ne l’intéressaient généralement pas. Il n’avançait jamais sans ses fidèles sujets. Mais le russe n’avait dans l’immédiat aucune raison connue de vouloir le tromper. Devait-il résister ? N’aurait-il pas tout le temps de voir venir une conspiration s’ils finissaient par devenir gênants l’un pour l’autre ? Lilian n’était plus l’homme d’affaires timoré qui se lamentait sur les horreurs de sa mutation. Il avait tenu tête à la mort, affronté des créatures échappées d’un véritable cauchemar, appris à tuer de ses propres mains. Finalement, il avait déjà trop goûté au danger pour le refuser, surtout lorsqu’il se présentait sous les traits d’un homme à la conversation si séduisante. Il eut une pensée pour les proches qui resteraient en dehors de ses affaires. Icare en avait l’habitude. Son compagnon ne connaissait pas le tiers de ses activités. Mélo serait plus difficile à gérer. Cependant, il était heureux de s’engager dans une affaire dont il serait exclu sans engager le moindre conflit d’intérêt. Le meilleur partenaire de ses dernières années l’épuisait.
Il poursuivait son plat, comme s’il hésitait encore de la réponse à donner. Les paroles du russe avaient quelque chose d’enveloppant. Aucun businessman raisonnable n’aurait osé de telles tournures. Sans trop en montrer, il réussissait à se faire respecter tout en lui rendant des sous-entendus très peu professionnels.

- Si un simple repas peut devenir agréable et excitant, j’aurais grande peine à refuser d’autres occasions de vous revoir. Vos conditions sont raisonnables, les accepter ne l’est pas. Mais je crains de les respecter sans contraintes. Vous connaissez la règle de l’égoïste, on ne partage rien de mieux que ce qui ne nous intéresse plus.

Comme à son habitude, Lilian ne promettait rien très clairement. Il relevait à peine les menaces, semblait parfaitement sûr de sa bonne foi, et continuait de jouer sur l’ambigüité pour ne pas avoir à s’expliquer. Pour s’amuser aussi, et, disons le, satisfaire un caractère narcissique qui ne pouvait se passer du désir de plaire, un besoin presque maladif de se trouver séduisant. Et, le regard pénétrant, il poursuivit :

- Peut-être sans le vouloir, vous êtes entré dans le cercle très restreint de ceux qui connaissent ma véritable nature. Dans nos intérêts communs, je compte sur votre discrétion, et cela même si vous en veniez à découvrir toutes mes particularités.

Si Nikolaï l’écartait de ses alliés, il était cependant bon de lui rappeler que certains éléments resteraient hors de sa portée, et, surtout, inaccessible à ses fidèles. Ce n’était pas seulement une question de passer pour un humain en société. Il ne tenait pas à ce que l’on donne à trop de personne des moyens de l’éliminer, et il redoutait la réaction de son complice le jour où il saurait comme il lui était facile de retirer la vie à quelqu’un sans laisser la moindre preuve d’un assassinat. L’idée lui plairait probablement autant qu’elle le terrifierait.
Après quelques coups de fourchette, il reposa ses couverts sans avoir tout à fait terminé son plat, et attendit la suite en tirant un sourire entre le majeur et l’annuaire.
Revenir en haut Aller en bas
Nikolaï M. Kolyakov
Neutre Delta
Nikolaï M. Kolyakov


Messages : 133
Date d'inscription : 06/07/2013
Age : 33

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeJeu 24 Avr - 17:20

Avouerais-je un instant d’impatience, peut-être même de panique, lors du silence réflexif de mon vis-à-vis ? Serais-je suffisamment honnête pour reconnaître avoir craint un moment durant un refus qui m’aurait plus affecté qu’il ne conviendrait ? Probablement pas. N’ai-je après tout pas perfectionné l’art de la mauvaise foi ? La meilleure façon de mentir aux autres étant encore de se mentir à soi-même. Pourquoi faire face à ce qui aurait pu avoir lieu quand la vie est déjà si compliquée dans sa version réelle ? Mr d’Eyncourt ayant fini par se ranger à ma proposition, je ne vois aucun intérêt ni présent ni futur à ressasser la possibilité qu’il ne l’eut pas fait. Un sourire satisfait prend donc ses aises sur mon faciès, démontrant ainsi le plaisir non dissimulé que je prends à poursuivre dans l’avenir notre bourgeonnante relation.

J’entends bien entendu les dernières mises au point du Britannique, mais elles me semblent désormais comme les détails perfectionnistes, quasi inutiles, d’un ballet terminé. Ces touches finales que l’on dépose d’un air discret, tout en admirant déjà à l’œuvre accomplie. Certes, la curiosité me harcèle déjà pour en savoir plus sur les pouvoirs mystérieux de mon compagnon, mais je sais reconnaître une bataille perdue. Il convient désormais de se regrouper, nous aurons tout le temps de repartir à l’assaut une fois prochaine. Mieux vaut ne pas gâcher un dîner réussi en s’aventurant plus loin que la prudence la plus élémentaire ne le recommande. Car c’est une chose d’être imprudent, une autre d’être inconscient. Et je me gausse d’être l’un dans certains cas, mais jamais l’autre.

Ainsi, lorsque la dernière bouchée de mon plat rencontre avec la même délectation qu’au commencement mon palais, je prends finalement conscience qu’il est l’heure de mettre un point final à ce premier acte. Les personnages ont été présentés au public et la rencontre fut suffisamment intéressante pour retenir l’attention de tous jusqu’à l’acte suivant. Pourtant, il convient de ne pas trop s’attarder, de peur d’ennuyer le bienveillant spectateur. Ou pire encore, de voir les protagonistes prendre des initiatives malvenues. Car le monde sait combien l’ennui est père des pires idées que notre société ait connues. Reposant donc mes couverts, je m’empare de mon verre, que j’approche de mes lèvres, non sans déclarer préalablement.


-Vous avez ma parole que notre entrevue restera entre nous. Je vous l’ai dit, je ne partage pas, ni les partenaires, ni encore moins les informations. Si je perdais régulièrement le temps d’un spécialiste, il vous dirait sans doute aucun qu’il s’agit là de l’effet pervers d’une enfance trop choyée. J’aime personnellement à penser qu’il s’agit plutôt des conséquences d’une vie passée en compagnie de mon frère, mais puisque selon les professionnels, personne n’est jamais bien placé pour parler de soi-même objectivement, vous devrez me croire sur parole.

Puis, finissant ma dernière lampée de saké, je me ressers, avant de remplir le verre de vin de Lilian et dans un geste reconnaissable entre tous, je lève le mien en l’air.

-Et maintenant, si vous me permettez, je désirerais porter un toast à une alliance improbable mais que je prévois fructueuse et remplie de surprises. A nous de nous assurer qu’elles soient dans l’ensemble bonnes !

Sentant une fois de plus l’alcool descendre dans mon gosier et me réchauffer de l’intérieur, je fais signe au serveur de venir nous apporter l’addition et sans laisser l’opportunité à Lilian de ne serait-ce que sortir son portefeuille je règle nos deux repas, comme l’exige la tradition de toute invitation à un dîner d’affaires. Une fois l’homme reparti, je me tourne ensuite de nouveau vers mon désormais associé et lui tendant la main par-dessus la table m’apprête à sceller physiquement notre alliance.

-Ce fut un véritable plaisir Mr D’Eyncourt. Je vous ferai parvenir les plans du bâtiment ainsi que des coordonnées auxquelles vous pourrez me joindre directement dans le courant de la journée de demain. En espérant avoir de vos nouvelles au plus vite, encore merci pour une soirée qui sortait de l’ordinaire, terminais-je avec une lueur malicieuse dans le regard.
Revenir en haut Aller en bas
Lilian D'Eyncourt
Neutre Delta-Epsilon
Lilian D'Eyncourt


Messages : 178
Date d'inscription : 03/04/2012

Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitimeDim 27 Avr - 17:40

L’enthousiasme avec lequel Nikolaï reçut sa réponse ne fut pas troublé un seul instant par l’ombre inquiétante de ses pouvoirs. Une première interprétation aurait voulu que le russe soit assez confiant pour ignorer la menace. Cependant, Lilian voyait surtout, derrière la couverture fissurée de l’homme d’affaire, un interlocuteur ravi de nouer un partenariat aussi passionnant. Il le comprenait. S’il validait l’amusante théorie des « âmes sœurs », il pouvait même affirmer partager un état d’esprit semblable en cet instant. Ils n’avaient aucunes arrières pensées, une méfiance toute relative de l’autre. Ils s’entendaient si bien, si vite, que l’excès imprimait déjà une marque brûlante dans leur collaboration future. Presque inconsciemment, Nikolaï revint sur son enfance. Il cherchait à justifier son comportement, avait besoin de s’exprimer sur un conflit intérieur non résolu. Etait-ce une habitude ? Se sentait-il suffisamment en confiance pour ouvrir des parenthèses aussi personnelles ? Lilian se contenta de sourire. Il notait chaque détail, essayait de construire un portrait psychologique précis du jeune homme. Les gens avaient l’étrange manie de s’ouvrir rapidement à lui. Ils aimaient sa discrétion, avaient le sentiment d’être compris ou espéraient tout simplement en apprendre plus sur lui. Mais le britannique était d’une discrétion désespérante, une véritable plaie pour les psychologues qui avaient jalonné son enfance. Il avait reçu tous les diagnostiques possibles et imaginables à force de se taire obstinément, ou de modifier ses discours d’une séance à l’autre. Sur la question de la possessivité, il aurait pu répondre que le passé n’était qu’une faible excuse. Il redoutait, à l’inverse, si vivement l’abandon, et le monde en général, que l’idée d’un partage l’effleurait peu. Cela impliquait d’offrir la moitié de son plaisir à un tiers. Il tenait trop aux éclaircies qui stimulaient sur esprit pour les disperser à tous vents.

- Si vous voulez bien croire un homme étranger au concept d’enfance choyée, je suppose que je peux recevoir votre parole, répondit-il par jeu.

L’inexpressivité de son regard n’invitait pas à filer ces nouvelles informations. Comme très souvent, il se contentait d’établir un parallèle qui ne devait mener nulle part. Nikolaï n’apprendrait rien d’extraordinaire. N’importe qui était capable de remonter sa généalogie et découvrir la mort prématurée de ses parents, et sa mise sous tutelle dans un manoir familiale isolé dans la campagne anglaise. Il n’y avait pas vraiment de quoi imaginer une entrée dans la vie saine et heureuse.
Il trinqua à leur association et n’essaya pas de régler l’addition. Selon les convenances, le rôle revenait à Nikolaï, et tous deux gagnaient suffisamment pour n’y voir qu’une formalité dans leurs dépenses quotidiennes. Avec une certaine indifférence, Lilian termina son verre et se resservit une dernière fois pour faire un sort à la bouteille. Ne pas terminer son assiette était une chose, mais condamner un bon vin à l’évier serait sacrilège.
Le repas n’aurait pas de prolongations ce soir. Sans se connaître depuis plus de deux heures, ils venaient de signer un accord dont les implications n’autorisaient pas les imprudences. Aller plus loin risquait de briser la barrière professionnelle très rapidement, s’il en croyait tous les écarts autorisés dans leur petite conversation. L’alcool et la nuit n’étaient jamais de bons conseillers. Il devait prendre le temps de réfléchir, s’assurer une meilleure position avant d’autoriser le russe à entrer plus en avant dans son existence. Les personnes intéressantes se gagnaient à force de patience. Rien n’était plus décevant qu’une bonne relation dont on ne pouvait goûter tout le piment à cause d’étapes sautées trop vite.

- Vous ne savez pas à quel point votre discussion m’a tiré de l’ennui, répondit-il avec la même malice au fond des yeux. Je suis au moins certain que la suite de cette affaire sera passionnante.

Il avança une main gantée pour sceller la rencontre et quitta Nikolaï en prétendant que sa voiture était garée dans une direction opposée à la sienne. En réalité, il devait appeler Mélo pour être récupéré, et s’attendait à le retrouver à moitié ivre dans un de leurs bars habituels. Ce n’était pas raisonnable, mais il se sentait de se joindre à lui afin de se vider la tête et repousser les réflexions au lendemain, quand l’effervescence de la première rencontre serait retombée.

[Terminé \o/]
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





Tout marché mérite étude [PV Lilian] Empty
MessageSujet: Re: Tout marché mérite étude [PV Lilian]   Tout marché mérite étude [PV Lilian] Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
Tout marché mérite étude [PV Lilian]
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Là où tout commence et tout finit... (Forge)
» Là où tout commence et tout finit...[Suite]
» Prit la main dans le sac ? [ Lilian ]
» D'Amour et d'Eau plus vraiment fraîche [PV Lilian]
» Lilian D'Eyncourt [T]

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
X-men RPG :: Hors Jeu :: Topics Terminés :: Ailleurs-
Sauter vers: