Les ombres des songes [Pv Blake]

Dormir devenait de plus en plus difficile au fil des minutes. Il se réveillait de plus en plus souvent, ouvrant les yeux et constatant l'état de plus en plus déplorable de sa douleur mentale. Son rythme cardiaque augmentaient petit à petit bien que son souffle restait plutôt stable. Ce qui l'inquiétait d'avantage était son mal de tête qui commençait déjà si tôt dans la journée ou plutôt si tard dans cette nuit étrangement sombre. Pourtant, même si en temps normal il n'aurait pu rester ainsi plus longtemps, il ne semblait pas avoir de problèmes particuliers à rester ainsi allonger alors qu'au dessus de son œil gauche un couteau traversait son crâne. Il lui suffisait de poser son œil restant sur cette chevelure écarlate et ce doux visage féminin encore paisible. Il passa ses bras derrière sa tête, fermant une fois encore les yeux, apaisé par cette cure si naturelle.

Lorsque Griffe se réveilla en sursaut, se débattant violemment comme hantée par des démons, Tomàs ouvrit les yeux immédiatement. C'était étrange. Alors qu'il ne dormait pas il n'avait senti aucune agitation dans son sommeil, elle s'était réveillée apeurée d'une seconde à l'autre. C'était ce sentiment irrationnel qui traversa l'esprit de Tomàs, comme si tout cela n'était pas qu'un simple cauchemars, mais quelque chose de dangereux, de malsain. Pourquoi ressent-il cela ? Pourquoi en avait-il le sentiment, mais surtout pourquoi ne parvenait-il pas à attraper de manière rationnel ce qui le parcourait à ce moment alors qu'il voyait la fille qu'il aimait se redresser brusquement...

Il se redressa de la même manière, murmurant son nom avec un visage traduisant son inquiétude. Ce n'était qu'un mauvais rêve, un cauchemars, il ne devait pas s'en faire plus que ça et Griffe non plus.

« Maeva... »

Il posa ses mains sur ses épaules, s'attendant à une réaction de sa part. Il voulait simplement la ramener à la réalité. Il est vrai qu'elle avait semblé vouloir se débattre lorsqu'elle s'était réveillée en sursaut et peut-être en ferrait-elle de même si il la touchait, mais ce n'était pas très important. Il la rassurerait même si inconsciemment quelque chose d'autre le tracassait.

« Ça va ? »

Elle retrouvait ses esprits même si ce n’était pas vraiment la manière escomptée par Tomàs. Pourtant, il ne bougea pas, il n’avait ni peur ni de reflexes d’auto-défense. En effet, Griffe avait un regard changé, un regard d’animal, de bête acculée tentant de se défendre dans une attitude agressive. La meilleure défense est l’attaque et l’instinct des animaux l’ont compris bien avant les hommes. Lorsque la fuite n’est plus possible il reste l’attaque pour sauver sa vie et c’est exactement ce que faisait Griffe surement prise par une pulsion de son pouvoir de la même manière que Tomàs pouvait avoir des pulsions liés à ses doubles.

C’est d’ailleurs parce qu’ils étaient tout deux identiques dans leurs souffrances liées à leurs mutations que Tomàs ne bougea pas un sourcil alors que Griffe s’apprêtait à lui sauter à la gorge une fraction de seconde après qu’il ait posé ses mains sur ses épaules. C’est parce que Tomàs comprenait ce que Griffe vivait qu’il lui faisait confiance pour s’arrêter juste à temps. Certains diraient qu’il n’aurait même pas eu le temps de réagir étant donné la vitesse et les reflexes surhumains de Maeva. Quoiqu’il en soit le résultat était le même. Elle avait sans doute perdu le contrôle de son pouvoir suite à ce cauchemar et n’avait pas encore réalisée qu’elle était réveillée au moment ou Blake avait fait irruption dans ses sensations à travers son contact. La question désormais était de savoir si c’est un mauvais rêve qui avait entraîné la perte de contrôle ou si c’est une perte de contrôle durant la nuit qui faisait penser à un simple mauvais rêve. Mais Tomàs n’était pas dupe et il sentait bien que ce n’était pas qu’un simple cauchemar même si il l’espérait alors que Griffe réalisait qui était réellement en face d’elle. Elle s’excusa, s’agrippant à lui accroupie sur le lit. Il la serra également contre lui, passant sa main dans ses cheveux et derrière sa nuque et l’embrassant sur le front.

« C’est rien. Un cauchemar, hein ? »

Dit-il dans un murmure. Il ne voulait pas la forcer à lui parler franchement de ce qu’elle avait vraiment senti, ressenti ni vécu. Il aurait certainement le temps plus tard de lui en parler, lorsque son esprit sera d’avantage reposé. Il espérait aussi qu’elle lui en parle d’elle-même si elle en avait la force.

C’est après ces paroles qu’il retourna lui aussi à la réalité le concernant. Il réalisa son mal de tête qu’il avait presque oublié le temps que Griffe tente de le tuer. Il était une dizaine d’heures trop tôt pour qu’il puisse reprendre les injections auxquelles il avait droit. Malgré tout il se sentait comme un toxicomane réclamant sa dose. C’était atroce à vivre et à contrer car c’est bien ce qu’il faisait actuellement pour ne pas inquiéter Maeva plus que ce qu’elle était actuellement, il tentait tout pour résister à ces pulsions et à les refouler pour quelques heures. Il savait bien que les antalgiques étaient que très peu efficaces pour son mal de tête, mais il devrait sans doute en prendre bientôt pour éviter de devenir dingue.

Quoiqu’il en soit ils formaient à eux deux un drôle de duo, un drôle de couple de mutants amochés par leurs propres pouvoirs. C’est pour cela qu’ils devaient se serrer les coudes et Tomàs serra un peu plus fort Maeva tout en lui rabattant un bout de la couverture sur ses épaules. Peut-être devait-elle songer à dormir encore un peu, à se recoucher pour oublier cela à moins qu’en parler pouvait la soulager d’une partie de son fardeau…

Sa réaction lui décrocha un sourire. Que pouvait-elle faire ? Rien. Mais ce n'était pas un problème pour le moment. Tant qu'il était près d'elle et qu'il recevait de son affection : ses sentiments et ses émotions retrouvaient une hiérarchie plus sereine. Sa douleur devenait alors secondaire et presque facile à oublier, à mettre de côté. Elle avait en réalité juste à être là et être elle même pour que cela aille mieux. Rien donc, mais c'était un avantage car elle n'avait même pas besoin de faire quoique ce soit pour l'aider et l'assister face à ce soucis qui n'en sera bientôt plus un.

En effet, Tomàs ne le sait pas encore mais dans quelques jours cette douleur ne sera plus en lui qu'un souvenir.

Mais revenons en à Maeva qui confirmait bel et bien les suppositions de Tomàs. Ils étaient tout deux sur ce lit, enlacés et elle avoua que son passé resurgissait pendant ses nuits. Du moment que ce n'était que son passé il n'y avait pas vraiment de quoi s'inquiéter et c'est ce qu'en conclu hâtivement Tomàs. Seul le temps peut soigner ce genre de blessure qui s'ouvre lorsque l'esprit est endormi. Il faudrait donc simplement patienter et attendre, vivre pendant ce temps où Griffe oublierait petit à petit d'où elle venait, lâchant son fardeau et se projetant vers un avenir plus radieux que ces ténèbres qui l'envahissent régulièrement. La soutenir et l'accompagner dans ce deuil ne pouvait cependant se faire que si tout était déballé et avoué. Il faudrait qu'un jour elle se confesse plus amplement à Tomàs. Ce moment serait sans doute douloureux pour elle mais nécessaire. Mais il ne pourra advenir que lorsqu'elle aura une confiance pleine et entière envers lui.

Tomàs voulait connaître tout cela pour l'aider d'avantage, pour la comprendre d'avantage que ce qu'il comprenait déjà. Ils étaient tout deux si proche que cela ne lui poserait pas de problèmes de se projeter à la place de Griffe pour comprendre sa peine, ses souffrances, ses blessures et sa colère. Puis il la combattrait, tout deux ensemble. Du moins c'est ainsi que l'on pouvait naïvement imaginer l'avenir de ces deux mutants. Mais l'avenir est incertains et les obstacles grands.

« T'en fais pas. Je vais bien. Je tiendrais le coup aujourd'hui grâce à toi. Il me reste plus qu'une dose. Après ça il faudra que je retourne au Triskellion pour en reprendre aux infirmiers. »

Il marqua une pause, se relâchant un peu plus.

« Je ne connais rien de ton passé même si je crois que je le comprends mieux que personne. Mais c'est une part de toi que j'aimerais connaître. Tu as pas besoin de souffrir seule, plus maintenant. »

Il se rendit compte après avoir prononcé ces mots que ce n'était ni le moment ni l'endroit et qu'il pouvait paraître brutal. C'était vrai qu'il voulait tout connaître de la femme qu'il aimait mais il ne savait pas si de son côté Griffe en avait envie. Il avait l'impression de la forcer et voulu s'excuser.

« Enfin... c'est peut-être pas le bon moment pour ça... Excuse-moi. On devrait peut-être essayer de dormir encore un peu... »


[HJ : désolé c'est pas terrible...]

Dans ce jour naissant, cette touchante naïveté d'une femme troublante et troublée parvenait jusqu'au cœurs de Tomàs. Il était inquiet, oui, il était perturbé et souffrant aussi. Mais cette femme lui transportait son fardeau pour le déposer à mille lieux de leurs préoccupations. Folie ? Inconscience ? Alors que leurs deux corps chute pour s'allonger sur le lit, la fièvre de l'homme tombe également. Le contact charnel, l'influx amoureux et les sentiments puissants calment en lui une part de son esprit. Une part torturée frappant à l’intérieur de son crâne comme pour sortir d'une prison.

L'avenir était incertain malgré l'optimisme de Maeva. Peut-on simplement se tourner complètement vers l'avenir, vers le futur ; lorsque le passé nous hante encore durant nos nuits ? Peut-on regarder vers l'avant avec la peur que l'on nus suit derrière ? Détourner la tête du chemin lorsque nos pas nous emmène et c'est toute la quiétude d'un avenir idéal qui en devient entachée par des plaies non cicatrisées.
Il l'écriront à deux, mais quand commenceront-ils à l'écrire ? Le future commence-t-il maintenant ou doit on attendre indéfiniment que le présent prenne fin ? Cette question, cette inquiétude qui hante Tomàs ne peut plus être dissimulée et elle prend forme en ces jours inhabituels. À partir de quand, les deux êtres se tourneront-ils vers l'avenir... À partir de quand vont-ils enfin être libérés de leurs démons...

Le drap recouvre avec légèreté et une délicate pudeur ses hanches. Il passe ses bras dans son dos pour l'étreindre encore un peu. Des murmures, des baisers, des promesses et tout ce qui fait oublier au soldat sa nature brutale et meurtrière. Griffe fait bien plus que de l'aimer. Par son amour elle le soigne de ses maux et lui rend son humanité, sa raison d'être humain et non chien. Il admire cette femme plus que tout au monde et l'idée que le mal la guette lui est insupportable. Ce n'est rien d'autre qu'un amour égoïste, comme toujours. Il ne fait que sauvegarder sa cure, sauvegarder l'allégorie de son bonheur enfin trouvé, la matérialisation de ses nobles désirs. Car Maeva incarne pour lui plus que l'image de la simple petite amie, elle est l'échelle qui le sort du gouffre, la clefs qui le sort de sa prison, son Salut, sa Rédemption.

« Si tu joues Morphée je veux bien. Mais j'aurais aimé que tu me parles de ton cauchemars, je sais qu'il n'est pas qu'un simple cauchemars. Mais je crois que si on veut écrire notre histoire ensemble comme tu dis, il ne faudrait pas que ce que tu étais ne gâche le présent et l'avenir. Et ça compte aussi pour moi. »

Il l'embrassa à nouveau, sa voix se transformant en un murmure lorsque ses lèvres quittèrent les siennes.

« Je tiens à toi plus qu'à toute cette putain de planète, Maeva. Je n'ai pas peur de ce que tu es, de ce que tu as fais. Je ne veux juste pas que ça te fasse du mal. La mutation peut transformer nos pires souvenirs en souffrances bien réelles, je le sais. »

Il ne bougea pas, pas un sourcils, pas une paupière. Il ne semblait pas avoir de réactions d'une quelconque nature vis-à-vis de ce que Griffe lui avait annoncé. Elle lui révélait son passé et surtout ses tourments. Elle lui avouait ce qui l'avait forgé, lui montrant dans quel métal elle était faite et quel sang coulait dans ses veines. Elle n'avait pas hésité à se dévoiler par amour pour lui et alors que l'humidité de sa tristesse perlait sur ses cils à la simple évocation de ce qu'elle avait traversée ; lui ne bronchait pas. Pourquoi cela ne l'atteignait pas ? Pourquoi ce genre de choses ne le touchaient plus, ne le touchait pas et ne le toucheraient plus ? Son père avait violé sa sœur et l'avait tué. Griffe avait tué également son père se reprochant de ne pas avoir pu sauver sa sœur. Oui, il savait que c'était triste, que c'était grave, il comprenait ce n'était pas le problème, simplement il n'éprouvait aucune empathie ni compassion. Il lui avait demandé tout cela pour savoir, pour comprendre. Mais aussi il voulait vérifier si il ressentait encore quelque chose et si l’évocation de drames par la personne qu'il aimait raviverait en lui le peu d'humanité. Mais il ne fallait pas trop être optimiste. Ce qu'il reste d'humains chez Tomàs Blake est contenu dans l'amour qu'il éprouve pour Griffe, pour Maeva. Toute sa compassion, toute ses parcelles d'hommes, son empathie et sa compréhension sont rassemblée dans un amour sincère. Mais à défaut de l'aimer il ne pourra pas pleurer sa malheur. C'est en quelques sortes la condamnations de ce soldat qui a fait tant souffrir. La sentence divine d'un être qui à trop fait de mal et qui représente à lui seul une métonymie d'une société sur le déclin.

Des viols il n'en a pas commis, non. Mais il a vu nombre de soldats s'abandonner à ces atrocités, sous ses yeux. Des femmes afghanes violées puis tuées, leurs maris observant tout cela pendant que d'autres soldats les tenaient. La guerre pousse les hommes à se comporter en animaux. Mais là où l'intelligence de l'homme l'a aidé à améliorer ses conditions de vie, sur un champ de bataille elle l'aide à être plus cruel encore. Et lorsque la mère est morte ce sont les filles qui y passent peu importe leurs âge finalement l'animal arrive même à confondre les races alors les ages ne sont pas un critère pour lui. Tomàs reste persuadé que la meilleure chose pour ces filles c'est de ne pas y survivre et il est même prêt actuellement à croire que c'est sans doute mieux si le père de Griffe a achevé ce que sa sœur aurait enduré si elle y avait survécu. C'est représentatif du manque d'humanité dont il est victime. Pendant la guerre, lorsque votre supérieur s'adonnent à ces pratiques, résister revient à nier son autorité et dans l'armée il n'y a que cela qui reste et qui donne une cohérence. On suit les ordres point. Le chef dit « tiens-là », vous la tenez ou c'est vous qu'on tiendras la prochaine fois qu'on rentrera au camp de base. Des meurtres il en a commis bon nombre et le plus atroces c'est qu'il ne se souvient pas du nombre ni des visages, il se souvient plus des cris, plus des supplications, plus des insultes, il ne se souvient simplement que du doigt qui appui sur la gâchette, du couteau qui tranche la gorge, du poing qui fracasse la boite crânienne jusqu'à en faire ressortir la matière grise. Alors non... Les discours de la fille qu'il adore et adule ne le touchent pas et il reste silencieux, impassible, réalisant à quel point il est devenu ce qu'il redoutait être : un monstre.

« Je comprends. Mon père a tué ma mère dans la chambre d'à côté et je n'ai rien fait non plus si ce n'est le tuer une fois qu'il avait terminé. Mais c'est rein à côté de ce que j'ai fais par la suite. Je ressens plus rien, plus de compassion, j'ai tout perdu là bas. Y'a que toi qui arrive encore à me faire croire que je suis humain. »