Meet at the the Met [PV Karma][TERMINE]

Le Metropolitan Museum de New-York était un lieu qu’Evan affectionnait. Comme la plupart des musées. Des objets de toutes les époques, des quatre coins du globe, accessibles au plus grand nombre. Il avait parfois eu l'occasion, par le passé d'exercer ses talents sur leurs systèmes de sécurité. Cela lui avait valu quelques soucis. Notamment un soir à Philadelphie où il avait dû quitter la ville avec la police aux fesses après une tentative ratée de cambriolage du Museum of Arts. C'était quelques semaines après avoir quitté le domicile familial. Il y a plus de dix ans. Autant dire, une éternité pour lui.

Mais ce soir, les souvenirs devraient attendre. Le business passait en priorité. Et c'était pour cela qu'Evan était venu au vernissage de l'exposition "Art et Légendes en Asie du Sud-Est". Il avait en effet "emprunté durablement" quelques semaines auparavant un pendentif en saphir du Cambodge à une parrain sur le déclin des triades chinoises de la ville. Un Naga, symbole d'énergie et de lien avec les divinités. Un talisman censé, selon la légende, apporter force et bénédiction divine à celui qui le possède.

Le vernissage était l'occasion de retrouver l'un des responsables du musée auquel il avait pour idée de vendre le précieux bijou. Mais ce dernier se faisait désirer. Pour tuer le temps, Evan profitait du champagne et des petits fours offerts gracieusement par le Met tout en admirant les sculptures Cham arrivées fraîchement du Vietnam.

Spoiler:

Perdu dans ses pensées, Blake mit un certain temps à remarquer qu'il s'était placé juste à côté d'une belle asiatique. Était-ce son contact? Il devait en avoir le cœur net. Prudemment, il lui sourit respectueusement, tout en amorçant la conversation.

"Une formidable expression artistique pour un royaume millénaire. Vous ne trouvez pas? En y regardant de plus près, on trouve certains dénominateurs communs avec les peuples amérindiens comme les mayas. C'est assez déroutant."

Il regarda la jeune femme dans les yeux, lui fit le baise-main et se présenta.

"Mon nom est Heart, Evan Heart...Mademoiselle?..."

" Vous semblez affectée...Veuillez pardonner ma maladresse si je vous ai blessé d'une quelconque manière. Je pensais que vous étiez une experte ou une amatrice d’art. C’est un drôle d’endroit pour venir s’égarer. Puis-je vous offrir ma compagnie pour continuer la visite ? »

Evan avait la nette impression que son approche avait déstabilisé la jeune femme. Elle semblait nostalgique de son pays. Il y avait comme une souffrance dans ses. Blake connaissait bien ce regard. C’était celui des gens dont le passé pesait sur leurs épaules jour après jour et qui néanmoins conservaient la force et le courage d’avancer. Il tenta de la rassurer.

" Je sais ce que c’est d’avoir le mal du pays, croyez-moi. Parfois la Californie me manque. Il faut dire que je dois être le seul imbécile de mon ancien lycée à être venu me geler sur la côte est… »

Bien sûr il s’agissait d’un demi-mensonge. La forme était inventée. Mais le fond, lui, était bien réel. Evan connaissait ce sentiment d’être déraciné, d’avoir laissé une partie de lui-même là où il avait grandi. Il repensait parfois à Sarah, sa sœur aînée. Elle lui manquait. Qu’était-elle devenue ? Il n’avait jamais vraiment cherché à le savoir. Et d’un coup tout cela remontait à la surface.

Evan secoua la tête. Il fallait chasser ces pensées sombres. Se concentrer sur l’ici et maintenant. En l’occurrence la charmante jeune asiatique qui se tenait à côté de lui.

" Et sinon, que faites-vous dans la vie ? »

Des phrases évasives, du mystère dans le regard. Il n’en fallait pas plus pour éveiller la curiosité d’Evan. Et avoir un joli brin de fille à son bras dans un lieu comme celui-ci ne manquait jamais de rendre la situation d’autant plus agréable. Elle avait attisé son intérêt. En résumé, elle était professeur de langues et d’histoire pour un organisme qui l’envoyait en ambassade à un vernissage…Situation peu commune s’il en était…Evan brûlait d’en savoir plus. Mais à priori, la jeune femme aussi, aux vues des questions qu’elle n’avait pas manqué de lui posé. Il décida donc de la titiller un peu.

«J’aurais apprécié d’avoir une enseignante aussi charmante que vous…J’aurais sans doute été plus assidu à l’école. Quoi que pour les cours de langue, rien n’est jamais irrémédiable…»

Là c’était peut-être un peu cash. Il fallait espérer que la jeune femme ait le sens de l’humour et de la dérision, sinon, il était bon pour la gifle en public. Il tenta de rectifier immédiatement le tir après cette phrase malheureuse.

«Veuillez excuser ma maladresse. Mes traits d’humour sont parfois peu à propos. Si vous voulez bien m’en dire plus sur cet organisme qui envoie une jolie enseignante seule dans un musée plein de vieux grabataires ennuyeux à mourir, je me ferais une joie de donner deux ou trois conseils en gestion des ressources humaines à cette personne importante que vous représentez… Et j’en profiterais pour vous inviter à dîner.»

Il lui décrocha un sourire charmeur et rassurant emprunt d’un soupçon de malice. Il avait détourné l’attention sur la question de sa profession. Mais il ne pouvait pas l’éluder. Cela aurait été quelque peu compliqué. Et puis la jeune femme ne semblait pas représenter un véritable danger. Quoi qu’il fallait toujours être vigilant. Aussi Evan resta-t-il assez imprécis.

« Je suis dans le négoce d’œuvres d’art et dans le conseil en matière d’investissements dans le domaine. J’ai une certaine passion pour l’histoire. J’aime particulièrement l’antiquité grecque et l’esthétisme de ses statues. Et vous quelle est votre période de prédilection ?»

Soit elle jouait avec lui, soit elle était quelque peu simplette. Evan eut l’air surpris quand elle lui demanda ce qu’il sous-entendait. C’te bonne blague ! Il ne put s’empêcher d’exprimer un petit rire étouffé par un sourire en coin. C’était la meilleure celle-là ! Il fallait qu’il explicite ses paroles ! Ce n’était pas vraiment dans ses habitudes. Mais pour cette fois, il voulait bien faire un effort…ou pas !

«J’entendais des cours du soir, particuliers, bien évidemment. Cela pourrait être l’occasion d’échanger nos savoirs-faires…Je pense que je pourrais vous enseigner à mon tour deux ou trois choses… »

Et toc ! Il était resté volontairement ambigüe. Non mais ho, il ne fallait pas non plus pousser mémé dans les orties ! Rester mystérieux était une façon de captiver son auditoire, de maintenir l’attention de son interlocuteur en alerte. Elle émettait des doutes sur sa moralité…A la bonne heure ! Elle n’était donc pas simplette. Cela aurait ennuyé Evan profondément. Quand les choses étaient trop faciles, quand il n’y avait pas de défi, c’était généralement moins enrichissant. Aussi bien humainement que financièrement. Et donc, elle le titillait ? Intéressant. Sa supposition le fit sourire.

«Donc vous êtes une prédatrice mandatée par une organisation secrète dans un lieu tel que celui-ci pour une mission de représentation… De vous à moi, si je dois mourir, je préfère que cela soit dans les bras d’une délicieuse créature telle que vous plutôt que de la main d’un de ces connards de Yakuza ou de membre des triades… »

Il répondit à son sourire de la même manière. Ainsi elle jouait la provoc’ ? Et bien elle avait trouvé à qui parler. Mais ce qui fit tilter Evan était d’un tout autre registre. Comme lui, elle semblait se passionner pour les mythes et les légendes. Ce qui constituait un point commun intéressant pour poursuivre ensemble la soirée et plus si affinité.

«La mythologie amérindienne ? J’avoue que c’est une de celles que je maîtrise le moins si l’on excepte l’oiseau-tonnerre, le sasquatch ou encore le wendigo…Je suis plus à l’aise avec Lugh et les tuatah de Dana…J’avoue qu’il est assez rare de rencontrer des personnes férues des mythes des temps anciens. D’où vous vient cette passion ? Vous avez un mythe préféré ? »

Il se laissait quelque peu gagner par une forme d’enthousiasme allié à un brin de curiosité pour la jeune asiatique. De toute manière, son contact ne semblait pas vouloir se montrer. Alors autant profiter agréablement de la soirée.

« Donc vous travaillez pour un ordre religieux…C’est intéressant…Moi je suis l’avocat du diable, voyez-vous…Comme quoi nous étions fait pour nous rencontrer…Je vous sors un contrat à signer en lettres de sang ? Laissez-moi vous montrer le côté obscure de la Force… »

Elle le prenait vraiment pour un lapereau de trois jours. Elle croyait pouvoir remporter la joute verbale qui les tenait avec ce genre de répliques toute faites ? C’en était presque vexant. Mais il en fallait davantage que ça pour déstabiliser Blake. Et sa réponse ironique, pleine de lieux communs montrait le fait qu’il n’était pas dupe.

Elle le menaçait…Encore mieux…Evan commença à se demander si cette rencontre n’était pas en train de tourner au vinaigre…Il finit par en être convaincu lorsqu’elle évoqua son lien avec la pègre asiatique…Il passa en mode professionnel. Ce n’était plus une conversation banale. Elle n’avait rien de la jeune femme fragile qu’il lui semblait avoir rencontré quelques instants auparavant. Quelqu’un pouvait-il être au courant de la transaction ? En fin de compte, elle pouvait bien être là pour l’éliminer.

Mais comme à son habitude, Evan faisait fit du danger. Il aimait même lui faire des pieds de nez. C’était son côté joueur et enfant terrible. Ca lui avait parfois valu des ennuis mais aussi des victoires là où tout semblait perdu. Alors foutu pour foutu, autant crever avec le panache.

« Vous pourriez être la nièce de la reine d’Angleterre que cela ne changerait rien à mon opinion… Ne me jugez pas de manière trop hâtive…Je pourrait bien vous surprendre…Même dans les Ténèbres, il y a toujours de la Lumière… »

elle avait l’air d’avoir une opinion tranchée à son sujet. Tant pis. Ce ne serait peut-être pas une rencontre aussi productive qu’Evan l’avait espéré. Mais soudain, elle sembla perdue dans ses pensées. C’était une fille étrange. Cyclothymique ? En tout cas, elle passait en un instant de paroles corrosives à celles d’une femme blessée. Evan décida de faire preuve de retenue et de bienveillance. Surtout vu la nature de la question.

« Que chacun naît avec les dons et les spécificités que la nature a bien voulu lui accorder…Ce n’est pas une question de choix. Ce qui compte, ce n’est pas le patrimoine génétique, mais les décisions que l’on prend. Que l’on soit mutant ou sapiens. Les mutants sont probablement l’avenir de notre espèce. Mais nulle n’a le droit de dominer autrui sur la simple base d’une différenciation génétique.»

Etait-elle une mutante ? Pour que la question soit posée aussi abruptement, le sujet était vraisemblablement assez personnel. Finalement, il appréciait la tournure des événements.

« Il est bien connu que les démons ont une prédilection pour les jolies femmes et les âmes torturées…Dans votre cas, je dirais coup double…Plus sérieusement, vous ne semblez pas être une femme comme les autres. Il y a trop d’ombres dans votre regard et trop de contrôle dans chacun de vos gestes pour que vous ayez le vécu de Jane Doe. Mais peut-être suis-je dans l’erreur… »

Il la suivit sur le balcon. L’heure n’était plus aux enfantillages. La discussion devenait on-ne-peut plus sérieuse. L’air frais lui procura une sensation des plus vivifiantes. La nuit s’étendait sur New-York, illuminée par les buildings de Manhattan, comme autant d’étoiles terrestres aveuglant les fous. Elle semblait avoir froid. Evan lui passa sa veste sur les épaules, en parfait gentleman qu’il était.

« Je suis effectivement un mutant…Comme vous, probablement, vu l’importance que vous prêtez à ce sujet. Mon pouvoir…comment vous dire…Je préfère vous montrer…»

A ces mots, Evan fit décoller en douceur un pot de fleur se trouvant à proximité pour le faire danser autour de la jeune femme. Il ne lui montrerait que la télékinésie. Il gardait l’imperceptibilité dans sa manche. Il ne pouvait pas risquer de le montrer ainsi, dans l’enceinte du musée, sous les yeux des caméras. C’était comme sortir une pince monseigneur au milieu d’un commissariat de police.

Il reposa le pot aussi doucement qu’il l’avait fait décoller du sol. Elle n’était pas seulement professeur ? Intéressant. Blake voulait en savoir plus. Etrangement, il ressentait une forme de sympathie pour cette jeune femme qui semblait bien plus forte que son simple physique ne pouvait le suggérer. Il avait dévoilé une carte de son jeu. C’était donc à mademoiselle Coy Manh d’en faire autant.

« Et vous ? Quel est votre pouvoir ? Et au service de quelle noble cause est-il mit à contribution ?»

Il s’était attendu à pas mal de choses, mais ce tour là, Evan ne l’avait pas anticipé le moins du monde. Alors qu’il était plutôt satisfait de sa prestation, celle de la jeune femme lui coupa le souffle. Bon Evan n’aimait pas particulièrement les oiseaux mais ça mademoiselle Coy Manh n’était pas censée le savoir. Du coup, le fait de voir un piaf se diriger droit sur lui et se poser sur son épaule lui donna l’impression désagréable qu’on lui avait vidé une bouteille de flotte glacée dans le pantalon. Il ne bougea pas d’un millimètre alors que la bestiole effectuait son numéro et éprouva un certain soulagement à la voir reprendre son envole. C’est cet instant que la jeune femme choisit pour se dévoiler.

Evan avait bien sûr entendu parler des X-Men. Un groupe de mutants qui œuvraient pour une intégration des mutants au sein de la société humaine et prônait l’égalité avec les sapiens. Ils cherchaient à pacifier le monde et à le rendre plus tolérant. C’était une utopie fantastique aux yeux de Blake. Cependant, il ne voyait pas bien le lien avec l’Institut Xavier, connue pour être une simple école pour enfants surdoués. A moins que…Evan avait une hypothèse. Il devait la confirmer.

« Si je comprends bien, vous appartenez à ce groupe que certains humains considèrent comme des héros et d’autre comme des terroristes…J’ignorais que l’Institut Xavier hébergeait une telle équipe…A moins que l’école pour surdoués ne soit qu’une façade aux yeux du monde pour masquer vos réelles activités. Je me trompe ? »

Ballon d’essai envoyé. Maintenant, il fallait voir comment elle allait réagir. S’ouvrir ou se refermer comme une huitre ? Il tenta de la mettre en confiance.

« En tout cas, votre pouvoir est impressionnant. Vous contrôlez les animaux…Rappelez-moi de ne jamais vous contrarier durant une visite au zoo… »

Alors que la conversation s’engageait dans des conceptions profondes, presque intimes, l’ouverture de la porte-fenêtre vint mettre fin à cet échange hors du temps. La réalité semblait rattraper Evan plus rapidement qu’une balle de Beretta sur une cible mouvante. Son acheteur était là, en chair et en os. Les affaires étaient les affaires et en calibrant le regard de l’homme qui venait de faire irruption sur la terrasse, la contrariété et l’agacement étaient de mise sur ce coup là.

«Je suis désolé mais il va malheureusement falloir que je vous laisse. J’ai été ravi de vous rencontrer mademoiselle Coy Manh. J’espère pouvoir vous recroiser à nouveau et qui sait, peut-être serons-nous amenés à collaborer. »

Evan n’aimait laisser une discussion se finir ainsi mais pour le coup, il n’avait pas d’autre choix. Il allait devoir laisser en plan une jeune femme connaissant l’un de ses pouvoirs sans pouvoir prendre d’autres garanties que celle de savoir où la retrouver si le besoin s’en faisait sentir. Tout du moins si elle avait dit la vérité quant à son occupation principale.

Evan fit un dernier baise-main à la jeune femme avant de franchir les portes vitrées menant vers l’exposition. Au moins savait-il désormais où trouver ces fameux X-Men dont les infos les abreuvaient jours et nuits. Cette information valait plus à ses yeux que toutes celles qu’il avait pu livrer à son interlocutrice. C’est donc avec un sourire en coin qu’il emboîta la pas de son commanditaire, prêt à finaliser ce pour quoi il était venu. La vie reprenait son cour initial.