Un p'tit coup vite fait, bien fait [PV: Jessica StJames feat Yitzhak Anavim]

Le siège de Future Craft s’étendait devant les yeux de Jessica. Il s’agissait d’un bâtiment d’une hauteur raisonnable, mais dont la largeur prenait une place étonnante pour un édifice de New York, même ci celui-ci était un peu excentré du trognon de la Grosse Pomme. Derrière ses lunettes de soleil, la jeune femme mesurait l’ampleur de leur mission. Bien que la mission fut décidée et organisée très rapidement, il était évident que les aboutissements étaient bien plus importants qu’il n’y paraissait, et les dangers de s’attaquer à une telle forteresse étaient bien réels.

Jessica n’était pas la première arrivée. Suite au rapide briefing de leur mission, quatre confréristes avaient été dépêchés sur place avec un objectif ambitieux: ramener toutes les informations possibles sur le projet Pythia développé par Future Craft, une société d’informatique et robotique restée discrète jusque là dans ses découvertes. Ce projet tenu au mieux secret serait, selon certaines sources, une fois de plus un danger potentiel pour les mutants. Le groupe de quatre confréristes devait effectuer une frappe chirurgicale en un laps de temps relativement court. Sur place, il y avait déjà LightSpeed. Jessica avait déjà travaillé avec lui deux fois. Ses capacités étaient d’une grande utilité, mais son comportement freelance en faisait quelqu’un dont Jessica se méfiait.

D’une démarche chaloupée, toute de vert vêtue dans sa tenue moulante, Jessica rejoignit LightSpeed, adossé à un muret de l’autre côté de la rue, en face de l’entrée de Future Craft. Un sandwich à la main, il regarda la jeune femme approcher sans mot dire.

"Je crois que j’ai trouvé ce qui pourrait me guérir de mon blasement quotidien" Dit il alors qu’elle fut à portée de l’entendre. Il mordit à nouveau dans son casse croûte avant de terminer sa phrase dont le suspense ne touchait malheureusement pas Jessica. "Ce sera le jour où on me fera la surprise d’arriver à un rendez vous avant moi…"

Jessica n’ajouta rien, cette simple phrase lui rappela d’un coup tout ce qui l’énervait chez lui. LightSpeed se pensait autosuffisant, et à l’entendre s’il ne dirigeait pas la Confrérie, c’était parce qu’il ne le voulait pas. Alors qu’elle refusait d’un geste de la main le reste de sandwich que LightSpeed lui tendait, elle prit enfin la parole.

"Les autres ne devraient pas tarder…"

Il ne manquait plus que deux "invités", il s’agissait de deux inconnus de Jessica, elle ne se souvenait d’ailleurs pas de leurs noms, l’un d’entre eux étaient relativement nouveau au sein de la Confrérie, mais avait tout spécialement recommandé par Magneto. La mission devait commencer à 13h tapantes, il leur restait vingt bonnes minutes, mais plus tôt ils seraient rassemblés, plus ils auraient de temps pour se préparer.

"J’ai les plans du bâtiment, je suis sur que j’aurais pu m’occuper de ça tout seul..." Fit LightSpeed, fidèle à lui-même et visiblement impatient.

La jeune femme releva ses lunettes teintées sur sa tête, et soupira dubitativement en regardant le bâtiment.

"Il ne s’agit pas simplement d’entrer et de courir vite mon cher, c’est probablement en ce moment l’un des endroits les mieux gardés de la ville, il va falloir la jouer fine."

"Et c’est Miss Musclor qui me dit ça…" Ajouta t’il en pouffant de rire.

Jessica jeta un regard noir à l’idiot qui lui faisait face, il y avait des limites à ne pas dépasser. LightSpeed sentant la tension, baissa les yeux et avala la dernière bouchée de son sandwich. Il avait raison, peut être allait il finir par perdre ses dents s’il continuait de provoquer la Black Mantis.

Un peu plus loin arrivait vers eux un visage qui n’était pas tout à fait inconnu de Jessica.

Après de longues semaines à rôder dans les quartiers de la confrérie, j’avais enfin obtenu le droit d’aller risquer ma vie dans une mission top secrète, ce qui me donnait une excuse pour sécher les cours. Joie ! Je renouais enfin avec ma passion du danger. Encore un mois comme celui que je venais de passer, et j’entamais tout seul un processus de lobotomie cérébrale. L’inactivité, ça me tue. Il n’y a pas plus inutile à la société qu’un lycéen, sauf pour les commerciaux peut-être, vu que les gens qui ne servent à rien sont toujours de bons pigeons. J’ai bien essayé de polluer facebook en laissant des messages sur ma dernière cuite, histoire de me la jouer mec cool, mais je dois avoir un gros problème d’égo parce que la célébrité à l’échelle d’une école me laisse toujours blasé. Aucune gloire à se faire admirer par une bande d’adolescents naïfs, c’est facile, suffit d’incarner tout ce qu’ils n’osent pas être. Apparemment, je suis ce genre de personne, le genre de personne qui rate ses cours d’anglais pour infiltrer une entreprise super protégée… Vous voyez le délire. Quand Magneto m’a convoqué pour me parler du plan, j’étais tout fou. En vrai, j’ai fait de mon mieux pour avoir l’air le plus sérieux du monde. Dans ma tête, les choses étaient plus confuses. Je devais à la fois écouter les instructions du grand maître et faire taire cette petite voix qui m’ordonnait de sauter partout pour célébrer la bonne nouvelle. Ma mutation, mon ex-statut de soldat et mes connaissances en informatiques m’avaient désigné pour cette mission. J’étais à l’essai. Enfin !

A quelques minutes de rejoindre les autres, mon enthousiasme s’est chargé d’une certaine nervosité. Je ne suis pas très habitué à ce type d’opération spéciale. Lorsqu’il fallait intervenir avec Tsahal, les consignes étaient tellement cadrées qu’il n’y avait pas une seule place pour l’impro. Cette fois, c’est différent, et je n’ai pas forcément confiance en ma capacité à bien réagir dans une situation de crise. J’ai plutôt tendance à m’en sortir in extremis avec une méthode qui n’a de logique que pour moi-même.
Réveillé aux aurores par l’excitation, je me suis gavé de tout le matériel potentiellement utilisable sur place. Je ne pense pas être à court de gadgets, j’ai même quelques nouveautés à tester, qui peuvent aller de la franche réussite au four le plus complet. J’espère que la sagesse retiendra mon envie aussi irrésistible que débile de tenter l’expérience.

Vingt-minutes avant le lancement, c’était le moment parfait pour arriver, ni trop en l’avance, ni assez ponctuel pour énerver tout le monde. J’allais faire équipe avec des adultes déjà bien installés dans la Confrérie et il n’était pas question de leur donner matière à la condescendance. Le rôle du gamin de service n’est pas pour moi, je le laisse aux petits casseurs qui ont rejoint l’organisation pour apaiser leur crise d’ado attardé.
J’arrive donc l’air le plus tranquille possible, lunettes de soleil, mains dans les poches, veste mi-longue cintrée à la taille. Deux mutants son déjà là, un Vif Argent de seconde zone avec lequel j’entretiens une relation ambiguë. On se déteste assez ouvertement pour ne jamais résister au plaisir de s’envoyer des piques à la moindre occasion. A voir les regards torves de ma coéquipière, je devine qu’elle partage ce sentiment. C’est Jessica St James ! Ma partenaire était une bonasse ex-vedette du r’n’b et de la presse à scandale. Elle avait dégommé son père et d’autres salauds quelques années plus tôt, classe non ? J’étais aux anges.
Avec un large sourire, je fais un signe de la main à Lightspeed et lui décoche une première amabilité :

- Yo, il parait qu’on t’a flanqué une partenaire à peine plus ancienne que moi. L’incroyable Lightspeed ne serait-il donc pas aussi proche de monter en grade qu’on me la murmuré ?

Le mutant s’était moqué quelques jours plus tôt des confréristes qui travaillaient en binôme à cause de quelques missions qui lui avaient été confiées à lui seul. Il se renfrogna, prêt à répliquer, mais je préférai me tourner vers la jeune femme à laquelle je n’avais pas encore eu l’honneur d’être présenté :

- Salut ! Yitzhak ou Cymrod, c’est comme tu préfères. – et, me tournant vers les deux : - Vous avez déjà décidé quelque chose ?

Ma veste se mue doucement en une combinaison plus moulante tandis que je me tourne vers l’imposant building. J’espère que mes partenaires ont des idées d’infiltration plus concluantes que celles qui me viennent à l’esprit.
Notre dernière coéquipière est à l'approche. Franziska - ou Fran' - elle a rejoint les troupes des 'mauvais mutants' deux mois avant mois. C’est une fille assez sympa, assez traumatisée pour détester les humaines de manière irréfléchie, mais adorable quand on la connaît bien. Elle était encore habillée bizarrement, avec ce style petite fille modèle des années cinquante qui la rend super malsaine. Ses tenues me fascinent. Aujourd'hui, elle porte une espèce de robe bleu informe qui semble taillée dans la blouse d'un ouvrier, et lui tombe au-dessus des genoux, des ballerines vertes usées et, n'a pas oublié de mettre deux barrettes dans ses cheveux.
- Bonjour, qu'ai-je manqué ? demande-t-elle en nous regardant alternativement, les lèvres tirées par un éternel sourire absent.
On l'appelle Incanta. Et je ne sais pas si son pouvoir a une influence sur son attitude, mais elle m'a toujours semblée moins vivante que les objets que son esprit anime.

Le troisième membre rejoignait les deux déjà présents. Il semblait très jeune, peut être trop… Quoi qu’il en soit dès ses premières paroles on devinait un caractère bien trempé qui arracha un rictus à la diva. Jessica avait effectivement déjà croisé Cymrod, probablement dans les couloirs de la confrérie, et son visage l’avait vraisemblablement marquée. Elle hocha la tête en signe de bienvenue alors qu’il lançait les présentations. Nul besoin de se présenter elle-même, il ne pouvait que la connaître déjà. LightSpeed arborait une moue peu convaincue, réagissant à la remarque de Cymrod il s’insurgea.

"Incanta, elle s’appelle. Déjà qu’elle met une plombe à arriver… J’ai parfois du mal à comprendre les choix de Magnéto. Il me colle un boulet aux pieds alors qu’il sait que je suis plus efficace tout seul."

"C’est ce qui fait de toi un imbécile chronique…" Répliqua Black Mantis, puis, avant qu’il ait le temps de contre-attaquer à son tour, elle réagit à l’approche du membre manquant.

"La voila…"

La jeune fille à la dégaine branlante et au style indéfinissable s’incorpora au groupe sans autre forme de procès. Jessica ne put s’empêcher de rester bouche bée un instant, compatissant même à la déconvenue de LightSpeed. Si Magnéto l’avait dépêchée, c’est quelle en valait la peine.

Il était temps de passer aux choses sérieuses. Bien que tout le monde avait eu droit à son briefing avec Magnéto, instinctivement Jessica avait pensé que le sien avait été le Major Briefing, celui que l’on fait au leader-manager-metteur en scene-responsable de l’opération. C’est donc tout naturellement qu’elle se sentait investie de son devoir de direction de l’opération. Première étape, poser les faits à ses troupes.

"Non, vous n’avez rien loupé, et nous allons faire une dernière mise au point. Sors ta carte LightSpeed."

"Hey! Et depuis quand tu…" Mais Black Mantis lui coupa la chique, et garda le cap qu’elle s’était fixée.

"Résumons: Pythia est une machine ou un ordinateur. Il s’agit, semble t’il d’un prototype, mais qui est apparemment déjà presque opérationnel. Concrètement, c’est une arme, ou du moins, une arme potentielle conçue officieusement pour détecter précisément les activités mutantes de part le monde. Soyons clairs, s’il n’est pas possible de s’en emparer, il faudra la détruire. Magnéto insiste également sur le fait qu’un maximum de dégâts aux laboratoires et aux instruments serait un grand plus. Par "plus", j’entends, moi, nécessité absolue."

Telle une maîtresse de conférence, Jessica imposait son charisme, LightSpeed en ayant même oublié de grogner et de se vanter.

"Magneto avait déjà prévu deux équipes, j’irais avec Cymrod, nous récupérerons les plans et toute information susceptible d’être exploitée." Elle plongea son regard dans celui de son coéquipier afin de capter toute son attention. "Journal de bord, projets dérivés, personnes impliquées, groupes affiliés, etc… Nous ne devons pas passer à côté d’un document important, nous n’aurons pas de deuxième passage ici." Puis elle se tourna vivement vers LightSpeed. "Tu iras donc avec Incanta. Vous devrez trouver le prototype, le voler ou le détruire à défaut, faire un maximum de dégâts."

Jessica regarda LightSpeed et Incanta alternativement, avant de se poser sur la jeune fille.

"C’est la que tu entres en scène, Magnéto m’a parlé de ton potentiel de destruction, tu pourras t’en donner à cœur joie."

"Animer, démanteler, c’est ma spécialité!" Fit elle avec amusement sans quitter son inquiétant sourire. Finalement, aussi puissante soit elle, Jessica préférait qu’elle se tienne à distance.

LightSpeed dévoila sa carte du bâtiment et prit la relève avant que Black Matis ne puisse lui voler la vedette.

"J’ai étudié un peu les lieux." Commença t’il puis, une fois que tout le monde était sûr de bien voir, il pointa son index dessus. "On entre par ici, il n’y a pas de garde à l’entrée, mais le hall d’entrée est généralement très fréquenté. Il y a l’accueil, l’accès aux ascenseurs et aux escaliers. Depuis les ascenseurs, je pense qu’on ne peut accéder qu’aux étages supérieurs, il faut une carte d’accès rarissime pour accéder aux étages inférieurs, et c’est là qu’on doit aller… Les escaliers peuvent aller en haut et en bas, mais à chaque porte d’accès d’étage, on a besoin également de cartes d’accès spécifiques. Peu de gardes au rez-de-chaussée, mais les étages inférieurs doivent en être remplis. Si j’ai bien compris, le prototype devrait se trouver quelque part à l’étage -3, tout ce qui est logistique devrait être à l’étage -2. Les bureaux d’activités communes occupent les étages supérieurs… Inutile de vous dire que plus tard on sera repérés, plus on aura de temps et de marge de manœuvre, donc pas d’esbroufe avant d’atteindre les étages inférieurs."

A mesure que LightSpeed faisait son exposé et pointait les endroits stratégiques sur la carte, un tracé à l’encre rouge s’animait sur celle-ci, et marquait les endroits importants de points rouges également. Constatant cet étrange manège, Jessica se retourna machinalement vers la spécialiste de la bizarrerie.

"Ce sera plus simple pour se repérer comme ça…" Fit elle en demie teinte.

"Il faut se dépêcher, je crois qu’on ne va pas tarder à se faire repérer." En effet du coin de l’œil, Jessica vit un couple qui se retourna après être passé devant eux, ils semblaient avoir reconnu la star déchue. Il faut dire également que le groupe en lui-même n’était pas particulièrement discret et un peu louche. "Il y a des questions, des ajouts, des remarques? Des idées pour accéder au sous sol? Une fois qu’on atteindra les étages inférieurs, on ne pourra plus communiquer d’un groupe à l’autre."

En écoutant Lightspeed geindre à propos de sa partenaire, je me demandais où l’aventure m’aurait mené si on me l’avait collé en équipier. Les grandes gueules me saoulent vite. Au début, j’entre dans le jeu de la chamaillerie sans conséquences. Puis je me lasse. Je comprends que, quoiqu’il arrive, l’imbécile en face sera toujours persuadé d’avoir le dernier mot. Ce mec m’amusait encore un peu mais, si je devais le supporter sur une mission, avec la certitude d’être pris pour un gros boulet, les choses risquaient de mal finir. Je pouvais me servir de lui pour réussir avec les honneurs en m’arrangeant pour qu’il se fasse choper à la fin, ou, au contraire, mener l’opération à l’échec et lui faire porter le chapeau. Ce ne serait pas très professionnel, mais drôle… Quand à la question de l’éthique, vous savez, il y a maintenant longtemps que j’y ai renoncé. Ma passion pour la nuisance a pris dessus. Croyez-moi, c’est bien mieux comme ça.
Je fantasmais à moitié sur les mille et une façon de faire virer le roi de la vitesse de la Confrérie lorsque Incanta a jeté un froid dans mes idées. C’est toujours comme ça avec cette fille, elle apparaît et un sentiment étrange vous envahit, le cœur bat à reculons, le sang se glace dans les veines, une sorte de poix vous colle à la peau. Rien à voir avec son pouvoir, c’est juste une impression psychologique, et je crois bien que les deux autres mutants ne se sentent pas plus à l’aise que moi. Je ne sais pas encore ce qu’a vécu exactement Fran’, mais ça a l’air violent et elle ne fait aucun effort pour le cacher. Son pouvoir ne doit pas tellement l’aider. Quand on a passé des années à se faire traiter de sorcière, on doit inconsciemment s’en approprier les clichés. C’est un moyen d’auto-défense pour survivre à la cruauté du monde après tout. Je ne m’étonnais pas de la trouver avec Lightspeed. Pas besoin de s’appeler Freud pour voir que ce mec était un spécialiste de la fuite à l’anglaise en cas de difficultés. Incanta était d’un genre un peu comme moi, en pire, on la démontait pas facilement, et rien ne la retenait lorsqu’il s’agissait de faire le nécessaire.

Black Mantis s’imposa très vite en chef de groupe, malgré la tentative de l’autre ancien pour lui couper l’herbe sous le pied. Elle posa les choses rapidement, claire et efficace. Ce n’était plus le moment de rigoler. La Confrérie donnait parfois dans le terrorisme mais là, en l’occurrence, l’avenir de tous les mutants était menacé. Pour l’instant, je trouve qu’on a été assez bien épargnés, mais les petits complots secrets sont légion pour nous annihiler. Les humains ne reculeront pas. Et comme donner des pouvoirs à tout le monde n’est pas souhaitable, ils nous détruiront, ou trouveront un moyen de détruire le gène x… Pythia était un projet parmi tant d’autres qui devait disparaître. Je situais très bien mon rôle pour ce déploiement. Des recherches scientifiques ne se détruisaient pas seulement à coups de poings et, pour cela, il fallait remonter aux origines, connaître les plans, identifier les auteurs… Le regard plus dur, j’acquiesçai aux mots de ma partenaire.
Incanta pourrait quand à elle créer un joyeux chaos en retournant les machines les unes contre les autres et, tandis que Lightspeed dépliait la carte, je ne pus retenir un :

- Et si vous pincez un laborantin ou un scientifique discrètement, hésitez pas, ils font un peu partie du matos.

Si j’en juge au regard que me lança la jeune fille, elle avait déjà envisagé cette possibilité. Supprimer une machine ne sert à rien s’il existe un cerveau capable de la reconstruire.
L’entrée de la tour n’était pas protégée, évidemment. Il s’agissait, en apparence, d’une entreprise comme une autre. Cependant, il était impensable d’arriver à quatre sans avoir l’air louche. Le plan ne nous donnait aucun solution quand à la matière d’entrer. Je ne sais pas du tout à quel point mes coéquipiers sont avancés, et je m’étonne d’ailleurs que nous n’ayons pas pu en discuter autrement que dans la rue juste avant le début du déploiement. Pour ma part, j’avais surtout réfléchi au moyen d’accéder facilement à mes jouets préférés, les ordinateurs. Magneto m’avait déjà demandé d’étudier le système informatique de l’entreprise et, effectivement, il était impossible d’accéder au plan des étages du bas, à moins de pénétrer le système de l’intérieur. Chaud. Mais faisable. Avec les stagiaires qui se succèdent à la chaîne dans ces grandes boîtes, j'ai cherché le jour où l’un d’eux débutait. Cette semaine, je me suis arrangé pour éloigner le mec en question. Ça laisse le champ libre pour commencer. Je prends donc la relève de Lightspeed :

- Donc, pour conclure, passer par le hall d’entrée est à oublier à moins d’avoir une bonne couverture… - Une chemise et un pantalon apparaissent par-dessus ma combinaison. – Ils ne doivent pas connaître tous leurs employés, et c’est bientôt l’heure de la reprise. Au moins deux d’entre nous devraient pouvoir entrer dans le hall dans trop éveiller l’attention. Officiellement, c’est une entreprise lambda, presque personne ne sait ce qui se passe en bas. – J’ai sorti trois papiers de ma poche pour en distribuer un à chacun. - J’ai ici la liste des différents directeurs de service présents aujourd’hui. Si on vous demande qui vous êtes, prétextez un rendez-vous avec l’un d’entre eux et filez. Comme on a pas réussi à pirater les ordinateurs à distance, il va falloir le faire sur place. – Maintenant, je leur montre la photo d’un gars brun qui n’a pas plus de vingt ans. – Ian Johnston commence son stage aujourd’hui. Je prendrai sa place. Pas la peine de s’inquiéter, il ne viendra pas, on a un deal tous les deux. Ça me permettra d’avoir accès légitimement à un ordinateur pour trouver un plan. Lightspeed, Incanta, je vous le transmets dès que je l’ai.
- Et on va faire quoi en attendant que le petit génie de l’informatique dirige toute l’opération ? Me lance le mutant sceptique.
- Je ne sais pas, mais avec tes milles idées à la seconde je suppose que tu trouveras très vite comment te rendre utile sans avoir à recevoir les ordres d’un pauvre dilettante comme moi non ? ai-je tranché avant de poursuivre. Comme on ne va pas débarquer à quatre dans le hall, je propose qu’on commence déjà à se séparer. – Retournant à la carte, je pointe du doigt une petite pièce sur le côté du building. - Je peux dématérialiser la partie d’un mur qui donne sur les toilettes, si Incanta met le verrou de l’extérieur pour que personne ne se rende compte de la faille avant un moment, ça pourrait le faire. D’autres idées ?

Comme je l’ai dit, personne n’a eu le temps de faire un bon débriefing avant, donc je ne sais pas à quoi les autres ont pensé. Je me suis surtout basé sur mes compétences, mon pouvoir, et ma connaissance abstraite de la mutation des autres. Je les regarde donc alternativement, prêt à entendre toute suggestion plus pertinente ou à ce qu’on me donne le feu vert. Je suis pas sûr que ma partenaire passe pour une employée lambda avec sa combi moulante… Après, y’a assez de femmes dans la rue pour en choper une au passage, avec Lightspeed ça devrait pas être trop dur d’en dessaper une sans qu’elle ait le temps de se rendre compte de ce qui lui arrive.

Un plan d’infiltration était maladroitement mis en place, l’improvisation aurait une part importante dans l’opération. Cymrod avait de la ressource, il avait déjà préparé l’opération de son côté et Jessica se félicitait de lui être associé. La séparation allait commencé assez tôt, et grâce à son pouvoir, Cymrod pouvait d’ores et déjà passer relativement inaperçu. Le problème étant que pour les trois restant, se fondre dans la masse sera bien plus difficile. BlackMantis regarda sa propre tenue, entre regret et résignation.

"Tsss… Dictature du mauvais goût… Je suppose qu’il va falloir trouver de quoi se changer." Pour le coup, elle se rendit compte par elle-même que c’était un détail auquel elle aurait pu penser elle-même avant de venir. Après tout, tout terroristes qu’ils soient, un minimum de discrétion était évident, d’autant plus pour elle. Mais s’il y avait quelque chose de plus fort qu’elle, c’était sans conteste ses vieux réflexes. "J’imagine qu’il sera de toute manière très difficile pour moi de passer inaperçue." Ses paroles furent accompagnées d’un mouvement de cheveux dont elle avait le secret, parfaitement inutile mais impeccablement contrôlé, suite auquel elle rabaissa ses lunettes de soleil devant ses yeux.

"T’inquiète beauté, je vais vous dégoter de quoi mettre en valeur vos p’tites gueules d’amour."

Il était effectivement le mieux placé pour cela, Jessica acquiesça.

"OK… Je ne vois pas de meilleure idée que celle de Cymrod pour l’entrée en matière. Si l’on se retrouve à l’intérieur du bâtiment, ce sera d’autant moins suspect. Cymrod, tu nous ouvres la voie vers les… toilettes… LightSpeed nous ramène de quoi s’y changer. J’en sors la première et je retrouve Cymrod dans le hall. Grâce à la liste que tu as trouvée, on sait à qui « s’adresser » pour obtenir les laissez-passer dont on a besoin. Je savais que Pierce Bieber, le directeur scientifique, serait présent aujourd’hui, mais comme il y a de grandes chances qu’il soit déjà aux étages inférieurs…" Une fois de plus Jessica ne pouvait qu’apprécier le travail de Cymrod, avec cependant, l’amer impression d’avoir elle-même bâclé le sien… "Pour commencer, Cymrod et moi nous nous occuperons d’aller se procurer les passes. SpeedLight! Toi et Incanta vous devriez pouvoir trafiquer les caméras de surveillance."

LightSpeed n’avait pas l’air contre l’idée, n’ayant semble t’il rien de mieux à proposer non plus. Il consulta la carte du bâtiment pour repérer les toilettes qui donnaient sur l’extérieur. Incanta s’y accordait également, et semblait réfléchir à quelque chose.

"C’est parti!" Fit alors Black Mantis, lançant la marche.



"Il y a sûrement des caméras de sécurité tout autour du bâtiment." Fit remarquer Incanta alors qu’ils traversaient la rue. "Je peux m’occuper de celles là…" A ces mots, son regard se fit plus concentré. "Il y en a deux susceptibles de nous gêner…" Ajouta t’elle avant de retrouver son sourire béa et que sa concentration sembla se dissiper un peu. "C’est bon, elles ne nous poseront pas de problèmes pour le moment, je les ai rendues un peu folles..."

"Bien joué." Fit LightSpeed qui finalement semblait trouver sa coéquipière intéressante et utile.

Suivant l’indication de la carte, le groupe se retrouva alors à destination. Ce côté du bâtiment était bordé d’une ruelle qui servait également de lieu de déchargement des livraisons des cuisines du refectoire de l'entreprise qui se trouvaient un peu plus loin. Les alentours étaient déserts à cet instant, mais Jessica avait la désagréable sensation de ne pas être en sécurité du tout.

"A toi de jouer Cymrod!" Fit elle en clignant de l’œil à son attention, ce qui lui était parfaitement imperceptible compte tenu qu’elle portait ses lunettes de soleil…

"Bon, je m’occupe de ma part du boulot, je vous retrouve dans les toilettes dans cinq minutes." Dit LightSpeed avant de disparaître.

Depuis qu’on m’avait parlé de cette mission, les pensées tournaient à cent à l’heure dans ma tête, surtout en classe où j’ai besoin d’un autre stimulant que les paroles hésitantes d’un prof au tableau. Même si j’aime improviser, je déteste le flou artistique alors, avant la date du rendez-vous, j’avais fait mes armes et lancé mes premières suggestions en proposant d’explorer les serveurs de l’entreprise. A voir la mine résignée de mes partenaires, il est vite évident qu’ils n’ont pas fourni un tiers de mes efforts avant le début des opérations. Ça m’étonne un peu de Black Mantis. En même temps, je ne peux pas trop le lui retenir, elle est sans doute plus habituée à jouer les gros bras et n’a pas, comme moi, une passion perverse pour les plans d’attaques, embrouilles et combines en tout genre. C’est une chanteuse de r’n’b après tout, une artiste, pas une tête. D’abord préparé à suivre les ordres, je me rends compte qu’au final, c’est à moi de lancer les premières pistes, et à ma coéquipière de gérer la partie autoritaire que j’assure toujours assez mal, c’est-à-dire, en contrariant tout le monde. On me laisse donc dans le rôle qui me convient le mieux, celui du décideur, et j’en suis ravi. Les choses s’annoncent bien, j’ai fait bonne impression, les autres commencent à m’accorder leur confiance. Plus qu’à assurer le reste et Cymrod se détachera définitivement du menu fretin de la Confrérie. Oh ouais, j’ai hâte !

St James regrette sérieusement sa combinaison et, si je ne doute pas un instant de l’utilité d’une telle tenue en combat, je vois encore mal comment elle a pu imaginer entrer dans l’entreprise sans se faire griller direct… Bon, il y a toujours la stratégie « on entre, on casse tout et on part » mais je préfère l’appliquer une fois qu’on sait clairement où aller pour faire un max de dégâts. Pour le reste, avec quatre pouvoirs aussi polyvalents que les nôtres, nos adversaires risquent de mettre un certain temps à nous contrer efficacement.
Lightspeed s’en va donc déshabiller quelques braves passants, Black Mantis m’approuve en précisant que le directeur scientifique est là. Exact, et si on pouvait éviter de lui laisser le temps de prendre la fuite ce serait l’idéal, surtout que son nom de famille était un appel à la mise à mort sans concessions. Non parce que, imaginez, en cas de dilemme à la « on le bute ou pas ? » répondre : « Il s’appelle Bieber. » Aucune personne de bon sens ne pourrait baisser son arme. Bref, on en rediscutera plus tard. Incanta fait un truc avec les caméras de surveillance pour les rendre hors service un moment, ce qui semble rassurer Lightspeed sur ses compétences, et on peut enfin s’approcher du bâtiment. Je la trouve de plus en plus flippante cette tour, du genre monstre gavé d’âmes qui s’apprête à nous écraser. Les souvenirs reviennent un instant me tourmenter et je refais toute ma semaine en tête. Non, non, j’ai fait de mon mieux pour ne pas laisser de traces, personnes ne sait, personne ne va nous accueillir bras ouverts pour nous expédier directement dans un labo à la place des cobayes… T’façon, c’est à moi de jouer, et je suis un mutant plein de surprises que personne ne connaît encore.

« A toi de jouer », me lance Black Mantis devant le mur des toilettes.
- Aucun mur ne me résiste.
Et, disant cela, je me plaque face à la paroie et laisse mon corps la désagréger et l’absorber. Vu les matériaux utilisés aujourd’hui dans la construction, les molécules sont assez espacées pour se faire avaler rapidement et je les laisse se réassembler directement sur ma peau, effet garanti pour avoir l’air d’une statue ! Par contre, ça rend lourd et je me débarrasse du surplus en le transformant en pierre cassées tout en élargissant l’ouverture d’une main, histoire d’effacer ma silhouette et de faciliter l’entrée de tout le monde. J’entre dans la cabine, tourne le verrou, et ressort sous mon apparence de béton. Lightspeed est déjà de retour, les bras chargés de vêtements un peu froissés.

- Bon, je vous laisse gérer et on se rejoint à l’intérieur. Je ne vais pas être capable de reboucher ce trou, par contre, je peux reformer une plaque par-dessus pour que ça ne soit pas trop flagrant. Je vais passer par le hall. Mantis, on se retrouve dans le bureau du stagiaire que j’ai marqué sur le papier, ça marche ?

J’essaye de sourire et d’avoir l’air sympa, mais avec la pierre, l’effet est assez moyen. Je dois attendre que tout le monde soit passé derrière le mur pour m’en débarrasser en formant une plaque grossière par-dessus parce que, vous voyez, comme je ne maîtrise que la matière que j’absorbe, impossible de tout ressouder correctement en deux minutes, même en lui redonnant la même forme.

Cymrod mit à contribution son pouvoir qui s’avéra bien utile. Bien que peu discrète, cette ouverture dans le mur allait pouvoir être masquée quelque peu. Première étape, vérifier que personne ne se trouvait à cet instant dans les lieux. Leur arrivée impromptue aurait pu gêné leur transit et nourrir un sentiment légèrement antipathique envers les intrus. Une fois à l’intérieur, Black Mantis s’afféra à vérifier chaque cabine. Personne… Tant mieux, cela évitait que des complications s’installent dès le début. LightSpeed était là, les bras chargés de fripes standardisées, et avec sur son visage son éternel expression auto satisfaite.

"J’avais dit 5 minutes…" Fit il pour insister un peu plus encore.

Black Mantis l’ignora, s’approchant de lui pour contempler avec un certain apriori les guenilles qu’elle allait devoir enfiler. Souriant à pleines dents de voir sa coéquipière, habituellement apprêtée au détail près, contrainte de passer pour madame tout le monde, LightSpeed tenta de la rassurer à sa façon.

"Et t’inquiète !.. J’avais bien repéré tes mensurations, j’ai pris juste ce qu’il te faux."

"J’en doute…"

Cymrod repartit pour se mettre en place en attendant Black Mantis. Il n’y avait pas trop de temps à perdre en papotage. Aussi Jessica attrapa t’elle ce qui était pour elle avant d’aller les enfiler dans une cabine. Quelques minutes plus tard, Black Mantis se trouvait attifée d’un tailleur gris aussi strict que déprimant, par dessus lequel une blouse blanche informe achevait le travail. La jeune femme attacha tant bien que mal ses cheveux en un chignon aussi strict que possible, mais quelque chose lui semblait manquer pour parachever la crédibilité de son personnage. En ouvrant la cabine elle vit alors LightSpeed, changé lui aussi, qui lui tendait une paire de lunettes rondes avec un sourire un peu sadique. Malgré tout, Black Mantis comprit que c’était la cerise qui lui manquait : quelque chose pour déformer son visage si parfait et le rendre un peu moins reconnaissable. Elle s’empara des lunettes des mains de l’homme plus bête que son ombre pour les poser sur son nez.

"Oh la vache!" Fit elle, alors que son regard devint flou et quelle en était presque nauséuse.

Ca changeait des lunettes de soleil, et LightSpeed était tellement heureux de voir LA Black Mantis avec des culs-de-bouteille qui lui faisaient des yeux cartoons. Au moins pour le coup, on n’allait pas la reconnaître.

A cet instant, Incanta sortit également de sa cabine, tout aussi peu convaincue. Cela dit pour le coup, c’était justifié, sa blouse était bien trop grande et la rendait encore plus à l’ouest qu’habituellement. Pourtant elle gardait son inquiétant demi sourire qui rendait difficile de savoir ce qu’elle pensait réellement. Black Mantis aperçut alors le badge que Incanta avait sur sa blouse, constatant qu’elle-même en avait également un.

"Lisa… Holiday…" Lut elle sur le sien, voici le rôle qu’elle allait devoir jouer si son identité lui était demandée.

Le nom sur la blouse d’Incanta allait poser un peu plus problème : Akeko Omori…

"Enlève ton badge, je pense que ce sera mieux…" Suggéra Black Mantis

"On en trouvera un autre à un moment donné au pire." Ajouta LightSpeed alias Edward Bennet.

Peu importe, maintenant qu’ils étaient tous prêts, ils allaient pouvoir se lancer. Black Mantis jeta à nouveau un œil sur la carte pour repérer l’emplacement du rendez vous avec Cymrod.

"Je sors en première" Dit elle "Je rejoins Cymrod et à partir de là chacun se débrouille, mais la règle d’or reste simple : discrétion et efficacité jusqu’à ce qu’on ait atteint l’objectif."

"J’aurais peut être des possibilités de vous contacter en cas de besoin" Précisa Incanta.

Jessica acquiesça, plus rien ne l’étonnait de sa part. "Parfait… J’y vais."

Ni une, ni deux, voila Black Mantis qui déverrouille la porte et jette un œil discret, personne à proximité, elle sort le plus naturellement possible. Les premiers pas s’avéraient pourtant plus difficiles que prévus, sa vision floue et instable était un réel handicap, sans compter le fait qu’elle se sentait totalement idiote et qu’elle hésitait à retourner voir LightSpeed pour l’achever…

Pour rejoindre Cymrod, il lui fallait traverser le hall principal pour atteindre les escaliers et le premier étage. La jeune femme qui avançait prudemment pour ne pas se prendre un obstacle non prévu, pouvait à peine profiter de l’occasion pour repérer les lieux, les gardes et les caméras, puisqu’elle n’y voyait pas grand-chose à plus de 2 mètres de distance.

Après d’innombrables efforts pour atteindre les escaliers en ayant l’air le plus naturel possible, Jessica s’accrocha à la rambarde des escaliers pour s’en aider afin de gravir les marches. Ce soutien lui permis de se stabiliser et d’évoluer un peu plus rapidement. A mi étage, elle s’arrêta devant un plan d’évacuation du bâtiment qui lui permit de se remémorer l’endroit qu’elle devait atteindre. Par chance le bureau se trouvait seulement quelques mètres plus loin dans le couloir.

Les quelques personnes qu’elle croisait, hommes d’affaires, scientifiques, secrétaires, semblait faire peu de cas de sa démarche si peu assurée et son regard probablement un peu effrayant. Il faut croire qu’ils devaient avoir l’habitude. C’était très opportun pour la mission, mais si vexant pour la star qu’elle était…

Arrivée devant la porte du bureau, Black Mantis frappa doucement à la porte avant de l’ouvrir et de passer sa tête par l’entrebâillement. Cymrod était là, et seul, ouf. Elle put entrer rapidement et refermer la porte derrière elle. Jessica put souffler alors un bon coup avant de retirer ses lunettes et recouvrer la vue. Regardant Cymrod, elle lui précisa :

"Si tu ris, je te tue…"

J’ai laissé mes trois complices à leurs essayages et vagues chamailleries. L’attitude de Lingtspeed m’inspire une confiance de plus en plus limitée. Un mec qui a constamment quelque chose à prouver au monde est capable de commettre les pires conneries. Incanta a intérêt à le garder à l’œil pour retarder au maximum la levée générale des boucliers. Avec un mur à moitié cassé du côté des toilettes, ils ne mettront certainement pas ça sur le compte d’une attaque de termites, surtout qu’elles sont assez rares à New-York. Réflexions inutiles mises à part, je forme sur mon visage un modèle de lunettes inspiré du modèle porté par Ian Johnston, rectangulaires, noires, du style informaticien un peu coincé, timoré, pas drôle… à crever d’ennui… J’ai honte. Je fantasme de les passer en bleu, de leur donner une forme plus fun, mais je dois garder un air nul. Pas le choix hélas, c'est sans doute un critère d'embauche. Comme Ian a les cheveux un peu plus clairs et les yeux bleus, je m’occupe des derniers changements. Sans être métamorphe, c’est une chose que je gère plutôt bien. Tout n’est qu’artificiel. Quand on adore changer de look et qu’on a mon pouvoir, les lentilles, perruques et colorants n’ont bientôt plus aucun secret. Le talent d’acteur fera le reste !

En franchissant le seuil du building, j’essaye de miser sur le côté newbie un peu mal à l’aise. Ça me correspond peu et, du coup, je crois que mes hésitations me font surtout ressembler à un dingue sur-flippé. La secrétaire me sourit. Elle a pitié, c’est bien. Je lui donne mon nom d’une voix claire mais en tapant nerveusement sur le guichet. Ian Johnston est dans les fichiers, elle me propose de m’installer dans le bureau en attendant mon directeur de stage… Aie. Ce type risque de devenir très rapidement un problème.
J’allonge le pas jusqu’au premier étage, trouve les lieux vides et je jette sur l’ordinateur en glissant sur le fauteuil à roulette. Ok, pas le temps de savourer les plaisirs de ma nouvelle vie en entreprise, de passer une heure à la machine à café, préparer des blagues pour les collègues, courir dans les couloirs avec une corbeille sur la tête, et autres choses que les adultes font dès que le patron a le dos tourné. Je commence à pianoter sur la bête, pas vraiment celle que j’espérais. C’est un ordinateur assez quelconque, et le circuit du sous-sol est fermé. On peut dire qu’ils n’ont pas fait les choses à moitié. Une faille ? Une connexion possible ? Je pense… mais ça pourrait demander beaucoup plus de temps que prévu…

On frappe à la porte. A cran, plongé dans mes réflexions, je sursaute violemment, mais ce n’est pas le directeur, c’est juste… Black Mantis déguisée en bibliothécaire. J’en ai la mâchoire qui tombe de surprise. Ses verres-loupes lui donnent une drôle d’allure. Je ferais bien une remarque ponctuée d’un éclat de rire mais elle me l’interdit cash en retirant le pire accessoire de sa panoplie. D’un coup, elle passait de vieille fille bigleuse à prédatrice perverse. Voyons… Quelle version je préfère ? J’ai un doute soudain. Avant de lui laisser le temps de remarquer mon attifement tout aussi ridicule je lance :

- Un instant, j’ai eu peur, mais avec cet air de furie j’ai plutôt l’impression d’assister au début de ces clips où, après avoir sauvagement arraché son chignon, la chanteuse commence une chorégraphie sur le bureau d’un pauvre petit stagiaire bouffi d’innocence. – Je lui présente ma plus belle expression de victime avec un naturel plus que suspect. Ça va vite ressembler à la parodie d’un film érotique bizarre, je dois reprendre mon sérieux. - M’arrache pas ma cravate, je crois que le directeur a l’intention de me rendre visite.

Un dernier sourire amusé et je me tourne vers l’écran.

- Ces lunettes ont l’air assez violentes, pas sûr qu’un camouflage vaille la tête qui tourne, non ? Sinon, sans vouloir être trop alarmiste, la sécurité a l’air particulièrement blindée en bas. D’une manière ou d’une autre, ils sont assez paranos ou informés pour s’attendre à une attaque…

Forcément, les choses deviennent tout de suite moins amusantes. Je n’ai pas très envie de voir mes compétences remises en cause, mais ils risquent de me laisser dans une impasse. Si j’arrive à connecter cette bécane, le système la détectera de suite. Si on fonce, on sera repéré de toute façon. L’opération suicide a toutes les chances de démarrer avant la fin du premier quart d’heure. Je poursuis quelques opérations imaginée entre mes phases d’insomnies. Echec. Echec. Ech… ah, non, une possibilité peut-être.

- Je crois voir une entrée… Par contre, on va devoir réagir très vite. Sois prête à exploser et ordi dès que…

Je m’arrête. On frappe encore. Cette fois, c’est le directeur. J’espère que le bureau vide avec les photos de petites filles blondes au parc d’attraction est le sien parce que je crois qu’il va devoir y rester un moment…