New Way New Life [Libre]

Evan avait préparé son plan de changement de vie durant le temps infini qu’avait duré son vol. Il s’était organisé comme une armée en campagne dans un objectif simple : disparaître et se créer un sanctuaire. Pour ça, il avait monté un plan simple, en de multiples étapes, visant à disparaître totalement.

Dans un premier temps, il avait envoyé un avis de décès au nom de William Smith à l’agence immobilière responsable de son appartement. Il avait également demandé à ce que les meubles, objets et autres affaires soient revendues dans une vente aux enchères au profit d’une association d’aide aux mutants nécessiteux. Il avait également fait fermer le compte à ce nom ainsi que ses coordonnées fictives sous ses différentes identités. Les faibles sommes restantes avaient également été reversées à différentes œuvres. Evan avait fait table rase de ses autres vies, de ses différents masques. Seul restait un compte à son nom, sur lequel depuis son arrivée à New-York, il avait placé 95% de l’argent de ses différents contrats. Si bien qu’il se retrouvait à la tête d’une somme relativement importante qu’il s’était gardé de côté pour les situations de crise. Et c’était bien le cas ici. De quoi repartir du bon pied et se refaire une virginité.

La crise aux Etats-Unis avaient permis d’acquérir d’immenses surfaces pour une bouchée de pain. Y compris à New-York, pourvu qu’on ne veuille pas s’installer à Manhattan. Cela tombait plutôt bien, c’était le cas d’Evan. Il avait jeté son dévolu sur le quartier de Brooklyn. Un endroit où les faibles coûts de l’immobilier attiraient de plus en plus de jeunes et d’artistes. Un lieu tout à fait pertinent aux vues des projets de Blake. Il avait jeté son dévolu sur une ancienne église non loin de Greenpoint Avenue. Les négociations avec l’archevêché de New-York n’avaient pas été longues : Pour un don conséquent que d’aucun pourraient juger indécent, Evan avait fait l’acquisition du bâtiment. Discrétion, acte de propriété remis clé en main. Bon, il y avait pas mal de travaux à faire. Mais le jeu en valait la chandelle. Et puis, avec du temps et de l’huile de coude, il y avait moyen d’en faire un lieu particulièrement agréable.

Evan voyait déjà le hall et la salle de l’office transformée en galerie d’art et d’antiquité. Le premier étage en appartements privés. Le premier étage avait été réaménagé moins de dix ans auparavant. Il existait même une panique room, une pièce secrète planquée derrière un mur de la bibliothèque. Un endroit idéal pour cacher du matériel et un équipement. La bibliothèque, toute en parquet, pouvait être réaménagée en dojo d’entraînement et de méditation. Il y avait du potentiel et peu de choses à rénover à l’étage. Le rez-de-chaussée devait être entièrement remanié et rénové. Cependant c’était immédiatement habitable et, cerise sur le gâteau, il y avait moyen de rejoindre les égouts via un escalier dérobé datant de la prohibition et menant directement à la canalisation principale donnant sur l’East River. Un moyen des plus efficaces pour entrer et sortir en toute discrétion.

Le problème du domicile réglé, Evan s’était lancé dans la question de son équipement. Il devait absolument trouver de quoi se protéger et s’armer pour remplir sa mission. Il était évident que ses simples dons de mutants ne suffisaient pas à couvrir l’ensemble des possibilités. De plus, dans certaines situations, le fait d’être identifié comme mutant pouvait être un sacré handicap. Il écuma donc plusieurs armuriers et surplis militaires de New-York afin de trouver ce qu’il désirait. L’ensemble de son arsenal se résumait à une liste simple. Il avait investi dans un gilet pare-balle, un casque et des jambières en Zylon pouvant arrêter les balles perforantes ainsi qu’un masque pour dissimuler et protéger son visage. Le meilleur matériel de protection qu’un civil pouvait se procurer légalement.

Il avait également investi dans un armement non létale visant à mettre hors d’était de nuire ses adversaires. Il avait ainsi rangé dans la panic room un pistolet Taser , un second hypodermique avec projectiles tranquillisants, des grenades lacrymogènes et GSS, deux bolas et un couteau de survie, le tout répartis entre les poches du pare-balle et une ceinture ornée d’un crâne, équipée d’un filin permettant de descendre en rappel. Il s’était procuré l’intégralité de cet équipement en payant les revendeurs en liquide afin de ne pas laisser la moindre trace. Il fallait se montrer prudent.

La nuit tombait sur Manhattan. Les dégâts laissés pas l’immense arbre qui avait attaqué la ville quelques mois plus tôt étaient encore visibles. Des cicatrices qu’il faudrait du temps pour effacer. Les journaux s’étaient répandus sur le fait qu’il s’agissait d’un attentat de la Confrérie. Plus que jamais, les mutants allaient être sous surveillance et cible des exactions des humains. Il fallait être prudent. Perdu dans ces considérations, Evan ne regarda pas devant lui. Et c’est donc logiquement qu’il heurta une personne à l’angle d’une rue. Se confondant en excuses, Blake aida la personne à se relever.

« Veuillez m’excuser…Je n’ai pas regardé où j’allais. Vous n’avez rien de cassé ? »

« Je peux vous retourner le compliment. C’est plutôt dangereux de se balader à cette heure avec une somme pareille en petites coupures…On est à New-York ici pas à Smallville…Vous permettez ? »

Il s’agissait là davantage d’une formule de politesse que d’une véritable requête. Evan fit avancer par télékinésie le sac vers lui et y jeta un coup d’œil. Ca n’allait sûrement pas plaire à sa propriétaire. Quelques mois auparavant, elle aurait constitué un défi de choix pour Evan. Une belle brune aux yeux revolver, au regard électrique qui semblait pouvoir vous foudroyer en un clin d’œil. Mais il avait changé. Depuis, il avait rencontré Evangelina et vécu tant de choses. C’était une autre vie. Il avait tourné la page. Blake leva la tête vers la jeune femme. Il n’y avait que deux catégories de personnes à se trimbaler avec un tel paquetage : les criminels et les fugitifs. Le tout était maintenant de savoir à quelle catégorie appartenait la belle inconnue.

« Je ne sais pas ce que vous fuyez ou quelle banque vous avez braqué mais je ne vous donne pas plus de vingt minutes pour vous attirer des ennuis. C’est à peu près du même niveau que de prendre une autoroute à sens inverse. Il est rare que l’on y survive bien longtemps. Et si par chance, c’est le cas, les forces de l’ordre auraient tôt fait de vous coincer…Et mon petit doigt me dit que vous préféreriez éviter d’avoir à faire à eux… »

Blake jouait quelque peu les mentalistes sur ce coup. Il utilisait des techniques de calibration pour jauger des réactions de la jeune femme. Il fallait lui montrer les alentours pour qu’elle se rende compte par elle-même que le jeu n’en valait pas réellement la chandelle. Evan fit glisser le sac aux pieds de la jeune femme après l’avoir refermé.

« Libre à vous de ne pas me faire confiance. Mais je vais vous donner trois informations dont vous ferez ce que bon vous semble. Regardez par-dessus mon épaule. Il y a deux gus à cent mètres en train de discuter à l’entrée de la pizzeria. Oui le crâne rasé et l’asiatique aux allures de Wesley Snipe dans Blade…Le premier appartient à la mafia italienne. Ils sont un peu dans le creux de la vague en ce moment. Ils auraient bien besoin de votre argent pour les aider à lutter contre d’autres groupes aux visées expansionnistes. Leur réseau est ancien et relativement développé donc il est probable que d’ici à ce que vous atteignez l’angle de la rue, il sache ce que contient votre sac. Le second est un indicateur. Il bosse en priorité pour les triades. Mais comme vous pouvez le constater, cela ne le gène pas de faire quelques petits extras avec la concurrence. Un indic est un indic. Seul l’argent intéresse ces gars là. Enfin dernière info et pas des moindres : vos billets sont marqués. Si vous les utilisez ou que vous les déposez sur un compte, la police ne tardera pas à vous mettre la main dessus…Mais c’est vous qui voyez, mademoiselle ? »

« Je ne crains pas les anti-mutants. Je suis fier de ce que je suis. La nature, le Destin ou Dieu, appelez ça comme cela vous convient, m’a donné un don. Ce serait criminel de ne pas l’utiliser. Vous ne croyez pas ? Et puis que serait la vie sans prise de risque ? »

Evan n’était pas dupe. Il était évident que d’utiliser ses pouvoirs en plein milieu de la rue était une prise de risque considérable. Mais on n’appâtait pas les mouches avec du vinaigre. Surtout quand on avait à faire à une personne pareille. Il y avait une forme de suffisance dans son regard, la certitude qu’ont les personnes qui sont conscientes de leur force. Ce qui les rend dangereuse. Blake était persuadé qu’il ne fallait pas sous-estimer son vis-à-vis. On ne se baladait pas de manière aussi décontractée avec une somme pareille si on n’était pas sûr de soi. Il avait cru dans un premier temps à de l’inconscience, à de la panique. Ce n’était pas le cas. La jeune femme semblait on-ne-peut plus lucide et posée. Elle n’en était probablement pas à son coup d’essai. Lui faire renoncer à son projet n’allait pas être une mince affaire. Et ce n’était pas forcément un job pour Evan Blake. LE Fantôme aurait sans doute était plus à même de gérer cette situation.

Il n’y avait que deux possibilités : soit tenter de convaincre la jeune femme par le verbe, soit la laisser partir et accepter d’être impuissant face à un soupçon de délit. Il ne pouvait en aucun cas recourir à la manière forte. C’était se mettre en danger. En revanche, il allait la jouer en finesse. Ça, c’était dans ses cordes et même, dans ses habitudes. Il suffisait juste de trouver le point d’accroche. A la façon de parler de son interlocutrice, il était évident qu’elle n’était pas née dans les bas-fonds de Big Apple. Il fallait donc se montrer à sa hauteur, aussi bien physiquement que moralement. Tout un défi en perspective. Ayant ouvert le bal des présentations, il lui rendit donc la politesse par un un baise-main des plus courtois.

« Enchanté Ney, je m’appelle Evan. Disons que votre profil m’a littéralement percuté d’une manière…renversante. Une jeune femme superbe, élégante, avec un sac remplit de billets…De quoi exciter la curiosité de l’esthète que je suis et animer une soirée des plus calmes. Concernant vos billets, ce sont des moutures récentes, équipés de traceurs donc même si vous en utilisez un pour acheter votre pain, vous serez localisée. Et vu que vous ne portez pas de gants, j’imagine que vos empruntes digitales se trouvent dessus…Autant dire que vous vous trimbalez avec le bat-signal allumé au-dessus de votre tête en permanence : très esthétique mais absolument pas discret…Et une véritable balise de localisation pour nos amis en uniforme. A ce rythme là, autant organiser le bal annuel de la police chez vous….»

Bon, ce n’était pas le summum du tact, mais au moins le message était clair. Il lui adressa un sourire narquois comme une provocation. Le genre de geste qui risquait fortement d’irrité la demoiselle. Mais au moins, il y aurait matière à débattre.

« Prouver ? Pour quoi faire ? Je ne vous accuse de rien. Je porte juste à votre connaissance le fait que l’on saura où vous trouver si l’on désire vous poser des questions à propos de cette somme. Après, vous faites de cette information ce que vous voulez… »

Le ton utilisé par la jeune femme était loin d’être cordial. Et son attitude laissait peu de place à l’interprétation. Tout du moins, c’était ce que la manifestation de son pouvoir laissait augurer. Une agressivité latente s’installait dans l’échange. Evan l’avait parfaitement perçu. Et il savait que l’être humain, comme les animaux avait tendance à charger s’il se sentait acculé. Et vu les caractéristiques qui semblaient être celles de la jeune femme, il valait sans doute mieux éviter ce genre de situation.

« L’argent ne m’intéresse pas. Ce que j’aimerais, c’est vous éviter des ennuis parce que bizarrement, votre argumentation me convainc de plus en plus que vous avez quelque chose à cacher. Mentir ne doit pas être dans vos habitudes ou alors vous avez encore une grande marge de manœuvre dans ce domaine… Je vous offre mon aide. Je connais bien les bas-fonds de cette ville et l’envers du décor. Je sais ce que c’est d’être traqué et de vivre dans la suspicion, de se retourner toutes les cinq minutes pour vérifier que l’on n’est pas suivi…Je vous propose mon aide. Il n’est jamais trop tard. Maintenant, vous faites de cette proposition ce que vous voulez…Je n’irais pas vous causer du tort s vous refusez… »

Il était probable que la nervosité visible de la jeune femme lui cause des soucis à un moment ou à un autre. Il valait mieux anticiper le problème et le résoudre avant qu’il ne soit ingérable et mette les personnes alentours en danger.

« Mais tout d’abord, vous devriez vous délester de ce qui vous pèse…Et je ne parle pas exclusivement du sac si vous voyez ce que je veux dire… »