Un nouvel observateur ? [PV Georges J. Patterson]

Il suffira d'un signe parait-il. Eh bien non, pour le coup il s'agissait de deux. Très brefs pour sûr, mais nettement significatifs. Une des radios que j'utilisais pour intercepter certains messages reçut une fréquence inconnue, du fait de sa caractéristique éphémère, qui émit deux bruits distincts avant de s'évanouir dans le silence de la chambre. Deux bips situés dans deux gammes différentes. Un son très grave puis un son plutôt aigu, soit le signalement qu'une urgence s'était déclarée. Mais pas au sein même de la Confrérie, bien sûr que non, mais plutôt quelque chose de personnel. C'était en effet un signal envoyé par l'un de mes informateurs. Naturellement je l'avais reconnu pour sa façon de me prévenir, si propre à lui-même et la durée de ce signalement était si brève que pour le retrouver, c'était peine perdue. À moins de savoir où chercher, ce qui n'était pas entre les mains de tout le monde, mais des miennes. Aussi je pris aussitôt quelques affaires, juste pour le cas où, et je me précipitai hors des murs de la Confrérie, sans même prêter attention à qui ou quoi que ce soit. Enfin pas en apparence du moins, mais j'empruntai l'un des chemins méconnus de la plupart des autres membres, si ce n'est des plus hautes têtes.
Le lieu de rendez-vous n'était pas des plus discrets certes, mais uniquement du fait de sa localisation géographique. De fait c'était dans des buildings à la suite de la catastrophe de Mutant Town, donc dans des bâtisses encore meurtries des impacts de balles ou d'explosifs. Le choix de cet endroit était des plus simples, les installations électriques ayant pour la plupart été partiellement voire totalement détruites, les dispositifs de vidéosurveillance avaient été court-circuités, soit par l'attaque, soit par mes propres soins. Qui plus est, il fallait s'y faufiler par des passages entre les murs et dans les fondations pour atteindre certains espaces, ceux-là même qui menaçaient tout de même de s'effondrer à tout moment. Naturellement il y avait toujours quelques forces à la charge de patrouiller dans le coin, mais en connaissant les heures de ces dernières, c'était un jeu d'enfant, et mener des actes à leur encontre assuraient la fin des négociations, bien que l'envie n'avait nul besoin de se faire ressentir. Quant à savoir comment il avait pu faire fonctionner sa radio, il fallait déjà savoir d'où il l'avait utilisée, et chacun a ses secrets après tout, un travail bien fait n'engage pas systématiquement de mise à l'épreuve.

Ayant pris tout le soin possible pour limiter au maximum les risques éventuels, j'étais apparue dans la petite pièce, qui devait servir de garde robe si je ne m'abuse, sous l'apparence d'une tête des hautes sphères politiques connues de la mairie, à savoir celle-même que mon équipe avait éteinte une poignée d'années auparavant. Ce mystérieux informateur n'avait jamais vu mon visage, et ce n'était pas demain la veille qu'il la verra, il se verra plutôt une balle entre les deux yeux avant de pouvoir discerner le jaune de mes cavités oculaires, ce qui est pourtant très simple à remarquer. Par ailleurs, je n'avais jamais vu le sien non plus, puisqu'il avait pris contact avec moi sans que je sache ni son identité, ni sa stature ni quoi que ce soit. Mais cela n'a guère d'importance, des recherches approfondies m'avaient permis de découvrir ultérieurement son identité, et nous nous étions déjà rencontrés à plusieurs reprises, ce à visage masqué certes. Dans la majeure partie des cas, il pouvait seulement émettre des hypothèses quant à ma propre identité, qu'elle soit seulement mon nom, mon origine ethnique, mes affiliations à un groupe ou à un autre, voire même sur ma condition de mutante.
En apercevant la silhouette le long du mur, je mis une main dans mon dos et claquai des doigts pour attirer son attention plus sur ce bruit que sur ma présence dans ce lieu, qu'il avait de toute évidence déjà remarquée. Non pas que je sois spécialement bruyante, bien au contraire, ni visible vu que j'adapte la couleur de mon corps aux couleurs ambiantes, mais il avait vraisemblablement aperçu les ombres sur le sol. Ou alors il s'était procuré un appareil de vision nocturne, tout était possible après tout. Je pris un téléphone portable, regardai brièvement l'heure et activai après quoi le dictaphone, seulement au cas où un détail pourrait m'échapper pendant l'entretien, ou bien si ce dernier s'avérait durer un long moment, ce qui était plus que probable comme toute situation d'urgence. Il était alors temps de commencer, il me tardai de savoir par quel curieux hasard il m'avait fait venir, j'espérais seulement que ce ne serait pas peine perdue, mais a priori de sa part cela n'avait guère d'utilité de le soupçonner. Bien que certains détails auraient dû me mettre la puce à l'oreille très vite, mais je n'y avais pas fait attention jusque là.

« Ne perdons pas plus de temps que cela, l'heure n'est pas aux salutations distinguées, n'est-ce pas ? Quelle est la source de cette agitation ? »

Je n'avais même pas pris la peine de m'installer sur une des deux chaises ordonnées autour de la table avec une foule de papiers bien en évidence. Intérieurement je ne pouvais pas attendre une minute de plus de connaître le fond de tout ceci, mais pour faire bonne figure il ne fallait rien montrer, et encore moins y penser autant que faire se peut. Les années de vie sont très utiles dans ce genre de situation, mais il fallait tout de même rester sur ses gardes, ce ne serait pas la première fois que l'on tente de me faire aller droit dans un mur, joliment enveloppée dans une camisole de force qui plus est. Une balle et tout serait fini, mais autant patienter un maximum avant d'envisager cette possibilité comme la fin ultime de ce scénario. Rien ne sert de se presser lorsque votre métabolisme vous permet de demeurer sur cette Terre un nombre incroyablement plus avancé d'années que la majeure totalité des habitants de ce monde.