Loyauté égarée [PV : Mewen Hatan]

Lorsque Mewen revint, elle était toute aussi inquiète qu’avant son appel, mais déclara que s’il n’avait pas répondu, c’était qu’il était occupé. Elle se rassit en face de lui.

Sébastian la regarda, même si le simple ton de la jeune femme laissait clairement entendre ce qu’il allait énoncer à haute voix.

- Vous n’y croyez pas vous-même, Tazer.

Le Sombre Voyageur n’avait pas réellement pour but d’enfoncer le couteau dans la plaie, n’étant pas un sadique, mais il devait se tenir à son rôle de démon et par conséquent, cela passait par des moments d’inhumanité. Tuer ne lui posait aucun cas de conscience, mais il n’était pas dans sa nature de torturer les autres ; ni dans celle du Léviathan, d’ailleurs, bien que l’un comme l’autre eussent faits leurs preuves dans ce domaine.

- Il vous faudra regarder la réalité en face sans sourciller : vous êtes dans un conflit sans code moral ou éthique. Tous les coups sont permis, la fin justifie les moyens. Il n’y a plus de dommages collatéraux ou d’innocents ; juste une lutte à mort entre divers protagonistes. Si la notion de mal avait la moindre signification dans un monde d’égoïste et de violence, vous auriez atteint le plus bas degré : je n’hésiterai pas à sacrifier des dizaines de vies pour tuer Sinister, à impliquer le BAM, la Confrérie, des mercenaires, même si tout ce beau monde avait de grande chance de s’entretuer après coup : le résulta m’importe, les moyens, non. Qu’ils s’entretuent, je n’en ai cure, tant que mon objectif est atteint. C’est cela le monde dans lequel vous vous êtes engagé : pas de code d’honneur ou de coup suffisamment tordus pour être considérés comme incorrectes. Ne faite confiance qu’à vous-même, et assurez-vous d’avoir toujours un moyen de garder vos alliés prêt de vous.

On apporta les entrées, leur servant un « bon appétit » peu convainquant. Sébastian laissa à Mewen le soin d’attaquer la première, se servant de ses propres couverts avec dextérité ; il était surprit que malgré qu’il n’eut qu’un seul couteau et qu’une seul fourchette, il soit capable de manger avec la même élégance qu’on lui avait enseignée, un siècle plus tôt. Il mangeait sans réellement faire attention à ce qu’il avalait, laissant à Tazer le soin de se concentrer sur autre chose que feu son ami comme elle le pouvait.

L’aider ou ne pas l’aider ? S’il pouvait compatir, Sébastian ne le ferait pas : il était entouré de témoins et ce devait de conserver sa réputation. Il était considéré comme un sociopathe, mais ce n’était pas entièrement vrai : il pouvait disposer d’empathie comme de sentiments, mais les bloquaient volontairement. Cela lui permettait de ne pas devenir fou face à ce qu’il avait déjà commit, et ce qu’il commettrait encore.

Il resta silencieux jusqu’à ce que l’on apporte le plat principal, composé d’une grosse pièce de viande. L’ennui quant on mangeait peu, c’est que l’on en perdait l’appétit, et qu’il n’était pas sure de pouvoir avaler la totalité de ce plat : l’entrée avait largement suffi à lui caller l’estomac. Hésitant à laisser les Hydres se repaitre d’un plat cuisiné, il prit cependant une bouchée de se dernier, par politesse.

Enfin, Sébastian tourna à nouveau son attention sur Mewen Hatan.

Mewen ne dit rien à sa première phrase, mais répliqua qu’il était plus simple de parler que d’agir ; encore un point traité avec efficacité par Sébastian : parler peu, et faire ce que l’on disait. Il prétendait être capable de la torturer à mort, et n'hésiterait pas à mettre en pratique cette promesse, pour peu qu’elle soit nécessaire. Ce n’était actuellement pas le cas, mais pouvait toujours le devenir plus tard comme ne jamais l’être ; tout dépendait des actes de la jeune femme. De ses mots aussi, car il était facile de vexer un immortel malgré le détachement de ces derniers, et leur rancune était infiniment plus tenace que celle des humains.

Il la regardait manger, détaché ; Mewen semblait véritablement apprécier pareil repas, et montrait d’excellentes manières. Droitière et adroite, elle semblait habituée à ce genre d’endroit, chose surprenante considérant les moyens et les agissements de la Confrérie en général. Mais elle était à l’aise, parfaitement dans son élément, lui proposant même un verre de vin. Avec un sourire, surprit, il accepta.

La jeune femme était une gentille personne qui n’avait eut que les mauvaises fréquentations, visiblement, et il avait peut-être une once de remord à l’idée de la corrompre. Pour éviter tout commentaire de la part du Léviathan, il balaya cependant rapidement cette pensée.

Finalement, une fois le plat principal arrivé, au moment où le Sombre Voyageur s’apprêtait à relancer la conversation, la jeune femme le fit de sa propre initiative, complimentant les talents du chef. Sébastian eut un rire bref à cette phrase.

- Il ne s’agit pas du chef habituel, mais je suis minutieux dans mes actes : en prévision d’un éventuel repas d’affaire, j’ai fait venir un cuistot des Russes. Content de voir qu’il vous plait, je pourrais vous laisser son adresse, si vous le souhaitez. Son patron est un ami, et les amis de ses amis sont ses amis : je suis sure qu’il ne rechignerait pas à vous le prêter. Moyennant finance, probablement.

Prenant une nouvelle bouchée de viande, Sébastian ne put s’empêcher de constater que le repas avait complètement calmé et détendu Mewen ; c’était un moyen à moindre frais de lui faire oublier ses soucis, visiblement. Noté. Enfin, à moindre frais, s’ils avaient payé, il y en aurait eut pour plusieurs millier de dollars, probablement. Rehausser le salaire de Mewen ou lui fournir le couvert dans un restaurant devait donc être envisagé.

Déposant ses couverts après une nouvelle bouchée de viande, il s’accouda, posant deux doigts contre sa tempe. Pas sur la table, évidement, mais sur les accoudoirs.

Que fichait donc Vince ?

Comme par enchantement, cette pensée terminée, son majordome arriva. Emil Vince présentait l’apparence en costume d’un cinquantenaire assez usé, des rides apparaissant prématurément sur son visage à l’ossature marquée et au nez conséquent, des cheveux bruns blanchissant par endroit et dont le regard vert propageait une bienveillance qui n’avait pas lieu d’être chez les mafieux. Il complétait sa tenue standard par un chapeau en feutre et une paire de gants en cuir, tous aussi noirs que son costume.

Une fois son homme de main posté à leur hauteur, le Sombre Voyageur fit un aller-retour de la main entre Emil et Mewen, pour les présentations.

- Tazer, Vince ; Vince, Tazer.

- Enchanté mademoiselle Taser, vous préférez la bise ou une poignée de main, répliqua-t-il avec un sourire aimable, ôtant son chapeau.

C’était pour cette grande sociabilité que Sébastian avait accepté de prendre sous son aile cet orphelin dont les parents avaient été tués dans une guerre de gang, alors qu’il avait quinze ans. Un cadeau du Milieu Français, que Faust aurait très bien put refuser. Mais trente-cinq ans plus tard, il ne regrettait toujours pas les compétences sociales de Vince.

L’homme de main sortit un petit emballage cadeau d’une de ses poches, le tendant vers Mewen.

- Un I-phone et une carte de crédit, pour la demoiselle. Je ne crois rien avoir oublié, reprit-il avec toujours le même air presque jovial. Alors comme cela vous allez bosser avec nous ?

Mewen donna à Vince une poignée de main, confirmant qu’ils allaient travailler ensemble, ajoutant même qu’elle était contente d’être payée. Elle frima même en déclarant qu’elle n’avait pas besoin du code, étant Cyberpathe, puis après avoir ouvert l’emballage, rangea ses nouveaux effets dans ses affaires.

- Le code est avec la carte de crédit, sur un bout de papier, déclara Vince. Même si je pense aussi qu’il vous soit inutile ; j’ai juste une question, êtes-vous pickpocket ? Parce qu’en ce cas, je ferai mieux de vérifier mes poches, si vous n’avez besoin d’un code pour user d’une Carte Bleu.

Le ton était clairement à la rigolade, sauf que Sébastian notait quant même la chose. Il n’avait pas de carte bleu sur lui, pas plus que de téléphone ou autre gadget de cette époque pouvant conduire directement ou indirectement à sa localisation, mais il fallait quant même ce méfier. On n’était pas à l’abri d’un micro ou d’un traceur placé dans une de nos poches.

Sébastian ne put s’empêcher de sourire lorsque Mewen déclara avoir les moyens de louer les services d’un tel cuisiner ; si elle s’amusait à vivre à ce niveau, les 100k $ n’allaient pas tenir une semaine. Mais bon, elle était grande, et elle devait savoir gérer son argent.

Le visage du Sombre Voyageur était aussi grave que celui de son acolyte était jovial. Vince suivait, alors que Sébastian prévoyait, planifiait, manipulait pour arriver à ses fins. Le temps de ce repas avait été plus que suffisent pour qu’il choisisse comment frapper, à qui et où ; avoir toujours un coup d’avance, comme dans une immense partie d’échec. Car encore plus que sa participation au Club des Damnés, cela faisait trois quart de siècle que sa vie était une immense partie d’échec. Prévoir les réactions de ses ennemis comme de ses alliés, manipuler les événements à son avantage, planifier, conspirer…

Ses objectifs étaient vastes et intemporels, mais simple en réalité : Amanda. Il voulait ramener sa femme, sa fiancée, son amour, d’entre les morts. Le Léviathan lui avait promit qu’il pouvait le faire, mais rien était gratuit : ils avaient fait un pacte. Comme Sébastian et Mewen ; sauf que dans son pacte à lui, le Sombre Voyageur n’en sortirait jamais. Sébastian laisserait une chance à sa vassale de se ranger, une fois qu’elle n’aurait plus d’utilité. Le Léviathan apportait le pouvoir, mais le pouvoir valait-il de perdre son âme ? Pour Sébastian, c’était un choix depuis longtemps accomplit. Un choix qu’il ne pouvait pas regretter… Amanda…

Tazer avait continué de manger, tandis que Vince n’avait pas demandé pour se ramener une chaise et commander un plat.

- Je vais vous expliquer comment cela va se passer : nous allons finir ce repas, puis nous allons nous séparer. Je vais analyser les données que vous m’avez apportées, Tazer, puis je vous recontacterais. Je vais avoir besoin de vous pour localiser la Confrérie, j’ai déjà plusieurs contact là-bas. L’affaire se passera en deux temps : premièrement, je vais me servir d’eux pour lancer des attaques contre les points d’orgues de Sinister, sa banque par exemple. Ensuite, j’userai du BAM et de mes contacts là-bas pour lui faire une guerre un peu plus légale. En leur communiquant les informations autres que celles que j’ai données à la Confrérie, je devrais leur prouver qu’il n’est pas mort, ils le traqueront pour moi ensuite. Je préfère cependant ne pas vous impliquer dans la partie avec le BAM, ce serait mauvais pour votre santé. Une fois la tête de Sinistre plantée au bout d’une pique et son cœur dévoré, vous serrez libre de faire un choix Tazer. Soit vous reprenez votre liberté, soit vous continuer de travailler pour moi. Jusque là, c’est le second point qui domine, donc attendez vous à des missions ou autres. Vous savez comment me joindre, je sais comment vous joindre. En cas de problème, n’hésitez pas. Si vous avez des questions, posez-les.

Sébastian voyait cette période comme un test ; si Mewen était à la hauteur, et qu’elle gagnait une confiance relative, ses capacités seraient parfaitement employables par la Cabale du Léviathan, voir même par le Club des Damnés. Il n’avait cependant pas l’intention de lui forcer la main, même s’il lui ferait croire le contraire. Il jouait depuis tellement de temps le rôle du grand méchant que cela lui collait à la peau, mais il ne forcerait pas une âme à se damner.

Il ne forcerait pas une âme à se damner, mais le Léviathan pouvait mettre toutes les chances de leur côté...