Retrouve moi si tu peux [Pv Evan]

Négocier avec une veuve roulant sur l’or de son défunt mari mais dont la date limite de consommation était passée depuis bien longtemps n’était pas forcément l’un des exercices favori d’Evan. Qui plus est quand la dame en question semble plus intéressé par la volonté de le mettre dans son lit que par le deal à proprement dit. Repousser des avances tout en tenant de conclure l’affaire relevait du numéro d’équilibriste. Et Blake avait, dans ce genre de situations, la désagréable sensation d’être prit pour un gigolo.

Heureusement un sms vint lui sauver la mise alors que la cougar, engaillardie par le champagne, tentait une approche des plus navrante sur le canapé avec vue imprenable sur Manhattan. Evan laissa la femme au foyer désespérée plantée là et prit congé sans autre forme de procès. En franchissant la porte de l’appartement d’un pas empressé, il sortit son téléphone dernier cri de la poche intérieure de sa veste. Un numéro inconnu.

Citation :

Je n'ai pas résisté, pas autant que je le voulais
Rendez-vous ce soir, à Central Park, aux alentours du Lake, au bord de l'eau.
J'y serais à partir de 22h30, et vous y attendrais jusqu’à minuit
Si vous ne me trouvez pas d'ici là, je rentrerai.
Mais je doute que j'aurais à le faire, une petite intuition.

À bientôt mon reflet.
Ps : venez sous votre vrai visage.

Evangelina. Tout du moins c’est ce qu’il supposait. Pas de signature mais la tournure des phrases et les références ne laissaient planer quasiment aucun doute. Il eut un sourire en coin. Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle le recontacte si tôt. Il sentit une légère montée d’adrénaline. Qu’allait donner cette nouvelle rencontre maintenant qu’ils avaient quelque peu tombé les masques. Lui qui était habitué à vivre dans le mensonge et la dissimulation, se retrouvait face à une problématique inconnue.

Venir avec son vrai visage…Plus facile à dire qu’à faire. Et que sous-entendait-elle par là ? Son style vestimentaire ? Sans langue de bois ? Devant sa glace, Evan demeurait perplexe. Il opta néanmoins pour un jean brute, une chemise sombre et son blouson de cuire. Il avait écarté les lunettes de soleil. De nuit, c’était un peu too much.

22h25. Le « Lake » était le plus grand plan d’eau de Central Park. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Il y avait une pointe rocheuse à proximité du Ladie’s pavillon qui permettait d’observer une bonne partie du lac. Sans doute le meilleur lieu pour la trouver. Evan s’était rendu imperceptible. Histoire d’avoir l’impression de maîtriser la situation. Il n’eut pas longtemps à attendre. Il la vit s’avancer sur la rive opposée. Il eut d’abord un peu de mal à la reconnaître, habillée d’un jean ample et d’un sweet à capuche. Loin de l’image glamour d’Aimée Lacroix. D’un pas calme, il se dirigea vers elle puis s’assit sur un banc qui se trouvait à proximité de la rive. Il l’observa ainsi de longues minutes, allongée sur la roche, la tête dans les étoiles. Devait-il y aller ou rebrousser chemin ? Saurait-il être lui-même, sans tricher, sans jouer de rôle ? Pour le savoir, il devait se lancer. Il avança donc vers elle d’un pas calme et mesuré. Discrètement, il s’assit près d’elle et tourna la tête pour la regarder avec un grand sourire. C’est à cet instant qu’il se matérialisa. Effet de surprise garanti. Comment allait-elle réagir ?

Au moins n’avait-elle pas hurlé de surprise. C’était déjà ça. Mais Evan était néanmoins quelque peu déçu. Il avait espéré un tressaillement, un bref instant de choc. Non, rien. Son côté sale gosse fulminait. Comment ça ? A quoi cela servait d’avoir un super-pouvoir-de-la-mort-qui-tue si ça ne faisait même pas peur aux filles ?

Mais il prit de la hauteur, s’accordant avec ses émotions. Elle n’était pas n’importe quel fille. Il en avait prit conscience dans les quelques jours qui l’avaient séparé de leur première rencontre. Il avait pensé à elle. Ce qui pour Blake était assez exceptionnel. Il rationalisa. Il ne connaissait pas toute l’étendue de ses pouvoirs de mutantes . Peut-être était elle capable de le détecter. Après tout, il ne s’était servi que du niveau primaire de son don. Ou alors était-ce autre chose ? Etait-il plus lié à elle qu’il ne l’imaginait ? Oula mon garçon…On se calme et on arrête de se faire des films…C’est ce qu’Evan tâcha de se répéter alors qu’il la fixait.

Elle s’était mise dans une position troublante. Les genoux croisés dans les bras et la tête posée sur ces derniers. Comme une petite fille qui vous fait les yeux doux. Evan senti une chaleur et une confusion diffuse l’envahir. Les paroles de la jeune femme accentuèrent le trouble. Son reflet ? Elle avait déjà eu ces mots dans le sms. Ainsi, c’était de cette manière qu’elle le percevait ? Mais quel sens donnait-elle à cela. Evan se reprit. Il devait être lui-même mais pas exposer certaines fragilités. C’était trop tôt. Il se contenta d’un baise-main, posant avec douceur ses lèvres sur la peau d’Evangelina.

« Bonsoir bel ange...Il semblerait que j’ai eu de la chance. Les astres m’ont plutôt été favorables. A moins que tout ceci ne soit déjà écrit… »

Elle l’avait tutoyé. Elle posait les jalons plus rapidement qu’Evan lui-même ne l’aurait fait. Mais cela lui convenait. Le courage était une qualité qu’il appréciait particulièrement chez les gens. Et Evangelina ne semblait pas en manquer.

« Je vais bien. Comment pourrait-il en être autrement quand l’on reçoit une invitation aussi attrayante de la part d’une jolie femme ? Qui plus est dans un lieu aussi agréable que Central Park.. »

Bon, il la jouait un peu séducteur. Il avait prit le tutoiement pour ce qu’il était probablement : un appel du pied malicieux et bienveillant pour voir comment il allait réagir. Même si les masques étaient quelque peu tombés, le jeu continuait mais avec un relationnel qui semblait à Evan beaucoup plus complice. Ce n’était pas pour lui déplaire.

« Ainsi c’est à cela que tu ressembles quand tu es…toi ? J’aime beaucoup. C’est simple, féminin tout en restant fonctionnel. Très agréable… »

Il la regarda longuement dans les yeux, fixant les yeux noirs de la jeune femme de son regard d’azur. Il se rendit compte au bout d’un long moment qu’il tenait toujours la main d’Evangelina dans la sienne. Il dut se faire violence pour se sortir de cet état semi-hypnotique et reprendre ses esprits. Le lien mystérieux se faisait plus présent, comme s’il se diffusait en lui.

L’ambiance était étrange. Les mots sortaient difficilement. Evan devait bien se rendre à l’évidence : elle n’était pas plus à l’aise que lui. Ni l’un, ni l’autre ne devaient avoir l’habitude de nouer une relation sans masque, sans rôle à jouer, en étant juste eux-mêmes. Cela le rassurait et l’inquiétait à la fois. Il avait passé une bonne partie de sa vie à fuir et à tricher. Et pour la première fois, il s’interdisait de le faire. C’était étrange, déroutant. Qu’allait-il pouvoir dire ou faire ? Pour le moment, il avait choisi de se taire. Il valait mieux ne rien dire de plus que de dire une connerie qu’il aurait par la suite toutes les peines du monde à rattraper.

C’est à ce moment là qu’elle lui demanda si elle pouvait récupérer sa main. Le con !!! Il voulait éviter une première boulette et bien, il fallait bien constater qu’il avait raté son coup. S’il avait pu, il se serait donné des claques. C’est d’ailleurs ce qu’il fit intérieurement en se visualisant en personnage de manga en train de se frapper la tête contre un mur. L’autodérision était sa planche de salut quand il avait quelque chose à se reprocher. Il tenta de rattraper la situation comme il pouvait.

« Euh…Bien sûr…Désolé… Je pensais que tu me la confiais pour la soirée…»

Non mais vas-y continue !!! Il ne pouvait pas balancer de réplique plus navrante que ça. « Ferme ta gueule !!! » était la phrase que son dialogue interne lui hurlait en boucle. Se recentrer, récupérer une contenance. Eviter de tout faire foirer. Il fallait qu’il s’y emploi au risque d’écourter sacrément la soirée ou d’écorner l’ambiance. Il s’allongea près d’elle, continuant à la fixer. Pourvu qu’elle ne se soit rendu compte de rien.

Elle lui proposa un cours d’astronomie. Yes ! Une branche à laquelle se raccrocher ! Blake la saisit sans hésiter.

« Avec plaisir…Je vous suis colonel Carter…»

Et encore une vanne pourrie ! Si ça se trouve, elle ne connaissait pas Stargate ou trouvait ça sans doute bon pour des ados boutonneux en mal d’aventure. Evan lui était plutôt friant de ce genre de séries mêlant mythes anciens et mystères contemporains. Là, c’était sûr, il allait vraiment passer pour un con. D’un autre côté, il retrouvait des sensations d’avant : sa langue trop bien pendue, ses vannes désespérantes…Sarah s’en amusait. Mais c’’était il y a si longtemps…

Il se recentra à nouveau. Décidemment, son esprit n’était pas très affuté ce soir. Il écouta les explications d’Evangelina, écoutant sa voix calme. Il avait quelques connaissances en astronomie. Tout du moins, il connaissait le nom des constellations et les mythes qui y étaient associés.

« La Lyre représente en réalité la Cythare d’Orphée, placée dans le ciel par Zeus après la mort du poète…Dans sa forme de vautour, on raconte qu’avec l’Aigle et le Cygne qui se trouvent non loin, il me semble, elle représentent les oiseaux du lac Stymphale, abattus par Héraklès lors de l’un de ses 12 travaux…C’est bien ça ? »

Bon. Il avait quelque peu étalé sa science. Mais au moins, ça lui avait permis de ne pas dire de connerie. Pour changer.

« J’aime regarder le ciel, les étoiles, les couchers de soleil. Je trouve ça apaisant. Et ça me remet à ma place de simple mortel dans l’univers. Tout cela était présent bien avant nous et sera encore là quand nous ne serons plus que poussière depuis déjà bien longtemps… Au final, la seule chose qui importe ce n’est pas la gloire, l’argent ou le pouvoir…Mais ce que nous en auront fait pour nous et pour ceux qui nous sont chers…»

Cette réflexion rassurait et effrayait Evan à la fois. Et étrangement, il avait ressenti l’envie de la partager avec Eva.

Elle avait raison. De nombreuses constellations étaient liées à Héraklès. D’une manière ou d’une autre, il avait marqué la civilisation grecque. Et la mémoire des humains par la même occasion.

Elle s’était tournée vers Evan. Et soudain ses yeux noisette semblaient le transpercer. Comme si elle avait voulu lire en lui. Il ne put s’empêcher de plonger dans cet océan de ténèbres. Jusqu’à ce qu’il y croise la peur. Son sourire avait disparut. Blake sentit que quelque chose la tracassait. Il lui sembla la voir frémir. Sans se poser de question, il ôta sa veste en cuire et la tendit à la jeune femme.

"Tu trembles…Prends-la… »

C’est à ce moment précis qu’il sentit la main d’Evangelina se glisser dans la sienne. Une violente décharge d’adrénaline le submergea brusquement. Son programme primaire lui indiquait de fuir comme il en avait prit si souvent l’habitude. Mais la sensation des doigts fins de la jeune femme, de la délicatesse de ses ongles dans sa paume le figeait. L’adrénaline laissa la place à un sentiment de douceur et de bien-être qu’il ne voulait pas quitter.

"Je te promets d’en prendre le plus grand soin »

Ce fut la seule phrase qu’il parvint à prononcer. Il recouvrit la jeune femme de sa veste et s’allongea de nouveau à côté d’elle les yeux fermés pour savourer l’instant présent, maintenant sa main comme une captive dans un écrin de velours. Il resta quelques minutes sans rien dire avant d’oser à nouveau déchirer le silence.

« Je me suis souvent demandé…Crois-tu qu’il y ait une part de vérité dans les mythes et les légendes ? Si Héraklès a réellement existé et qu’il a bien accomplit les exploits qu’on lui prête, peut-être était-il l’un des nôtres…Je pense qu’il y a plus de mystères que l’on veut bien le dire dans l’histoire des hommes…Je veux dire…Regarde les dons qui sont les nôtres…Il y a 2 500 ans nous aurions été vénérés comme des demi-dieux…Et chacun sait que l’évolution est un processus long et progressif…Je ne crois pas que nous soyons les premiers. Il y en a eu forcément avant nous, non ? »

Cette pensée mûrissant en Blake depuis qu’il avait découvert ses pouvoirs. Il avait maintenant passé plus de la moitié de son existence à comprendre le mystère de la condition mutante. Mais jamais il n’avait confronté ses croyances à une personne qui pouvait le comprendre. C’était l’occasion ou jamais.

« Je ne crois pas que le temps nous rende faibles…Bien au contraire. Toute légende a un fond de vérité. Plus le temps passera, plus nous serons nombreux. Le gène X semble prendre le pas sur l’homo sapiens. D’expérience, les enfants de mutants deviennent mutants. Il est rarissime que certains d’entre nous aient des enfants « normaux ». Un jour l’homo sapiens s’éteindra. Comme Neandertal avant lui. Mais cela ne se fera pas en une génération. Sauf si certaines factions mettent leur plan à exécution. Je crois qu’il faut laisser la nature faire son œuvre. C’est aussi cela la Liberté…Enfin, de mon point de vue… »

Evan se retourna vers Evangelina. Elle le fixait calmement. Il se troubla. Le lien semblait inexorablement l’attirer vers elle comme deux aimants aux charges opposées. Il aurait voulu poser sa main sur la joue de la jeune femme, la caresser, se noyer dans sa chevelure d’un brun intense. Mais il se fit violence pour ne pas sombrer. C’était trop. Trop vite, trop tôt. Pour l’instant, il voulait se contenter de cette main qui n’engageait à rien. Comme deux amis. C’est à cet instant qu’il se rendit compte que leurs doigts s’étaient mêlés. Les phalanges de la jeune femme épousant les courbes de chacune de ses propres jointures. Il sentit son cœur s’emballer. Mais il prenait soin de ne rien laisser paraître qu’un sourire bienveillant et charmeur.

La question qu’elle lui posa le sortit de ses pensées. Un héros auquel il s’identifiait ? Il y avait pensé pendant de longues heures les nuits de solitude. Il était attaché aux symboles, aux exemples. Peut-être l’avait-elle deviné. Ou tout simplement projetait-elle ses propres attentes, ses propres questionnements. Et cela intriguait Evan au plus haut point.

Si je devais me définir, je dirais que je suis un croisement entre Indiana Jones, Robin des bois et Arsène Lupin…Après, ce serait assez prétentieux. Mais mon héros préféré reste indubitablement Ian Solo…Et toi ? Qui te correspondrais le mieux ? Qui est ton héros ou héroïne préférée ? »

Il s’était attendu à bien des choses, mais pas à ça. Qu’elle prenne les devants, qu’elle se lance. Il n’y avait pas songé une seule seconde. Etais-ce pour éluder la question ? Si c’était le cas, il s’agissait d’une manœuvre risquée mais sacrément efficace. Il sentit les lèvres d’Evangelina se poser sur les siennes. Cet instant ne dura qu’une fraction de secondes mais pour Blake, ce fut un moment d’éternité. Son cœur explosa dans sa poitrine. C’était la première fois qu’il ressentait une telle sensation de plénitude et de joie.

Mais cela ne dura pas. La peur le saisit au vol comme s’il avait été réceptionné avec une batte de base-ball. Trop vite. Trop tôt. Trop dangereux. Ne pas s’attacher. Cela avait été son programme de survie durant des années. Et voilà qu’Eva passait par là et malgré les masques, les barrières et les faux-semblants, elle l’avait touché en plein cœur. Il était désarmé et pour la première fois depuis bien longtemps, il se sentait complètement désarmé. Il devait se rendre à l’évidence : fuir lui semblait intolérable mais il ne voulait pas précipiter les choses. Même s’il la connaissait peu, il ne voulait pas risquer de la perdre. Mais il ne voulait pas précipiter les choses non plus.

Les mains de la jeune femme encadraient son visage. Dieu que le contact de sa peau était agréable. Il aurait voulu lui rendre son baiser mais il en était incapable, paralysé par le dilemme. L’attraction était forte. Comme celle qu’une étoile exerce sur un astre. Il avait envie de la serrer dans ses bras, de se perdre dans sa chevelure, de l’étreindre pour la garder près de lui. Mais son corps semblait ne plus lui obéir.

Evan se trouva incapable de dire quoi que ce soit. Et là, il ne pouvait plus masquer son trouble. Tous les mots lui semblaient vaincs et ineptes face à cette situation. Evangelina semblait aussi très perturbée. Elle n’avait vraisemblablement pas prémédité son coup et se trouvait aussi embarrassée que lui. Elle bredouilla quelques excuses, lui demandant de ne pas partir. Blake ouvrit la bouche mais aucun son ne semblait vouloir en sortir. Comme si ses cordes vocales étaient hors service. Comment lui faire comprendre ce qu’il ressentait, ce qu’il pensait ?

Ce fut presque mécanique. Comme lorsqu’on finit par trouver la combinaison d’un coffre-fort. Le verrou s’ouvrit et il parvint enfin à la solution.

« Lis en moi… »

« Tu n’as pas à t’excuser…Si tu ne m’avais pas embrassé, c’est sans doute moi qui aurait cédé le premier. Il y a quelque chose entre nous. Je ne sais pas si c’est du désir, de l’attraction, une bête complicité ou…autre chose. Mais c’est nouveau pour moi. C’est stupide. On ne se connait pas mais j’ai l’impression qu’on rentre en résonance comme si nous étions…compatibles. En trois jours, tu en sais plus sur moi que ma propre famille…Et ça me fait peur. Parce que ça me rend vulnérable…Et que je ne veux pas avoir à te fuir… »

Il n’avait plus rien à cacher. Le temps du jeu était révolu. Ils avaient renversé l’échiquier et les pièces s’étaient brisé sur le sol. Seuls face à eux-mêmes. C’était sans doute ce qui était arrivé de mieux à Evan dans ses 29 ans d’existence mais cela le terrifiait. Car il était toujours terrifiant de plonger dans l’inconnu. Lui qui adorait relever les défis, qui affectionnait l’aventure plus que tout, se retrouvait, pour la première fois de sa vie, à redouter un changement. Il n’avait pas 36 000 alternatives. Il devait lui faire confiance. Elle en savait désormais suffisamment sur lui pour l’anéantir. Elle pouvait lui faire mal. Très mal.

Toujours cette volonté de se protéger derrière une armure, derrière des masques. Il tournait en rond. Ce n’était plus une option envisageable. Il semblait avoir oublié qu’il avait franchit le point de non retour. Seulement entre marcher au bord du précipice et se jeter dedans la tête la première, il y avait un pas. Et c’était là que ça bloquait. S’ouvrir, se rendre vulnérable à quelqu’un. Aussi bienveillante que soit cette personne à son égard. Mais il ne pouvait pas rester dans cette situation. Il devait prendre son courage à deux mains.

Et c’est ce qu’il fit. Alors qu’Evangelina semblait se mortifier de ce qu’elle avait fait, Evan passa calmement sa main dans la chevelure brune de la jeune femme et posa un baiser tendre et protecteur sur son front pendant de longues secondes, s’enivrant du parfum de ses cheveux. Alors qu’elle semblait se dérober, il s’était penché vers elle de manière à ce que leurs corps se frôlent. Puis se penchant à son oreille, il murmura calmement.

« Je ne sais pas où cela va nous mener…Mais j’aimerais être à tes côtés…Partager avec toi…Apprendre à te connaître en douceur. J’aimerais que tu sois la personne avec laquelle je ne sois pas obligé de tricher, de mentir, de me cacher…Si seulement je pouvais à mon tour lire en toi… »

Cela ressemblait à un aveu de faiblesse. Mais c’était plus fort que cela. Evan comprit. Il posait la première pierre d’une relation de confiance.

Elle s’était blottie contre lui. D’instinct, il passa son bras libre autour de ses épaules. Ils étaient vraiment sur la même longueur d’onde. En réalité, il n’avait pas besoin de lire en elle. Ce qu’elle exprimait était un écho de ses propres paroles. L’attirance entre eux avait finit par les coller l’un à l’autre. C’était comme si la jeune femme était venue se protéger dans les bras de Blake pour fuir la réalité. Et lui-même se perdait dans sa chevelure luxuriante pour oublier la peur et se laisser bercer par ce moment si particulier.

« Tu sais, tout ceci me rappelle une histoire que j’ai lu quand j’étais gamin. Un auteur français, je crois. C’était comment son nom déjà ?...Saint Exupéry, c’est ça. Le livre devait s’appeler le Petit Prince ou une chose dans le genre…Un enfant rencontre un renard et veut en faire son ami…Mais le renard lui dit que pour cela, il doit d’abord l’apprivoiser…Je crois que c’est là que nous en sommes, nous devons apprendre à nous apprivoiser mutuellement. Et laisser le temps faire son œuvre. Si tout ceci n’est qu’un rêve, pourvu qu’il soit bleu… »

Evan n’avait pu s’empêcher de faire un trait d’esprit. Bon ok, la référence à un vieux Disney était assez affligeante mais sur le coup, il n’avait que ça et Eurythmics qui lui étaient passés par la tête. Il espérait juste détendre la situation et pourquoi pas arracher un petit sourire au doux visage affligé de la jeune femme.

Mais surtout, il désirait la garder contre lui. C’était une présence à la fois apaisante, rassurante et étonnement familière. Comme s’il la connaissait depuis des années. Ça le dépassait. Ça défiait toute logique, toute stratégie, tout plan prémédité. Rien n’avait été planifié, mûrit, réfléchit. L’instinct, trop longtemps rabroué et refoulé avait explosé comme un volcan et c’était désormais un véritable feu d’artifice. Saisit par l’émotion, il sentit des larmes couler le long de ses joues. Et pourtant, il n’y avait aucune tristesse en lui. Blake se sentait libéré. Il se sentait humain. Pour la première fois depuis des années. Comme si on lui avait rendu quelque chose qu’il avait perdu en quittant le Massachussetts plus de dix ans auparavant. Une lueur d’espoir. Il prit la main d’Evangelina enlacé dans la sienne et la posa sur son cœur.

« On va apprendre ensemble…A se faire confiance…a se dire toute la vérité…Même si ça nous fait peur…Même si ça va sans doute être difficile…Je veux t’aider à porter tes valises de secrets. C’est toujours moins lourd à deux…On va manger un morceau ?»

La dernière phrase était un peu abrupte mais bienveillante. Evan se sentait devenir fort et protecteur. Elle comptait à ses yeux. Au-delà de ce que la raison ou la logique permettait de saisir. Mais cela n’avait plus aucune espèce d’importance à ses yeux. Ce n’était pas une compétition. Il n’y avait pas de vainqueur et de vaincu. Juste deux êtres humains, fragiles, imparfaits mais libérés du poids des masques qu’ils avaient du porter.

Au moins il avait réussit à la faire rire. C’était toujours ça de prit. Et ce rire était doux aux oreilles d’Evan. C’était suffisamment rare pour être signalé. Mais en fait c’était davantage un fou-rire qu’autre chose. La durée inquiéta soudainement Blake. Etait-elle en train de se foutre de lui ? La fille qu’il tenait dans ses bras se moquait ouvertement de sa réplique. C’était quelque peu…vexant. Mais bon, rien de grave au fond. Il se fendit d’un sourire. Il préférait provoquer ce genre de réaction chez elle plutôt que de la faire pleurer. Elle finit par se calmer. Quand elle le taquina, il lui répondit du tac au tac.

« Le turban est au pressing et le tapis volant est en réparation chez Iago…Désolé ma belle Jasmine mais ce soir, le prince Ali est venu tout nu… »

Ok, la fin de la réplique manquait de finesse. Mais bon, l’idée était là. Elle continuait à suivre le fil qu’il avait tissé. C’était assez agréable. Elle avait de l’esprit et de l’humour. De quoi égayer les longues soirées d’hiver. Elle n’avait semble-t-il pas tricher sur ces points là.

« A toi de voir…Mais à mes yeux, tu as déjà tout d’une princesse : belle, élégante, brillante…Quant à moi, le renard me correspond bien : futé, voleur, coureur de poules… J’adorerais avoir besoin de toi.»

Il y avait quelques pincées de provocation de la part de Blake. Et c’était volontaire. Evan aimait séduire mais jamais il ne s’était attaché à quiconque. S’il devait le faire avec Evangelina, elle devrait accepter qu’il joue de ses charmes pour les affaires. Il voulait tester sa réaction. L’honnêteté était une base qu’ils souhaitaient à priori l’un et l’autre poser dans leur relation. Maintenant les choses devenaient concrètes. Il se rallongea et regarda à nouveau le ciel. Puis il se tourna vers elle la regardant avec un sourire en coin.

« Au fait tu n’as pas répondu à ma question avant de te jeter sur moi comme une amazone pendant la saison des amours…Quelle héroïne te ressemble le plus ? Qui préfères-tu ?»

Elle se serrait contre lui. Pour Evan, il y avait là quelque chose de délicieux. Ce n’était pas la première fois qu’il se trouvait ainsi dans les bras d’une femme. Mais le fait qu’il lui fasse confiance et qu’il ressente quelque chose pour elle était en revanche une nouveauté. Il se sentait libre, en harmonie, en résonance avec elle. Comme s’ils s’étaient trouvés dans une bulle hors du temps et de l’espace, que plus rien n’existait autour d’eux excepté le ciel.

Cependant, sa taquinerie eut un effet inattendu. Evangelina sembla se crisper. Elle avait prit ses mots au pied de la lettre. Il sut que sa crainte était fondée quand il ressentit une drôle de sensation comme celle qu’il avait pu percevoir quelques minutes auparavant. Elle était rentré dans son esprit sans autorisation. Et ça, Blake n’appréciait pas du tout. Elle devait avoir trouvé quelque chose de rassurant car elle se détendit peu à peu. Mais les mots durs qu’elle utilisa firent monter quelque peu Evan en pression. Ne voulant pas s’énerver, ne voulant pas la braquer, il tenta de rester maître de lui-même tout en fixant les règles. Après tout, vu la teneur de son discours, c’était de bonne guerre.


« Je comprends…Excuses-moi pour cette plaisanterie de mauvais goût…Mais j’aimerai également que tu ne pénètres pas mes pensées sans mon accord…On pourrait apparenter ça à un rapport psychique contraint…Et je veux que tous mes rapports avec toi soient consentis… »

Ok, pas très subtile comme réflexion. Mais au moins c’était clair. Il voulait bien lui dire tout ce qu’il ressentait, tout ce qu’il pensait. Mais il ne le ferait pas s’il avait constamment le sentiment d’avoir le pistolet sous la tempe. Le bisou sur la joue finit de clore l’incident et il lui adressa un large sourire avant de faire jouer sa main dans le chevelure brune et parfumée de sa complice.

« Deux femmes audacieuses, terriblement séduisantes et envoûtantes… Si tu les a modélisé, je ne vais pas être au bout de mes surprises…»

Robin des bois…Ainsi c’est ce qui avait créé le déclic…Ils avaient un héros en commun. Evan la regarda et soudain, sans crier gard, posa délicatement ses lèvres sur celles d’Evangelina. Longuement, tendrement, il l’enlaça. Il avait sentit comme un appel. Comme si c’était ce qu’elle attendait de lui. Là encore, le lien se faisait plus fort comme si son corps était attiré par celui de la jeune femme. Il ressentait une envie de la serrer éternellement dans ses bras. S’apprivoiser…Y aller en douceur. Mais son corps semblait protester à cette idée… C’était déroutant de s’attacher aussi vite en se connaissant depuis un temps aussi court. Evan renonça à chercher la raison. Seul lui importait la présence de sa complice. Le reste n’avait pas d’importance. C’est à cette instant qu’il commença à chanter doucement, comme s’il voulait la bercer.

« I follow the Moskowa...Down to Gorki Park...»

Un moment de ceux que l’on ne voudrait jamais voir s’arrêter. C’était ce que ressentait Evan à cet instant précis. La nuit qui les enveloppait, le calme du parc, le scintillement des étoiles…Il se sentait en paix, en harmonie avec elle. C’était quelque chose de délicieux et de déroutant à la fois. Il fallait bien avouer que c’était la première fois qu’il vivait une chose de cette manière.

Evangelina n’était pas la première femme avec laquelle il sortait. Mais jamais aucune d’elles n’avait tenu plus d’une nuit. Il disparaissait le lendemain aussi vite qu’il était venu. Parce qu’il n’avait pas voulu s’attacher. Parce qu’il n’avait rien ressenti, tout simplement. Mais là les choses étaient différentes. Il s’attachait. Il voulait savoir où tout cela allait le mener. Alors, quand elle lui demanda de lui apprendre la chanson, il vit l’occasion d’une nouvelle sortie.

«Pas ce soir, princesse…Mais promis, je te l’apprendrais…Si tu accepte de venir un jeudi soir au Mystery avec moi… »

La mener en terrain connu. Lui faire partager son univers. Blake en mourrait d’envie. Seulement, il fallait y aller progressivement, ne pas forcer les choses, se freiner pour ne pas tout carboniser sur son passage. Et quelque part, cela constituait un défi pour Evan. Lui qui avait prit l’habitude de vivre à 100 à l’heure devait maintenant prendre en compte qu’il n’était plus seul dans l’équation. Il lui faudrait sans doute un peu de temps pour l’intégrer.

Mais pour le moment, il voulait profiter de l’instant présent. Il leva à nouveau les yeux vers le ciel avec ce sentiment unique : celui d’être à sa place dans le monde et d’espérer des jours meilleurs. C’était un don magnifique. Et c’était Evangelina qui le lui avait fait.