Un café entre collègue du crime [pv Evan]

Un café dans la matinée...Un début original pour le business. Ce ne l'était peut-être pas pour la moyenne des entrepreneurs mais pour Evan, cela relevait de l'évènement. Pas qu'il ne soit pas sociable, bien au contraire. Mais seulement dans les arrières boutiques chinoises, dans les clubs de Harlem ou encore à l'arrière d'un restaurant de Little Italy, il était plutôt rare qu'on vous propose un café passé minuit. Et on vous invitait rarement au petit déj. Des fois que la lumière du jour leur aurait brûlé les yeux.

A la rigueur, il n'y avait qu'avec les fédéraux qu'il y avait moyen de se voir en plein jour. Et encore. Le must restait les collectionneurs privés. grands immeubles, superbes appartements de standing avec vue sur Central Park mais là encore, on y était rarement convié au petit matin. A moins d'avoir passé la nuit avec la maitresse de maison. Et il n'était jamais arrivé à Evan de mélanger boulot et plaisir...Enfin si...Mais il fallait vraiment que le jeu en vaille la chandelle.

Cela faisait cinq bonnes minutes qu'il l'avait repérée assise en blanc à la terrasse du café. Comme convenu. Il s'était assis sur un banc de l'autre côté de la rue, feignant de lire le journal. Il évaluait toujours les risques de guet-appends avant une telle rencontre. C'était une question de survie. Elle avait le regard sévère de ces femmes qui cachent leur fragilité sous un masque de froideur. Plutôt mignonne. Et avec un certain goût pour les fringues et la mise en scène. Des qualités que Blake appréciait chez une collaboratrice potentielle. Même s'il n'était pas dupe. Elle non plus sans aucun doute. Ils appartenaient à un milieu où les faux-semblants tiennent lieu de garantie et, comme au poker, aucun voleur ne laisse voir son jeu à l'adversaire.

Comme convenu dans leurs échanges de courrier, il arborait une élégante chemise bleu nuit et des lunettes de soleil. Il se leva calmement quelques minutes à l'avance, utilisant son pouvoir pour traverser la rue et entrer dans le café. Il devait remporter le premier assaut de la joute psychologique qui allait se jouer. Et arriver discrètement dans le dos d'une personne pour une telle occasion se situait précisément dans ce contexte.

A l'heure où l'horloge du café affichait l'heure de la rencontre, il réapparut dans les toilettes désertes de l'établissement et se dirigea d'un pas mesuré vers la table de la jeune femme. Arrivant dans son dos, il se pencha vers elle.


" Votre tunique vous va à ravir mademoiselle Lacroix. Le blanc est généralement associé à la pureté et à l’honnêteté dans la civilisation occidentale. Auriez-vous un message subliminal à me faire passer? "

Puis se plaçant face à elle avec un sourire en coin, il lui fit le baise-main.


"Smith, William Smith. Pour vous servir."

Le serveur arriva. Blake laissa son vis-à-vis commander la première. Question de politesse et de courtoisie. Mais il ne perdit pas pour autant le fil de sa pensée.

"Un vesper frappé avec une olive et un zest de citron vert s'il vous plait. J'ignorais que le blanc portant également cette signification en occident. Je croyais qu'elle ne s'appliquait qu'à la culture orientale. Notre collaboration commence très bien. Je me coucherait plus instruit ce soir."

Evan faisait preuve de retenue, prenant un air amusé par les menaces polies que lui avait adressé la jeune femme. La partie d'échec venait de commencer.

" Je ne crois pas que cela soit un présage de mort. A moins que vous entrepreniez une grande lessive en rentrant. L'hémoglobine part très difficilement sur une telle couleur. De plus je pense qu'il est dans notre intérêt mutuel de mettre nos talents en commun. Vous ne croyez pas?"

Il jeta un regard de bas en haut à la jeune femme partant de ses frêles chevilles pour terminer par fixer la jeune femme dans le blanc des yeux. Elle ne lui faisait pas peur. Bien au contraire. Dans un certain sens, il la trouvait fascinante. Elle n'était pas forcément son style de fille mais il appréciait les personnes ayant de l'esprit et de la répartie. Et il allait lui donner l'occasion d'exprimer tout son potentiel.

"Trêve de politesses. Et si nous en revenions aux affaires voulez-vous? J'ai, comme qui dirait, un dilemme. J'ai été mandaté par un homme extrêmement riche et influent pour "récupérer" une œuvre d'art chez l'un de ses "ennemis héréditaires" selon ses propres termes. Cependant, la cible ne doit pas se rendre compte que le tableau a disparu. Certains de nos connaissances communes m'ont parlé de vos talents. Aussi aurais-je besoin de vos services pour établir deux copies de l'original dont voici la reproduction photographiée. L'un de ces tableaux irait prendre place dans la collection de la cible. Quant à l'autre...Disons qu'il serait dommage qu'un tel chef d’œuvre passe inaperçu du grand public."

Même s'il ne l'avait pas formulé ouvertement, Evan avait déjà calé les choses au millimètre. Le type qui l'employait était un salopard. Et il comptait bien le duper et récupérer l'argent. L'original irait en donation à un musée. Quant à l'argent, comme à son habitude, une partie irait servir ceux avec qui la vie n'avait pas été tendre.

"Bien sûr, une partie de la somme vous reviendrait. Disons que nous partagerions la moitié des bénéfice à part égale. Qu'en pensez-vous? Si mes calculs sont exacts, nous empocherions chacun 50 000 dollars. C'est une somme non négligeable."

Les verres arrivèrent sur la table. Evan continua à fixer la jeune femme, cherchant la moindre réaction sur son visage.

Evan eut un sourire en coin. La demoiselle était futée. Brillante même. Et le fait de se montrer un tantinet plus directif l’avait fait réagir au quart de tour…Tout en retenue. C’était prévisible. Néanmoins, Blake n’avait avancé qu’un seul pion dans cette partie d’échec. Et la dame commençait déjà à poser des conditions…Intéressant. La partie risquait d’être plus corsée qu’il ne l’avait imaginé. Mais cette jeune femme représentait un défi intéressant. S’ils devaient s’associer, Evan préférait largement avoir une partenaire dotée d’une tête bien faite et d’un caractère bien trempé, plutôt que de se trimbaler la première greluche venue. Il fallait donner l’impression de lâcher du leste en gardant la main. Tout un art auquel de nombreuses heures à faire des ronds de jambes aux filles des associés de son père l’avait habitué dans son adolescence.

« En effet, une œuvre magnifique et moins controversée que sa représentation en Danaé…Girodet était l’élève de David, si mes souvenirs sont exacts. On ressens d’ailleurs ce même dynamisme, cette même élévation…Comme si l’illusion animait le tableau, cherchant à transcender le réel…Un peu comme vous…Vous feriez certainement un superbe sujet, mademoiselle Lacroix. Il me plairait de voir vos talents mis à nue…»

Et une phrase sulfureuse ! Une ! Evan avait un certain sens de l’esthétisme et de l’harmonie. Et la jeune femme, derrière son masque neutre et professionnel cachait certainement sa part de mystères. On n’usurpait pas une réputation telle que la sienne. Cependant quelque chose sonnait faux. Evan sentait bien qu’il n’était pas le seul à bluffer.

« Vous êtes dure en affaire mademoiselle Lacroix. Je respecte ça. C’est très américain comme attitude. Je pensais les français plus enjôleurs et portés sur la volonté de convaincre leur vis-à-vis. D’ailleurs vous parlez notre langue sans le moindre petit accent…Cela doit faire un moment que vous êtes aux USA…Comme quoi, les clichés ont la vie dure… »

Une petite phrase anodine. Juste de quoi la faire douter, voir si elle se trahit. Garder la main sur l’échange. Il avait croisé certaines sources. Elle était un peu comme lui. Un fantôme. Une ombre dans New-York. On connaissait son nom mais pas son visage. Les gens ne savaient pas ce qu’ils perdaient.

«Votre raisonnement est partiellement exact. Je trouve qu’une telle œuvre a davantage sa place dans un musée que dans une collection privée. Elle ne manquera pas à cet homme qui s’y connait aussi bien en peinture qu’un aristocrate en élevage de cochons. Je suis prêt à négocier sur l’argent. En revanche, notre marge de manœuvre en temps est limitée. Nous avons deux semaines…trois, tout au plus. Ce que vous y gagnerez ? De l’argent dans un premier temps sur le contrat. Ensuite, tout dépend du prix qu’un musée sera prêt à payer pour l’acquérir. De plus j’aurais une dette envers vous. Je vous ouvre mon carnet d’adresse et plus si affinité. Je pourrais devenir votre meilleur allié dans cette ville…Nous savons l’un et l’autre qu’il vaut mieux laisser les autorités en dehors de nos affaires…Je supporte assez mal l’idée de partager un neuf mètres carré avec deux tatoués en manque. Et vous ? »

Il agrémenta sa répartie d’un dernier sourire, sirotant négligemment son verre. Il avait été plutôt direct dans ses propos. Quoi que toujours distingué, elle devait comprendre qu’il n’était le genre d’homme à se faire mener par le bout du nez par la première jolie fille un tantinet douée de ses mains et de sa tête qu’il croisait.
La balle était dans son camp.

La partie commençait à devenir intéressante. La jeune femme rendait coup pour coup et Evan s’en amusait particulièrement. Il n’y avait rien de plus ennuyeux que de conclure un deal facile, sans négociation, sans jeu du chat et de la souris. Et là, il devait bien avouer qu’il avait trouvé une partenaire à sa hauteur. Cette pensée provoqua chez lui une petite montée d’adrénaline. Finalement, les choses s’annonçaient bien.

«J’aimerais avoir la chance de le constater par moi-même… »

Le mot langue avait fait bing dans l’esprit d’Evan. Un instant, il eut une vision beaucoup plus volupteuse de son interloctrice. Mais ce mirage s’estompa aussi vite qu’il était venu. Ce qui n’empêcha pas Blake de lever un sourcil d’un air malicieux. Ses paroles reprirent cependant rapidement le sérieux avec lequel il traitait ses affaires. Il se calquait ainsi en tout point sur le rythme de son vis-à-vis.

«Bien. Il semble que j’ai suffisamment évoqué mes objectifs. Je n’ai pas d'expertise dans votre domaine. Sinon, je m’adresserait pas à vous. Je dois pouvoir m’arranger au niveau du temps. Mon commanditaire a une dette envers moi que je peux faire jouer. Si j’avais voulu la première croûte venue, faite à la va-vite, je ne me serais pas tourné vers vous. J’aime travailler avec les meilleurs. Et vous êtes la meilleure. Mais si vous êtes venue à ce rendez-vous, c’est que vous aussi vous en attendez quelque chose. La question est de savoir quoi. Quel but poursuivez-vous mademoiselle Lacroix ? Que puis-je bien vous offrir que vous désiriez ? »

Il avait posé la question sobrement et avec calme. Comme s’il ouvrait quelque peu sa garde dans ce duel à deux bretteurs. Il avait cédé sur le temps. Mais ne cherchait-il pas à obtenir en réalité autre chose de la jeune femme ? De la confiance peut-être ? Lui qui avait apprit à quel point il s’agissait souvent d’une faiblesse qui pouvait se retourner contre vous ? Non. Evan ne pouvait se résoudre à ça. C’était la curiosité qui l’animait. Elle l’intriguait, il fallait bien l’admettre. Il percevait mieux les potentialités dans cet entretien.

«Vous aurez tout le café dont vous avez besoin…Laissez-moi deviner…Un expresso italien avec du caractère…Je me trompe ? Quant à mes mains, si telle est votre proposition, je serais le dernier des goujats si je refusais…»

Il appuya ses dernières paroles en faisant lentement rouler son pouce dans la paume de ses mains tout en maintenant son regard dans les yeux de son interlocutrice.

La conversation prenait une tournure plus intime. Ainsi, il avait le droit de l’appeler par son prénom et elle-même se l’était permis. Il faut dire qu’aux vues des sous-entendus échangés de part et d’autre, elle avait raison. Ils avaient effectivement dépassé ce stade. Ainsi c’était la curiosité qui l’avait menée jusqu’à lui. Mais elle ne jouait pas tout à fait le jeu. Elle masquait une partie de ses réponses. Aussi, Evan entreprit-il de continuer à creuser un peu.

« Quel dommage…Je suis certain de pouvoir vous surprendre. Plus que vous ne l’imaginez. J’ai moi-même quelques talents dont je pourrais vous faire démonstration…mais pas en publique. J’aimerais éviter de provoquer une émeute. Certaines choses doivent rester entre initiés. Nous sommes des gens d’exception. »

Evan continuait à placer ses pièces. Il avait envie de la revoir. Un lien quasi magnétique semblait s’être développé entre eux. Comme deux aimants qui s’attirent et se repoussent à la fois. Il avait une sorte d’électricité dans l’air, chargé de joutes verbales, d’intelligence et de séduction.

Quand elle l’invita à passer, il ne put dissimuler une certaine surprise. C’était extrêmement osé de sa part. Mais une de ses phrases attira encore plus son attention. Qu’entendait-elle par « ainsi masquée » ? Il fallait tirer cela au clair. Et la meilleur méthode constituait à saisir la balle au bond.

« Nous sommes d’accord sur les termes du contrat. Je serais ravi de venir voir votre atelier. C’est surprenant…C’est bien la première fois qu’une femme m’invite…J’apporterais donc le café…J’espère que vous avez une machine digne de ce nom. Je peux toujours amener la mienne mais je ne voudrais pas envahir votre espace… »

Maintenant, il fallait voir sa réaction. Sur ce coup là, il s’était montré particulièrement audacieux. Elle pouvait très bien tout refuser en bloc et alors ruiner les espoirs que cette conversation autour d’un verre avait fait naître chez Blake et qu’il gardait bien enfoui en lui. Il fallait lui laisser une porte de sortie.

« Bien évidemment, il ne saurait être question pour moi de compromettre votre sécurité ou votre sphère privée…Ce sont les règles de notre profession, n’est-ce pas ? C’est vous qui déciderez où et quand…Voici ma carte…Mais effectivement, sans me vanter, je fais un excellent capuccino…Et qui plus est, je suis assez matinal…»

A nouveau, il avait placé la balle dans son camp, attendant de voir ce qu’elle en ferait. Il finit son verre, jouant négligemment avec sa chevalière en or blanc ornée d'un phénix sans quitter la jeune femme des yeux.

Elle ne le croyait pas. Et pourtant…Cela ne lui était jamais arrivé d’être invité. Il invitait des femmes à boire un verre, à sortir. Mais, aussi loin qu’il se souvienne, jamais lui, Evan Blake n’avait été rencardé par une représentante de la gente féminine. Et surtout pas à domicile. Comme quoi, il ne fallait jurer de rien dans ce bas monde.

«Je plaisantais pour la machine. Je serais bien habile de l’emmener à moto vu son gabarit. Je me fais donc fort de faire honneur à votre moulin à café. Une expérience unique, j’imagine. J’aime les pièces authentiques, les antiquités. D’un autre côté, le contraire serait surprenant quand on évolue dans notre milieu et à notre niveau… »

Pour Evan, il s’agissait d’une évidence. Aucun voleur ou faussaire de haut vol ne pouvait se désintéresser de l’art. Même s’il n’avait pas les moyens de se payer de grandes œuvres, il collectionnait humblement d’authentiques rapières et épées de la renaissance. Pour le moment, sa collection se limitait à une lame de Tolède du XVIème siècle. Mais c’était toujours un début.

Le deal était conclu. Mais, bizarrement, ni l’un ni l’autre ne semblaient pressés de retourner vaquer à leurs occupations respectives. Blake appréciait la curiosité de la jeune femme à son égard. Et lui-même souhaitait en savoir plus à son sujet. Mais à tout seigneur, tout honneur. Il entreprit de répondre à sa question.

« L’histoire de cette chevalière est liée à l’un de mes premiers contrats. Pour un joaillier de la côte Ouest. Il me l’a offert en remerciement pour l’avoir aidé à récupéré des diamants volés par une triade de San Francisco. C’est un Phoenix. Un symbole très fort qui me symbolise assez bien. J’ai une fâcheuse tendance à toujours renaître de mes cendres… »

Son regard se perdit dans le vague. Il repensait à Sarah…Un court instant, il laissa glisser le masque et une forme de mélancolie pensive envahit son visage. Mais il se reprit immédiatement. Ce n’était pas le moment de jouer le sentimental. Il trouva rapidement une porte de sortie. Jouant avec la carte qu’il avait tendu à sa désormais collaboratrice, il lui montra la croix ailée qui y figurait au versait. Comme un clin d’œil du destin.

« Lacroix c’est un joli nom de famille…Peu commun qui plus est…Un lien avec le couturier ? »

Elle avait une grande culture, c’était toujours appréciable pour passer le temps et faire la conversation. Une jeune femme à la tête et au corps bien fait, qui plus est, dotée d’un caractère bien trempé et d’un certain sens de la répartie. La collaboratrice parfaite pour Evan. Au moins était-il sûre de ne pas s’ennuyer. Cependant, ses mots laissent transpirer certaines idées, un carte de monde particulière qui, sans déranger le moins du monde Blake, l’intriguait. Décidemment, c’était une constante avec cette jeune femme. Le mystère. Il eut un bref instant le sentiment de se voir au féminin dans un miroir. En un peu moins sexy mais bon…

« Je suis surtout un homme qui sait ce qu’il veut. Je ne me laisse jamais abattre par un échec. Et je me bats pour défendre ce qui me tient à cœur et ceux qui me sont chers, voilà tout. Et vous Aimée ? En quoi croyez-vous ? Pour quoi vous battez-vous ? Seriez-vous une de ces idéalistes qui rêve d’un monde sans pouvoir, sans classe dominante ? Rêvez-vous d’une conspiration des poudres visant à renverser l’ordre établit ? Seriez-vous une anarchiste ? Une mutante ? »

La dernière phrase lui avait échappé. Il prenait de gros risques. Celui notamment de voir son interlocutrice si charmante au demeurant se braquer brusquement. Mais c’était trop tard pour revenir en arrière. Tant pis, ça passait ou ça cassait. Il fallait tenter sa chance tout en visualisant une branche à laquelle se rattraper en cas de besoin. Evan était coutumier de ce genre de numéro d’équilibriste. Seulement, il avait rarement eu l’occasion de le tester sur une personne possédant un esprit aussi brillant que le sien. Il n’avait pas le droit à l’erreur.

« Je ne suis pas certain que Victor Hugo aurait écrit ces vers lui qui admirait tant Napoléon tout en crachant sur son neveu…Cependant, il y a du vrai dans cette phrase. Oublier, c’est rendre un acte vain et inutile…Et souvent, il y a des choses qu’on préférerait laisser derrière soi mais c’est tout bonnement impossible…C’est le lot de la condition humaine…Pour en revenir à la conspiration des poudres, croyez-vous que le recours à la lutte armée soit la bonne solution ? Prenez par exemple la question des mutants ? Ce groupe, que l’on nomme la Confrérie, et que les autorités nous désignent comme des terroristes ne sont ils pas en réalité une forme de violence générée par la façon dont le gouvernement à tenter, de manière insuffisante, de proposer des solutions ? Et que penser de Charles Xavier ? Croyez-vous que nous soyons à l’aube d’un bouleversement majeur dans l’histoire de nos civilisations ? »

Il avait exprimé le fond de sa pensée tout en cherchant à la pousser dans certains retranchements. Elle devait prendre position. Il ne se satisferait pas d’une pirouette ou d’une réponse évasive. Elle allait devoir se mouiller.

Elle s’était crispée. Un court instant. De manière presque imperceptible. Mais cela n’avait pas échappé à Evan. Il avait l’habitude de calibrer les gens. De jouer les mentalistes. Mais il ne voulait pas la blesser. Quelque part, ce qu’elle disait résonnait en lui. Blake croyait à une forme de destin. Quelle place cette jeune femme allait-elle prendre dans sa légende personnelle. Il sentait au fond de lui qu’ils étaient passé au-delà du cadre simplement professionnel ou du jeu de confrontation. L’un et l’autre avaient entrouvert l’armure. Il fallait désormais voir ce qu’ils allaient en faire. C’était la première fois depuis bien longtemps qu’il sentait véritablement que le courant passait avec une représentante du sexe féminin.

« Je pense que ce cher Winston avait raison. En tout cas pour cette phrase et pour son goût prononcé pour le pur malt écossais. Cependant, les hommes ont une fâcheuse tendance à répéter les erreurs du passé même quand ils ont apprit leur leçon. J’aspire à la même chose que vous : la paix, la sérénité. Cependant, il faut être pragmatique. Chacun a un choix à faire en son âme et conscience. Pour ma part, je ne cherche pas l’affrontement mais je n’accepterai pas qu’on me prive de ma liberté parce que je suis ce que je suis. S’il faut prendre les armes pour protéger ce droit, je n’hésiterais pas une seule seconde. »

Il s’avança vers elle comme pour intensifier le courant qui semblait circuler entre eux. Il la regarda dans le blanc des yeux avec un sourire en coin. Elle avait réagit à l’évocation de la condition mutante. C’était intéressant. Il n’y avait que deux possibilités : soit elle était elle-même dotée du génome X, soit elle était chargée de les détecter et de les surveiller. Quoi qu’il en soit, la question ne la laissait pas indifférente. Et c’était donc par une interrogation qu’il convenait de répondre

« Cela changerait-il quelque chose pour vous si j’en étais un? Serais-je un collaborateur moins fiable ? Et si je vous dit que j’appartiens effectivement à cette communauté, avez-vous un moyen de vérifier que je ne vous ment pas ? Est-ce un test de confiance que vous me demandez ? »

Ce genre d’information ne se livrait pas comme ça. Et elle devait le savoir pertinemment. Et si elle lui posait la question, c’était qu’ils étaient clairement au-delà de tout ce qu’il avait prévu quand il avait préparé ce rendez-vous. Elle semblait vouloir insérer la dimension de confiance dans leur entretien. Peut-être était-ce une façon de continuer le jeu de stratégie à un autre niveau ? Evan ne pouvait pas se livrer aussi facilement.

« En sommes-nous là, au bout d’un verre pour pouvoir se dire qui nous sommes derrière nos masques ? »

Sébastien Lacroix aurait-il aimé Evan Blake ? Peut-être…Evan Blake aurait-il apprécié Sébastien Lacroix ? Sans doute pas…Mais qui sait. Lui-même n’avait pas la réponse à cette question. Mais à travers cette phrase, n’était-ce pas sa descendante qui exprimait son ressenti plutôt que celui de son illustre aïeul ? Evan secoua la tête lentement en souriant. Cette interprétation de la remarque de la jeune femme l’avait troublé. Il devait bien l’admettre.

C’est à ce moment là qu’il entendit sa voix. Elle résonnait dans son esprit comme s’il s’agissait de son dialogue intérieur. C’était une sensation étrange qui ne manquait pas d’une certaine sensualité. Ainsi, elle était une mutante. Ca le rassurait presque. Il n’aurait peut-être pas besoin de se cacher. Il frissonna, percevant un court instant toutes les potentialités et la puissance qu’il supposait être celle de la jeune femme. Cela la rendait quelque part encore plus mystérieuse donc aux yeux de Blake, encore plus désirable.

Maintenant, c’était à lui de savoir ce qu’il voulait. Mais il n’hésita pas longtemps. Elle lui avait donné un gage de confiance, s’était quelque peu mise à nue. Il fit de même. Posant son index et son majeur sur sa tempe, il dénoua le lacet de la tunique qui surplombait la poitrine de mademoiselle Lacroix. La télékinésie était un pouvoir plus discret mais tout aussi efficace que l’imperceptibilité. Il lui adressa un sourire malicieux.

« Nous partageons désormais chacun un secret de l’autre. Nous ne pouvons plus revenir en arrière. Il y aurait-il d’autres mystères vous concernant que vous aimeriez partager avec moi ? »

Il réfléchit après coup. Il avait prit un sacré risque. Le fait qu’elle soit mutante n’indiquait pas forcément qu’elle soit bienveillante. Mais Evan se martelait qu’avec un tel pouvoir, si elle avait voulu lui nuire, il y aurait sans doute un certain temps qu’il serait hors service.

Le lien se faisait plus présent désormais. Comme des vocalisent à l’unisson. Comme lorsque deux bretteurs au sommet de leur art, poussés par l’épuisement, n’écoutant plus que leur instinct, dansent un tango de lames qui semble suspendre la course du temps pour l’éternité.

« Puisque nous avons franchit un point de non-retour, autant tomber le masque…William Smith n’est pas mon vrai nom. Comme je suppose qu’Aimée Lacroix n’est pas le vôtre…Je me prénomme Evan… »

Il ouvrit sa paume sur la table en signe de confiance. Saisirait-elle sa main ?

Il l’avait déstabilisé. Au moins un petit peu. Tout du moins c’était la manière dont il avait interprété son sourire gêné et la petite phrase quelque peu ambiguë qu’elle avait prononcé.

Elle ne voulait rien presser. Tant mieux, lui non plus. Juste le stricte nécessaire pour avoir l’occasion de la revoir autrement que pour les affaires. Voilà ce qui avait mobilisé la réaction d’Evan. Peut-être avait-il enfin trouvé une personne à qui faire réellement confiance ? C’était sans doute encore prématuré pour tirer de telles conclusions.

Mais le lien était bien réel. Son reflet miroir…Un terme intéressant pour les désigner. Un peu comme le ying et le yang. Mais chacun possédait-il une part de l’autre ? Beaucoup de questions commençaient à s’accumuler dans la tête de Blake. Des questions auxquelles seul le temps pourrait répondre.

Il fallait prendre congé. Maintenant. Pour laisser les choses se décanter. Pour ne pas réagir sur un coup de tête. Il souleva délicatement cette main fine et gracile et y posa un baiser.

« Evangelina…Un joli prénom pour une femme charmante. Je ne savait pas que les anges pouvaient encore s’incarner de nos jours…Quoi qu’il en soit, je dois vous quitter…à regrets. N’oubliez pas ma carte…Vous déciderez le lieu et l’heure…Mais j’espère de tout cœur vous revoir…Et peut-être pour autre chose que le travail? A bientôt... »

Il se leva, maintenant encore quelques instants la main de la jeune femme dans la sienne comme pour mieux s’imprégner de son énergie. Puis, dans un dernier sourire énigmatique, il régla la note avant de s’éloigner sans se retourner.