Isaïe, 27:1

J’entrouvre la bouche en une inspiration alors que mon dos choit contre mon dossier, l’heurtant comme on s’abandonne. Cette nuance est infime, imperceptible, au point qu’elle se trahisse plus dans mon regard que dans mon geste. Ses paroles continuent et s’il ne m’a pas fallut une seconde pour comprendre l’importance de ce qu’elles impliquaient il m’en faut plusieurs pour en appréhender l’ampleur. Une ampleur apte à me faire déglutir.

Ma respiration est calme mais elle me parait si forte, comme s’il n’y avait plus que son bruit dans cette pièce qui est mienne, qui est mienne depuis mon premier jour ici. Je suis le Léviathan, antique monstre associé à la fin des temps et à l’état, dont Job a dit de lui « il n’a pas son égal sur la terre, il a été créé pour ne rien craindre » (Livre de Job, 41:25), mais il est probable qu’Isaïe ait eue raison.

Lentement, je déporte mon visage vers la droite alors que je soulève ma main depuis l’accoudoir de mon fauteuil, portant mes doigts à mes lèvres en un pincement qu’il ne m’est encore jamais arrivé d’avoir. Mais il ne m’est jamais arrivé de devoir faire face à cela non plus. J’ai confronté Sinistre par deux fois et nous avons terminé sur une égalité, je devais gagner la troisième manche avec l’aide de ses ennemis devenus mes alliés mais là où eux n’ont été plus que mots et promesses lui a continué d’agir, je comprends enfin en quoi. Oh Kyle, si tu savais à quoi nous nous sommes attaqués, tu en tremblerais jusqu’à plus profond de ta retraite en Arizona. C’est lui, ça a toujours été lui.

Je rabaisse ma main pour prendre appui et me lever, faisant face à cet agent qui fait parti de ma famille, par alliance. Plus petit que moi, plus ancien aussi, et surtout tout aussi protecteur. Sinistre lui avait faite une promesse, Sinistre l’a trahi, nous nous sommes trouvés et avons agit en bonne intelligence. Cela porte ses fruits aujourd’hui. Cela nous condamne tous les deux. J’ai encore besoin de lui ainsi serais-je le seul sacrifié.

Je me suis toujours battu seul, fils unique d’une lignée au sang bleu entaché de celui d’un océan de rouge qui l’a assombri au point de l’en faire devenir noir. Même lorsque je suis accompagné, je n’en suis pas moins seul, seul avec moi-même, seul avec le Léviathan. Secondaire dans tout ce que j’ai put entreprendre, jusqu’à ma quête de vie, jusqu’à ma famille, jusqu’à cette puissance que je n’ai pas employée ici-même puisqu’essayant de la mettre à la portée de ceux qui en avaient usage mais visiblement qui n’en avaient pas plus l’envie que mes prédécesseurs. Ils ne veulent pas changer le monde, ils rêvent à le changer en attendant que d’autres le fasse pour eux ; j’ai été victime de ce que j’ai condamné et cherché à purger.

Mon sourire en coin méprisant n’est pas un signe de confiance en soit, même s’il sera interprété comme tel. Non, il est bien envers moi ce mépris, car je me rends enfin compte que j’ai été victime de l’espoir, de la croyance en d’autres, moi ; c’est d’un risible… Je pense une main sur l’épaule de mon oncle par alliance, je lui parle et lui explique ce qu’il va advenir. Je lui dis où nous en sommes et ce que nous devrons faire, je lui confie ce que j’ai de plus précieux et qui me haïra pour l’avoir abandonné ; mais qui a abandonné qui, au final ?

Je ferais le nécessaire, j’ai toujours fait le nécessaire. Aujourd’hui ce nécessaire risque de tout me coûter. Il aurait pu en être autrement, si d’autres choix avaient été faits, si des gens avaient été de paroles et d’honneurs, mais je ne m’illusionnerai plus sur cela. Je contemple à nouveau le monde avec lucidité, sans doute celle qui précède la disparition d’un être. Haïssez-moi, haïssez-moi autant que vous le pourrez, ça a été le premier plan et la fin est souvent similaire au début. Haïssez-moi autant que vous avez réussi à me faire vous aimer, détournez-vous de ma mémoire autant que vous m’avez connu, cela mettra fin à la mascarade.

J’ai à faire, avant de disparaitre, j’ai à faire pour que mon héritage ne se perdre, pour que malgré mon départ ce pourquoi j’agissais continue de se constituer. Un successeur ? Oui. Mais un successeur qui soit apte à les protéger, vous à qui je pense, de ce que je contrôlais. Sans doute ne le méritez-vous pas plus que nous ne nous méritions mais n’est-ce pas cela l’affection, agir en dépit du bon sens et de nos défauts réciproques lorsque cela l’implique ?

J’avais espérer unir le monde par la guerre, j’avais espéré apporter l’avenir mais je me rends compte aujourd’hui qu’il n’y a pas d’avenir. Le bonheur se construit dans le présent et au jour-le-jour afin d’en avoir au maximum profité lorsqu’il se perd, un peu comme la vie en définitive. Demain importe moins qu’aujourd’hui et hier est bon à jeter ; j’appartiens à hier, il est temps de m’en aller avec lui. Je ne rédigerai pas de lettre, non, pas plus que je ne ferais d’adieu ou ne justifierai mon départ. Je n’aurais jamais été là, une image du passé qui sera oubliée car c’est ainsi que cela se passe, loin des yeux loin du cœur.

C’est pourtant avec le second lourd que je prends cette décision et c’est pour ce qui s’y trouve que je mènerai cette bataille, que j’ai toujours voulue mener cette bataille. Oui, il y avait un plan, il y avait un dessein, il y avait un objectif : placer le HellFire Club à portée des autres clans pour qu’ils puissent y faire valoir leur droit et leurs idées. Oui, cela ne pouvait se faire que contre un ennemi commun parce qu’il n’est que face à l’adversité que les humains, mutants ou non, sont capables de s’unir ; Bleecker Street l’a encore prouvé. Mais plus que cela, ça aurait contribué à vous protéger, ma famille, vous protéger du HellFire Club, vous protéger du monde par l’influence que l’on y aurait exercé. Vous protéger de ces difficultés dans lesquelles vous vous débattez vainement, entretenant ce cycle qui finira par vous détruire à force que vous attendiez simplement à le subir. Peut-être est-ce là la morale de ce siècle, les choses doivent venir d’elles-mêmes même si l’on a l’occasion de les accomplir. Il y aura sans doute toujours des gens pour essayer de le faire par eux-mêmes et j’en suis, c’est là mon ultime vérité tant par son importance que parce que bientôt je ne serais plus en mesure d’en dire, probablement. J’avais promis d’être toujours là, ce me semble. Nous serons donc à égalité.

Peut-être reviendrai-je, je ne sous-estime pas les capacités d’adaptation de ma Tutélaire. Aucun des agents de Sinistre, quelque soit son affiliation, ne peut se dresser face à moi, seul Nathaniel Essex y parviendra. Mais Nathaniel Essex me vaincra surement, si confrontation il y a. Il m’a privé de mes pouvoirs une fois, il pourra le refaire et sans le Léviathan je ne suis qu’humain. Je suis humain, après tout ce que j’ai fait, après tout ce que je suis devenu. Voici qui me fait sourire : c’est la votre plus grande victoire, et ce que me fera disparaitre. J’ai des regrets, pour l’avenir, et de la rancune, envers tous ceux qui n’ont tenue parole même s’il n’en ait qu’une maigre partie, la plus précieuse, qui soit amenée à en souffrir. Néanmoins je comprends ; je comprends pourquoi comme je comprends qu’il faut continuer sa route. Je comprends où je suis, à présent.

Les lumières à l’horizon étaient plus clairs hier, les ombres flottent au-dessus des cicatrices qui commencent à disparaitre, nous avons dit que c’était pour toujours mais c’est parti au loin. Je me tiens à la fin de la dernière mascarade.

Ending pour SVO