Désherbage nocturne [T]

[Sujet remis à jour en décembre]

Je sais ce qu’on va me dire : Pourquoi ? Mais pourquoi faut-il donc que tu t’attires Encore des ennuis ? (ajoutez autant d’exclamatives que vous le souhaitez, faites vous plaisir, c’est gratuit). Je m’ennuie à moitié et j’ai de vieilles affaires à régler. Depuis mon retour aux Etats-Unis, je n’ai qu’une idée essentielle en tête, retrouver Vanozza. Et ce n’est pas évident. Presque trois ans qu’elle a disparu. Les traces sont brouillées, ils sont suffisamment organisés pour se prévenir des indiscrétions d’un fouineur. Y’a rien à hacker, j’ai déjà essayé. C’est le néant total. Il y a deux mois, je pensais les filer, et ils m’ont glissé des mains. Dire que je prenais les siciliens pour de gros baltringues… Enfin, le réseau est plus étendu que ça. Puis, comme on finit par le dire dans ces milieux, l’absence de nouvelles a souvent un lien très prononcé avec la mort. J’y crois de moins en moins. Je devrais renoncer avant de tomber dans un traquenard réellement ingérable mais j’ai beaucoup de mal avec le concept même du renoncement. Ça te fait pas une bonne réputation ce genre de truc. Je veux qu’ils sachent que, quoiqu’il arrive, je serai là, toujours prêt à perturber leurs petits trafics à défaut de démanteler un groupe de criminels à moi tout seul. En un sens, ça me plait, c’est assez excitant comme projet. Je peux m’autoriser des escapades musclées qui ne sont d’aucune conséquence pour la confrérie en toute liberté. Qui pourrait réellement me reprocher de me défouler sur des mafieux ? Je pourrai presque me faire une tenue de justicier. Après tout, je ne serais pas le seul à endosser un costume par pur esprit de vengeance et besoin profond de violence, n’est-ce pas ?

Ce soir, je ne ferai pas le coup du siècle. Je pistais depuis une bonne heure deux chefs de gang relativement déchirés qui se situaient presque en bout de chaîne, dans le genre gros fournisseurs de drogues pour vendeurs de rue. Apparemment, l’un d’eux donnait aussi dans le marché du sexe. Bref, rien de bien admirable ou prestigieux, même pas sûr que leur mort attirerait l’attention du réseau. C’est ce que j’avais pensé au début. Puis l’un d’eux avant prononcé un nom, celui d’une personne importante, son oncle apparemment. Dans ses égarements alcooliques, il se désolait d’être aussi négligé parce que, mince, il méritait mieux que ça. Il avait ce profil type de l’héritier raté mis à l’épreuve pour une durée indéterminée et généralement assez longue. Je suis donc resté un peu dans l’ombre, je pensais qu’il allait livrer quelques informations intéressantes mais non, il est resté bloqué dans sa petite crise d’orgueil avant d’embrayer vers un sujet qui avait l’air d’être le grand traditionnel des fins de soirées éméchées : les putes. Pour ce que j’arrivais à saisir parfois, ça donnait : Magda est une bête au pieu, Svetlana fait des pipes à tomber, Yasmina a des seins de rêves depuis qu’on les lui a refait… Tout à fait passionnant. Si je change de bord un jour, j’essayerai de m’en souvenir, ça serait tellement bête de se faire tromper sur la marchandise et se ramasser une asthmatique à jambe de bois ! Bon ok… Ma plaisanterie est de mauvais goût.

Et c’est d’un pas tranquille qu’ils filaient droit sur Central Park pour se mêler à la faune nocturne qui n’avait franchement rien à voir avec les joggers et mamies frisées à caniches de la journée. Non, à cette heure, ça parlait affaires entre camés. Ils savaient comment entrer sans se faire attraper par des gardiens, et avaient quelques endroits privilégiés dans des coins qui se transformaient vite en zones de non droit. Pendant que les flics patrouillaient en voiture, ils étaient pas mal tranquilles. Et moi, je continuais à me faufiler derrière eux en prenant toutes les précautions pour ne pas me faire remarquer. J’avais leur ébriété de mon côté et il aurait fallu qu’ils aient l’idée de surveiller les toits. Dans le parc, c’est devenu plus simple. Le noir m’absorbait et l’activation de ma vision nocturne m’aida à mes suivre sans le moindre souci jusqu’à ce qu’un truc attire leur attention. Le truc, ce n’était heureusement pas moi (quoiqu’il fallait bien que je leur tombe dessus un jour) mais une fille complètement random qui passait par là. Avec une attitude de victime aussi désignée, forcément qu’ils s’approchèrent d’elle en la sifflant, avant d’en venir aux blagues de mauvais goût qui n’annonçaient rien de bon pour la suite de sa nuit, du style : « Deux grands méchants loups pour le prix d’un, ça va être ta fête ! ». Heu… sérieusement les mecs ? Vous avez sérieusement dit ça ? Je ne vais plus les taper pour leur bassesse ou leur appartenance à un groupe contre lequel je suis en guerre tout seul mais pour absence d’humour aggravée ! Même si j’avais bien envie d’observer leur manège une fois qu’ils auraient trouvé leurs véritables rencarts du parc, je n’avais pas trop le choix, je ne pouvais pas laisser la fille toute seule. Du coup, je me suis jeté à l’eau, j’ai voulu les interpeler tout en m’approchant à grand pas mais ça a juste donné un « Eh ! ». Je vous jure, j’avais une super réplique sur le bout de la langue mais un autre type me l’a complètement coupé. Bon… Tout compte fait… Ce n’était peut-être pas exactement une personne en détresse, et ne n'étais peut être pas forcément le seul à filer ces glandus. Je me retrouve bêtement à découvert face à... un mec ailé... Oh my... Ce serait pas un de la bande des x-men en plus ?

Pour la discrétion et le règlement de comptes confidentiel, c’est raté. Le mutant qui vient de voler dans les plumes des deux lascars, c’est Angel, un x-men repérable entre tous avec ses ailes d’ange et ses cheveux blonds de surfeur. Là, c’est clair que les types sont mal barrés. Ils vont se faire maraver sévère, ça n’arrange pas forcément mes affaires. Qu’est-ce que ce mutant fichait ici ? Etait-il comme moi sur la piste d’un réseau de trafiquants ? Ce n’était pas impossible. Dans le fond, il est certainement préférable qu’une nana stupide l’ait forcé à sortir de sa cachette avant qui je ne passe à l’action. Avec les fans de Charles Xavier, on ne sait jamais très bien à quoi s’attendre. S’ils te voient en train de dérouiller du malfrat, ils sont capables de venir prendre leur défense parce que « ce n’est pas bien, tu pourrais les tuer ». Bon, par contre, ils ont le droit de vie ou de mort sur ceux qu’ils pourchassent, mais c’est leur devoir de justicier. Enfin, je n’ai pas très envie d’être fiché par l’institut comme possesseur du gène x potentiellement dangereux. Je sais qu’ils n’aiment les mercenaires qu’à condition qu’ils bossent vaguement pour eux dans les missions où il faut se salir un peu trop les mains pour leur charte pacifique. Mis à couvert, sans possibilité d’agir, j’attends donc que les choses se fassent sans moi. Le spectacle offert par le mutant ailé est assez impressionnant. Y’a pas à dire, il a quand même une putain de classe. L’ivresse n’empêche pas les mafieux d’avoir un minimum de répondant, et ils morflent deux fois plus en essayant de rendre les coups. C’est beau. J’entends même un superbe craquement de nez. Depuis le temps que je supporte leurs conversations débiles, le plaisir que j’ai à imaginer leur douleur est plutôt intense. J’en oublierais presque que je viens possiblement de perdre une partie de ma soirée à espionner des mecs qui vont me passer entre les doigts.

Une fois les hostilités terminées, Angel attache les larrons entre eux. Bien, il ne les laissera pas s’échapper. Il reste aussi pour s’occuper de la fille choquée, et je fais le choix de ne pas bouger. S’il suivait ces types comme moi, il aura peut-être des infos à me donner. De toute manière, je n’ai rien de particulier à cacher, je suis tout bêtement à la recherche d’une amie qui est née dans une très mauvaise famille. Aucune raison qu’un héros comme lui me refuse son aide. D’ailleurs, en bon héros, il se la joue maître de la situation en me félicitant avec une condescendance assez exaspérante d’avoir essayé de porter secours à la demoiselle en détresse. Ok, il me prend pour un gamin inoffensif, un classique avec lequel je devrais savoir me débrouiller. Je décide tout de même de me donner un peu plus de contenance lorsqu’il me suggère d’appeler la police si un incident du genre devait se reproduire. Il me semble qu’un adolescent peu exercé mais assez confiant pour marcher sur deux humains armés réagirait de cette façon.

- Le temps que la police arrive, il aurait été trop tard, dis-je très sérieusement. Et puis, j’avais de quoi les tenir à distance.

J’ai failli dire « leur lacérer les parties », mais c’est pas le moment de passer pour un gros sauvage. Bref… Sur ces mots, je présente mes mains et, en créant une sorte de résine, donne l’impression que de très longues griffes sortent de mes doigts, comme j’avais vu un espèce de hell’s angel taré le faire lors de ses rares passages à la confrérie. En se relevant légèrement, mes lèvres laissent aussi apparaître une dentition carnassière. Ce soir, je serai une sorte d’hybride fauve. Les gens ont tendance à s’intéresser d’un peu trop près à moi lorsqu’ils connaissent la véritable nature de mon pouvoir. Angel comprendrait vite que je suis très largement capable de me débrouiller seul et ça ne serait que plus adapté à mes mensonges en prévision. Je dois rester subtile et empêcher toute identification possible le jour où j’agirais contre l’avis des x-men avec mes vraies capacités.

J’étais prêt à ajouter que je ne me baladais pas non plus par hasard dans Central Park quand le x-man a embrayé sur un truc totalement inattendu, il me proposait de prendre un verre avec lui en ajoutant qu’il s’appelait Warren. Oui, oui, bien sûr, Warren Worthington, je connais. Il avait même défrayé la chronique l’année dernière sur internet, chez les gays mutants comme humains, à cause de rumeurs où il aurait épousé un autre homme, puis, plus récemment, il était question de son divorce. La nouvelle m’avait un peu attristé, en très grande partie parce qu’elle pouvait encore donner une impression de victoire à un tas de connards conservateurs qui y verraient les preuves de leurs ferventes croyance à propos de la solidité absolue des couples hétéros en comparaison. Ben voyons. Et puis, vous voyez, je reste un peu sentimental, je préfère les histoires d’amour qui se finissent bien, surtout quand elles ont assez d’impact pour redonner de l’espoir aux gens. Le point over positif de tout cela était que je me retrouvais en tête à tête avec un x-man diablement sexy (j’ai toujours eu un faible pour les grands blonds), célibataire, et potentiellement intéressé par moi. La seule perspective passer la nuit avec ce beau gosse du « camp opposé » me donnait envie de tout plaquer et de lui sortir le grand jeu pour mettre toute les chances de mon côté. Mais Vanozza comptait sur moi. Je décide donc de garder l’image du brave garçon pour décliner (temporairement ?) son invitation et lui exposer une partie de mon problème.

- C’est un véritable honneur de rencontrer le très célèbre Warren Worthington. Tu peux m’appeler Isaac. Et j’aimerais sincèrement accepter ton invitation mais, quoique l’agression de cette fille ait pu donner comme impression, je n’étais pas venu ici pour me promener… Ces types… Peut-être que tu vois qui ils sont… Eh bien, je suis convaincu qu’ils ont un lien avec la disparition d’une amie qui m’était très chère. C'était une mutante aussi. Je sais que je risque de paraître encore moins prudent du coup mais… elle a disparu depuis plus d’un an, et la police n’a jamais rien fait… Je crois que sa famille est soumise à des pressions qui l'empêchent d'en parler. Il n’y a peut-être plus aucune chance de la retrouver vivante mais enfin… Tu vois, je n’arrête pas d’y penser, je trouve terrible que personne ne fasse rien...

J’avais parlé en bafouillant un peu, avec une émotion digne d’une vraie comédie dramatique pour lui passer le goût de refuser. Ce serait un monstre de le faire. Je voulais qu’il sente ma détresse, que l’affaire le révolte. Et de fait, c’était révoltant, c’était horrible, mais je devais garder une certaine passivité, ne surtout pas laisser ressortir ma rage. J’allais m’en remettre à Angel, à un justicier qui avait logiquement les moyens de faire parler la vermine qui gisait à quelques mètres de nous. Vu son CV, je ne doutais pas qu’il soit plus convaincant que moi.

Le x-man s’accorda un long moment de réflexion avant de me donner une réponse. J’avais beau lui servir un regard tragique au possible, ce que je lui demandais avait l’air d’interférer avec ses valeurs. Voyons, que se disait-il ? Que c’était mettre le doigt dans l’engrenage d’une machine infernale. Sans doute. Car il ne suffirait pas d’obtenir les informations, il faudrait remonter jusqu’à la source du mal soi-même, au risque d’y laisser sa peau à un moment. Mais la justice préférait généralement s’occuper des petites frappes de surface. Les magnats du marché noir avaient des moyens de pression, des menaces que beaucoup de puissants ne voulaient surtout pas voir mise à exécution. Et Vanozza était la fille d’une grande famille. Même si j’annonçais sa disparition à la police, personne n’oserait ouvrir la moindre enquête sur elle. Cette histoire menait à une véritable zone de non droit. La vendetta s’exerçait par ceux qui avaient les moyens de le faire, les autres gardaient la tête basse. J’avais entendu parler de type, des sortes de mercenaires, qui faisaient le ménage pour rien là-bas, souvent parce qu’ils n’avaient plus rien à perdre et de la rage à revendre. Ils auraient bien quelques têtes à flinguer pour d’autres histoires en m’aidant à démêler la mienne, mais j’avais aussi besoin de régler quelques trucs personnels. Il y avait plus qu’une amie perdue. J’avais un ex au milieu de ce joyeux bordel. Tous paieraient. Je me le suis juré, je ne reviendrai pas là-dessus. Sauver Vanozza est un bonus auquel je ne crois que moyennement. Elle se sauvera elle-même si elle le peut, ou tombera avec les autres, sauf si, par miracle, je l’atteints avant. Mais l’objectif n’est pas d’entrer dans un QG et tout défoncer. Je leur en veux beaucoup trop pour me contenter de ça.  

Parce qu’il savait tout comme moi qu’il n’y avait pas d’autre solution pour retrouver une fille enlevée par un gang, Angel finit par craquer. Il attrapa les deux gars et leur lança un deal plutôt fun : parler ou finir coincés sur un cloché. J’aime bien, c’est le genre de truc que je ferai si je pouvais voler… ou plutôt, le jour où je pourrais voler aussi facilement qu’avec des ailes naturellement plantées dans le dos ! Les ailes déployées à la manière d’un cygne qui veut se montrer imposant, le x-man se plaça derrière moi en me suggérant de leur montrer une photo. Moui… Pas sûr que ce « fils de » relégué en homme de main ait déjà vu cette fille en vrai comme en image. Le nom, par contre, lui dirait quelque chose. Mais il serait aussi très certainement éloquent pour Angel et là, viendrait la question de « d’où tu sors une amie pareille ? ». Bon, en même temps, on ne choisit pas toujours de sympathiser avec une personne plutôt qu’une autre, on est pas non plus obligé de connaître le background derrière son prénom. Ça ira. L’affaire a beau être ultra louche, j’ai vraiment rien à me reprocher (c’est presque là tout le problème). Je me suis retrouvé là-dedans sans comprendre comment. C’est con,  et c’est aussi la vérité. La naïveté de la jeunesse crée parfois des malentendus plus graves que d’autres. Maintenant, je me méfie carrément plus des gens qui me sortent des vies incohérentes et lacunaires, dont tu ne voies jamais très bien où ils veulent en venir avant de te retrouver plongé dans plus de galères que tu ne peux en compter à vue de nez.

- J’ai bien quelques photos mais je crains que ces mecs ne soient pas assez importants pour approcher ce genre de fille de près. Pas vrai Marco ? dis-je en me retournant vers l’homme qui crachait sur son statut tout à l’heure. J’ai cru comprendre que t’étais le fils rejeté de la famille, t’étais vraiment pas discret tout à l’heure, je suis sûr que même un éléphant aurait pu te filer.
Premiers sarcasmes jetés. Faut pas avoir peur de rentrer dans le lard de ces types. Le crétin est du genre à lâcher beaucoup d’infos quand il est énervé. Tant pis pour la présence d’Angel, je tenais un beau poisson et  je vais vous le cuir à point. Il a essayé de protester mais son nez cassé n’a rien sorti d’autre que des bulles dégueulasses de sang.
- Bon, on va tenter l’expérience quand même. T’as déjà croisé cette fille quelque part ?
J’avais fouillé un instant dans mon téléphone pour lui sortir la photo d’une vague amie de lycée avec laquelle je n’avais plus de contact depuis juin, une jolie blonde aux yeux verts qui avait, d’un point de vue standard, tout pour plaire. Pourquoi ne pas montrer Vanozza ? Parce que si Marco voyait de qui je voulais parler, on saurait que je suis à sa recherche, et ça ne serait ni bon pour sa sécurité, ni pour la mienne. Avec un x-man à mes côtés, je ne pouvais pas tuer. J’allais donc obtenir les informations autrement, par le chantage. On se ficherait probablement de la mort de ce type. Par contre, l’oncle aimerait moins le savoir humilié. Ce serait une déclaration de guerre ouverte. Une déclaration faite, de plus, par un illustre inconnu. Ils auraient peur, ils seraient plus disposés à croire et faire n’importe quoi, à s’entretuer, à commettre des erreurs fatales. Oh oui, j’avais beaucoup à faire… Si tant est qu’Angel me laisse appliquer le reste de mon plan dans les règles de l’art.
- J’vois pas qui c’est. Y’en a qui passent tous les jours des comme ça et j’pense pas que t’as envie de savoir ce qu’elle est devenue, surtout si je me suis occupé de sa rééducation à cette salope.
Il a eu un regard lubrique, tout ce qu’il y a de plus écoeurant. Peut-être qu’il pensait me décourager d’aller plus loin et c’était très mal calculé. Au contraire, sa bêtise risquait de pousser Angel à renoncer à toute compassion. Pour ma part, j’avais toujours les fausses griffes au bout de mes doigts et je n’hésitais pas à m’en servir pour les poser très légèrement sur son entrejambe.
- Oh putain, qu’est-ce que tu fous ! Retire tes sales pattes de mutos !
- Figure toi que je ne suis pas venu jusqu’ici pour entendre tes exploits sexuels, donc si ta queue te pose problème pour parler, on peut régler ça tout de suite.
Il s’est contenté de me regarder bêtement sans moufter. J’ai quand même resserré mes griffes.
- On va reprendre, est-ce que tu connais cette fille ?
- J’ai dit non ! J’en ai rien à cirer de cette gonzesse.
J’ai appuyé un peu plus fort.
- Mauvaise réponse. Elle a disparu il y a un an, c’était pas loin d’ici me semble. Aller, fais marcher tes deux neurones ça va revenir.
- Je t’ai dit que j’en savais rien putain !
- Oui, c’est vrai, moi non plus j’vois pas qui c’est. Et pourtant, moi je m’en souviens bien des filles dont on s’occupe dans le quartier, ajouta soudain son pote.
- Ouais, c’est pas nous, on a pas fait le coup, y’en a d’autres qui auraient pu l’enlever !
Je me suis retourné un instant vers Angel. Décidément, c’était vachement plus efficace de menacer un homme par le bas que lui envoyer des baffes, il était déjà prêt à vendre d’autre gens. Peut-être que ça intéresserait l’ange ? Peut-être aussi qu’il n’approuvait absolument pas mes méthodes, et c’était mieux de le vérifier avant d’engager réellement la partie humiliation.

L’ennui avec les faux prétextes était qu’ils envoyaient sur d’autres pistes. Si j’avais été seul, ça n’aurait pas tellement posé problème, je pouvais y aller au bluff, prétendre que je savais de source sûre qu’ils avaient fait le coup, mais Angel avait d’autres raisons de les questionner, fallait bien se partager les infos. Pendant que je m’amusais avec les deux crétins, le x-man n’avait d’ailleurs pas cillé. Je m’étais attendu à me faire interrompre à plusieurs reprises mais non, il attendait, tranquille, que je me décide ou non à castrer le jeune mafieux. C’était pas l’envie qui me manquait. Vu le genre d’ébats auxquels il semblait prêt à s’adonner avant notre arrivée, il y avait de quoi sauver la mise de pas mal de nanas dans un futur proche. Mais je ne pouvais pas aller si loin. Quand on met à exécution les menaces les plus extrêmes, c’est qu’il n’y a plus rien à tirer de sa proie. Je connais peu de mecs qui auraient envie de lâcher le morceau avec la moitié de leur virilité déchiquetée, à moins de les garder en cellule, de continuer à les torturer en leur refusant la mort jusqu’à ce qu’ils craquent. Faut le vouloir. Dans l’immédiat, je dirais que je n’envisageais pas le délire comme ça. Puis, on n’avait pas affaire à des pointures du milieu. Ces types se pissaient déjà à moitié dessus, surtout le deuxième qui flippait rien qu’à l’idée d’être traité à la même enseigne. C’est vrai enfin, il n’y était pour rien le pauvre ! Hahaha. J’ai toujours admiré le profond courage des racailles de la pègre. On pouvait toujours compter sur eux pour vider leur sac et plus encore les dix premières minutes d’une séance de torture.

Contrairement à moi, Angel semblait assez réceptif à l’ouverture qu’on venait de me laisser. Hm… Rectification faite, il était plus que réceptif, au point d’arracher le mec au sol déjà complètement flippé, et d’une seule main ! Dire que j’avais peur de faire trop de zèle… Au début, il la joua assez finement, en leur promettant un tas de fausses accusations qu’ils risquaient de payer très chère. Ses mots m’arrachèrent un sourire complaisant. Ouais, c’était pas mal comme plan aussi, les envoyer croupir en prison, et se faire passer à tabac et aussi dessus par les détenus pour des trucs qu’ils avaient probablement fait. Puis, au pire, un tas de petits crimes en égal un plus gros non ? Au bout d’un moment, on n’est plus à ça près. Le truc, c’était que même si les menaces marchaient, j’en avais strictement rien à faire que ma pote de lycée ressemble aux putes des slaves… Quoique… Non c’est cool en fait. Marco avait l’air assez catastrophé de voir son pote balancer sur les ruskov, ce qui voulait dire que j’avais de nouvelles cartes en main pour déclencher une guerre bien sanglante. Mais je n’avais pas le temps d’y réfléchir que, déjà, le x-man donnait un peu plus dans le grand spectacle. L’autre type avait tenté de le provoquer, il avait gagné un plaquage en règle contre un arbre. Ça a même fait trembler le feuillage. Je notais mentalement le nom qu’il venait de lâcher pour me renseigner plus tard.

Ce fut au tour d’Angel de se délester d’un peu plus d’informations. Donc, comme ça, les gars essayaient de traquer du mutant. Cet élément était un peu trop vague pour être révélateur. Ils pouvaient suivre des ordres plus haut placés, en vouloir aux technologies de l’institut, ou collaborer avec les purifiacteurs pour arrondir leurs fins de mois… J’ai entendu des histoires assez sales à propos de chasseurs de primes spécialisés dans le mutant, de fichages, de mises à prix, de tout une économie parallèle qui s’est mise en place depuis que les autorités ferment les yeux sur ces meurtres. Malheureusement, mon « partenaire » n’en dirait pas plus. Il ne serait pas assez stupide pour me donner, en prime, des scoops sur les petits secrets de l’école Xavier. Seulement, Marco en révéla plus que prévu en annonçant presque le motif de leurs approches. Ils avaient parlés à des résidents. Autrement dit, ils leur avaient probablement fait quelques offres de collaboration. Voilà qui était intéressant, si l’initiative n’était pas isolée, bien sûr. J’étais cependant le seul à m’en réjouir. Enervé de ne pas avoir pu obtenir ce qu’il attendait, Angel balança carrément sa victime contre l’arbre.

Puis, c’est devenu vraiment bizarre. Ses yeux sont devenus blancs, comme s’il était possédé. Il a montré des crocs, changé de style d’ailes, et même de couleur de peau. Heu… J’espère que je ne viens pas d’assister à une évolution spontanée et incontrôlable… Parce que si c’est le cas, on est d’accord, j’y suis pour rien, je n’étais pas là ! Bon, il avait quand même toujours l’air de vouloir m’aider, un peu trop même… Faut que je rattrape ça, je n’ai aucune d’envie d’aller démanteler un réseau de prostitution, c’était pas inscrit sur mon programme.

- Oh oui, j’ai pas terminé avec mon ami Marco, ai-je dit, un sourire en coin, en revenant sur le mafieux. Bon, que ce soit bien clair chéri, tes histoires avec l’institut c’est pas mon problème. Je pensais qu’on pouvait se faire un petit tête à tête seul à seul, toi, moi, sous les étoiles, et tout ça, mais t’as visiblement des comptes à rendre un peu partout, alors on va la faire courte…
Je parlais d’une voix toute mielleuse, on aurait dit une mauvaise blague. De fait, ça l’était, et je sentais Marco un peu désarçonné par ce changement de ton inattendu. J’adore ça. Mais, soudain, mon visage se durcit, et ma voix aussi.
- La fille. C’est pas la peine de faire l’ignorant en laissant l’autre clampin nous envoyer chez les russes. T’es forcément au courant Marco, c’est un des mecs de ta bande qui a fait le coup.
- Tu vas me lâcher à la fin ? J’ai dit que j’en savais rien, je dirige rien moi, je connais pas tous les types de l’organisation bordel !
- Ouais ouais, je sais, tu l’as dit, t’es tellement naze qu’on te laisse que le menu fretin. Mais t’as un oncle haut placé Marco, et moi, je peux pas coincer aussi facilement les autres types.
Et là, je sens qu’il commence à paniquer en pensant à ce que je risque de lui proposer.
- Laisse tomber ! Mon oncle va pas se bouger pour moi.
- C’est bête hein, toute perspective d’évolution de carrière, ruinée par ce qui va t’arriver ce soir… Alors que t'étais juste parti boire un coup et partouzer avec une inconnue...
- Donne lui des noms Marco, ils plaisantent pas ces tarés !
Tiens, l’autre qui émerge de son coup sur la tête. Marco retrouve soudain toute sa rage.
- Ta gueule, t’as déjà trop parlé. Un seul nom et on est morts.
Eh oui, cruel dilemme, mourir de nos mains, ou de celles de leur propre gang ? Je suppose qu’ils estimaient garder de meilleures chances de survies entre les nôtres, malgré la tronche ultra flippante d’Angel. Ils n’avaient pas tort. Après tout ces cris et ces coups, la police allait finir par nous tomber dessus. Un sourire s’est à nouveau dessiné sur mes lèvres. Il était temps d’ajouter à point final à cette sympathique rencontre.
- Mais enfin chéri, tu es déjà mort…
Réplique classique qui ne rate jamais son effet avec les bons arguments… J’ai fait semblant de chercher un truc dans ma poche pour sortir une main armée d’une sorte de moule à gâteau en forme de cœur et aux bords tranchants. Je sais qu’il a mis un certain temps à comprendre ce que j’avais l’intention de faire. J’ai imprimé d’une main ferme la forme sur son front, puis sur l’une de ses joues. La cicatrice resterait. En attendant, deux beaux cœurs sanglants luisaient sur son visage, et j’ai sorti mon téléphone pour prendre quelques photos.
- Un petit sourire pour l’oncle ? T’inquiète, même si t’arrive à cacher mon œuvre d’art contemporain, je trouverais bien un moyen d’envoyer ça à ton oncle. Je suis certain que ça va bien le faire marrer !
- Espèce de… Petit con ! T’es complètement malade ! Tu peux pas faire un truc pareil tu… T’inquiète, tu vas crever ! Ils vont te retrouver, et t’as même pas idée de ce qu’ils vont te faire avant que tu crèves, salopard…
- N’en dis pas plus, j’en attraperais presque des bouffées de chaleur.
Oui je sais, je suis méchant sur ce coup. Je viens de condamner un type d’une manière franchement dégueulasse mais j’avais promis une humiliation non ? Je m’y tiens. Puis des cœurs, ça a l’air gentil non ? ça fait rire. Ça évite de penser au fait qu’avec une gueule pareille, le mec risque de se faire défigurer, ou buter dans les prochains jours, et pire si la photo parvient jusqu’à son oncle. Si Angel anticipe tout ça, je lui dirais que je plaisantais… pour l’oncle. Enfin, je m’éloigne prudemment de Marco, qui continue de m’insulter, et de son pote à moitié sonné. J’aimerais retourner vers le x-man, mais il a l’air un peu trop imprévisible dans l’immédiat. En fait, je crois que j’ai plutôt intérêt à décamper fissa. A tout hasard, je lance quand même :

- ça sert à rien de s’éterniser ici. Je ne pense pas qu’on obtiendra autre chose de leur part.

J’ai fait mon possible pour ne pas aller trop loin devant le x-man, mais mon imagination tordue a pris le dessus. J’aimerais trouver des solutions simples. Elles n’arrivent jamais. Ou, plutôt, je les entrevois au début et, soudain, une idée bien plus séduisante me traverse l’esprit et hop, terminé, il faut absolument que je la mette à exécution. Le mouvement de recul d’Angel m’a fait redescendre sur terre. Je dois avoir l’air complètement dingue. Il se dit probablement que mon geste vient d’envenimer la situation gratuitement. Peut-être qu’il me prend pour un imbécile. Ça vaut mieux en fait. La réalité est pire. Je suis conscient du raz-de-marée qui va suivre, je me mets volontairement en danger et j’espère que le reste du gang mordra à l’hameçon. La partie dans laquelle je suis engagée est bien pire que ce qu’il pense. Ce n’est pas un jeu, j’en suis parfaitement conscient, comme je sais que les choses se termineront très mal, surtout pour eux. Vous me direz que je n’ai pas besoin de m’embarquer là-dedans. C’est aussi vrai. Je pouvais laisser tomber, oublier cette partie de mon existence, effacer le souvenir de Vanozza. Seulement, je n’aime pas les histoires inachevées. Je n’aime pas voir les méchants gagner. Un jour, j’ai fait le choix de refuser toute concession, parce qu’elles ne profitent jamais aux gens honnêtes. Quitte à utiliser des méthodes aussi cruelles que mes adversaires, je refuse de changer.
Ah… et si j’ai peur des flics ? Je vois le xman s’agiter autour des blaireaux, effacer les empreintes, envoyer des coups d’ailes dans les airs, etc. Dude ! que j’ai envie de lui crier, s’ils te signalent t’es fichu. Un putain de mutant ange, n’importe qui ferait le lien ! Bon, il pourra toujours s’en tenir à la négation obstinée des faits. Sans preuve, pas de témoignages valides. Me concernant, je ne m’inquiète absolument pas. Mon signalement serait vague, faussé, et, en fait, il est peu probable que des mecs à problème comme ceux-là portent plainte. Si des policiers intervenaient sur les lieux du carnage, ils recommanderaient une patrouille au cas ou, et nous oublieraient. Ce ne sont jamais rien d’autre que des mecs en service. Et un truc important à savoir quand on est souvent amené à les « déranger » est que moins ils en font, mieux ils se portent, et que s’ils peuvent fermer les yeux sur de grosses embrouilles comme celle-là, ils le font volontiers.

On sort du parc d’un pas tranquille, et dans un silence assez gêné. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre avec un collègue à la face si bleue… Ses ailes ne me rassuraient pas non plus. Elles étaient dans un métal suspect, hyper aiguisées, certainement capables de couper un homme en deux avec l’efficacité d’une faux. Du coup, le voir retrouver une apparence normale me retira un gros poids et me passa l’envie de détaler. Ok. Il serait peut-être possible d’avoir une discussion apaisée. Il redevenait mignon. Il avait l’air paumé aussi. Visiblement, la transformation lui avait coûté une part de lui-même.
Je l’ai dévisagé un moment sans rien oser lui dire. J’attendais un signe, quelque chose, ne serait-ce qu’un « au revoir » pour faire un mouvement. Finalement, il lâcha d’une voix blafarde qu’on avait abusé. Hm… Que dire ? Que sans lui, le résultat aurait été pire ? Il m’avait probablement empêché de tuer. Mais ce n’était pas non plus la peine de tomber dans le drama. Si le mutant avait gardé ses souvenirs, il avait vu à quel point je pouvais être sérieux. J’ai donc opté pour une réponse très retenue, un air pas fier, mais une voix sans regret non plus.

- Sans doute… A la base, je pensais juste leur faire un peu peur, ai-je dit au haussant les épaules.

Le regard qu’il me lança ensuite me fit un peu douté. C’était un peu trop scrutateur. Il cherchait quoi au juste ? Des blessures ? Sa question me laissa un peu interdit. Les mecs étaient entravés du début à la fin, comment auraient-ils pu me faire du mal ? A moins qu’il ne redoute un élan psychopathique de sa part ? En fait, il avait peut-être oublié toute la scène depuis sa « sur-mutation ».

- Tout va bien. Pas de blessés, ni de morts, les types s’en remettront.

On va faire comme s’ils ne se souvenaient effectivement de rien. Ça m’arrange. Dans le doute, je donne le moins d’information possibles, juste de quoi le rassurer avec des semi vérités. Dans l’immédiat, nos deux larrons ne risquaient pas de succomber à leurs blessures. Evidemment, je n’allai pas m’en tirer de cette façon. Warren souhaitait éclaircir les informations réunies et mettre de l’ordre dans ses idées. Il me propose un dîner dans un restaurant qui lui appartenait, ce qui me plonge dans un profond dilemme. Un côté de mon cerveau me dit de faire semblant d’accepter, et de ne jamais revenir. L’autre fourmille d’idées et de questionnements. Un repas aux chandelles avec le xman Angel ! Ce pourrait être l’occasion de sympathiser, et qui sait quelles possibilités en découleront ? Mais c’était dangereux. La discussion n’aurait probablement rien d’amusant et me mettrait plus dans l’embarra qu’autre chose. Je devais profiter des deux heures pour disparaître à tout jamais.

- Je te fais confiance pour m’intégrer comme bon te semble. C’est toi le maître des lieux, ai-je dit dans un sourire. A plus tard !

A ce moment, je vous jure, j’étais certain que la raison l’avait emportée sur mon irrépressible curiosité.

[Suite au restaurant]