A minute for me Ghost ? [pv Evan]

Cela faisait maintenant plusieurs semaines qu’il venait s’entraîner là. Ce temple était devenu son refuge quand l’appartement devenait trop exigu, quand Evangelina avait besoin de se reposer et d’être au calme sans avoir obligatoirement son compagnon pot de colle avec elle. En attendant que les travaux de l’église soient achevés. Outre leur taille, les lieux possédaient l’avantage d’être à la fois accessible au public de prime abord mais également d’être préservé du regard extérieur pour une majeur partie de l’édifice.

Evan avait compris en Afrique à quel point il devait développer ses capacités martiales pour se sortir de situations périeuses. Etre le Fantôme était une mission risquée. Il ne devait rien laisser au hasard. Et l’enceinte du temple était sans doute le lieu le plus approprié pour réaliser trouver la sérénité et la rigueur nécessaire. Les moines bouddhistes zen qui l’occupait appartenaient à une congrégation plurimillénaire à laquelle de précédents Fantômes avait rendu service au cours des siècles. Sans connaître le secret de ce dernier, ils lui permettaient néanmoins de méditer à leurs côtés et de s’entraîner là, à la condition expresse de préserver le silence des lieux. Ce qui ne constituait pas une mince affaire.

Evan travaillait son sang froid, son self contrôle. Certains moines avaient passé de longues années à étudier le budo comme cheminement dans l’unification de leur esprit. Ils dispensaient des cours à de jeunes disciples ainsi qu’à de rares extérieurs auxquels Evan appartenait. Sentir l’adversaire sans le voir, unifier son geste, sa respiration et son esprit dans un coup parfait. C’était la voie du bushido. Un entraînement exigent qui portait lentement mais inexorablement ses fruits. Les réflexes de l’Ombre qui marche s’étaient accrus assez rapidement dans la mesure de ce qu’il était humainement faisable. Et ce grâce à la pratique alternée du kendo et de l’aïkido.

Les moines permettaient aussi à ces individus triés sur le volet de partager certaines de leurs installations. Outre le Dojo, ils avaient accès aux salles d’ablution et au jardin où régnait l’harmonie du paysagisme à la japonaise. La seule condition était de porter un masque afin que les « hôtes » ne puissent se reconnaitre entre eux et que le monde extérieur ne pénètre pas dans le temple.

La nuit était tombée. Le Fantôme s’était entraîné une bonne partie de la soirée. Un peu plus tôt dans l’après-midi, à l’issue de la séance de méditation, on lui avait apporté un message. L’agent Hunter. Elle voulait le revoir. En ce lieu. C’était une occasion intéressante de poursuivre la conversation du soir de leur rencontre. A l’heure dite, il avait envoyé quelqu’un la chercher. Les yeux bandés afin qu’elle ne connaisse pas le chemin, question de confidentialité pour les invités exceptionnels. Torse nu, couvert uniquement de son masque et d’un boxer de bain, il laissait ses pensées vagabonder au rythme des clapotis de l’eau chaude dans laquelle il baignait jusqu’à mi-torse. La salle d'ablutions était vide. Un lieu particulièrement insolite pour une seconde rencontre. Mais sans doute moins que celui de la première.

Enfin, le panneau de bambou glissa et on aida la jeune femme à pénétrer dans la pièce. Délicatement, le moine lui enleva le bandeau avant de s’éclipser sans bruit, refermant la porte coulissante derrière lui. La lumière des bougies éclairant la pièce se mit à danser sous l’effet de l’appel d’air avant de retrouver sa sérénité.

« Bonsoir agent Hunter. Je suis ravi de vous revoir. Vous avez l’air de vous porter beaucoup mieux que lors de notre dernière entrevue. Veuillez pardonner toute cette mise en scène mais les règles sont particulièrement strictes ici concernant les personnes invitées par les « hôtes » du monastère. Et je dois m’y plier, comme tout à chacun. Je vous invite à me rejoindre, si vous le désirez. Il y a quelques effets à votre intention derrière le paravent. Je ne voudrais pas vous mettre mal à l’aise et vous paraître grossier. Les moines racontent que cette eau apaise aussi bien le corps que l’esprit. Et dans votre cas, comme dans le mien, cela semble être une idée particulièrement judicieuse. Vous ne croyez pas ?

Allait-elle jouer le jeu ? Rien n’était sûr. Mais le Fantôme était curieux de voir comment elle allait réagir.

Ses hypothèses s’avéraient fondées. Elle avait passé le test de l'audace. Elle n’avait pas froid aux yeux. C’était une qualité qu’il appréciait particulièrement chez la gente féminine. Des répliques bien senties, à mi-chemin entre l’humour grinçant et la menace de principe. Histoire de se draper dans une forme d’honorabilité de façade que son sens de l’audace mettait à mal. Du courage, de l’honneur et une pointe de dérision. Un cocktail explosif à consommer avec modération. Mais qui lui convenait bien.

Il devait bien avouer qu’en plus d’avoir un caractère bien trempé, la demoiselle avait une plastique magnifique agrémentée par quelques tatouages. Il eut un sourire. La vie était parfois étrange. Elle avait tout du fantasme masculin par excellence. Elle aurait pu sans difficulté être élue playmate de l’année. Et nombreux sont les hommes qui auraient vendus père et mère pour se trouver à la place de l’Ombre qui marche à cet instant précis. Tout du moins, il le supposait. Mais même si le jeu ne manquait pas de piment et qu’Evan s’avérait être un compétiteur redoutable dans ce domaine, il n’avait pas répondu à l’invitation de la jeune demoiselle pour ce motif. De la curiosité, oui. L’envie de voir si elle se portait mieux également. Mais avant tout, il avait décelé quelque chose chez cette jeune femme. Un potentiel, un état d’esprit enfoui en elle. Les yeux dans le vague, il pensa à Evangelina. Les choses étaient particulièrement compliquées en ce moment. Et la visite de Cait et d’Amy n’avait pas arrangé la situation. Mais il était au clair dans son esprit. Il lui répondit donc sur le même ton.

« Si vous le permettez, je propose de faire l’impasse sur la phase laborieuse du dîné pour s’aventurer directement dans celle du cinq à sept dans le jacuzzi. C’est bien à cela que sert un bain de minuit, non ?...Je plaisante agent Hunter…Ne faites pas cette tête…Je fais amende honorable, c’était de très mauvais goût mais vous m’avez tendu une telle perche que c’en était trop tentant. Quant aux bougies, elles permettent une ambiance tamisée propre à avoir l’esprit clair et apaisé. De plus les moines n’ont pas l’électricité dans cette partie du bâtiment. C’est aussi simple que cela…»

Elle voulait connaître son identité. Pas surprenant. Vilaine manie policière. Déclinez votre identité avant que je vous passe les menottes…Bref, que pouvait-il bien lui répondre ? Éluder la question ? Elle reviendrait à la charge. Elle semblait être plutôt du genre obstinée. L’important était de répondre à l’intention derrière le paravent. Le véritable objectif. Alors autant ne pas tourner autour du pot.

« Mon nom ne vous dirait rien…Et je pense qu’au fond de vous, vous vous en moquez royalement. Ce qui vous importe c’est de savoir si nous sommes dans le même camp. Si vous pouvez me faire confiance. Il y a quelque chose d’animal en vous agent Hunter. Je l’ai vu au premier regard. Cette rage, cet instinct, cette méfiance vis-à-vis d’autrui. La vie vous a sans doute appris à ne compter que sur vous-même. Cela vous rend sans doute extrêmement forte et indépendante. Mais cela attire aussi dans votre sillage des gens qui vous sont néfastes. Comme nos amis de l’autre soir. Cela vous impose aussi une certaine solitude. Je me trompe ? »

Là, il touchait à quelque chose de sensible. S’il s’aventurait trop loin, il risquait de la braquer. Aussi prit-il toutes les précautions nécessaires.

« Ne vous méprenez pas, je ne suis pas en train de vous juger. J’ai été à votre place, il y a bien longtemps. Cela fait près de cinq siècles que j’ai juré de détruire l’injustice où qu’elle se trouve et quel que soit sa forme. Et j’en ai appris assez sur les hommes pour savoir reconnaître une personne de valeur. Vous êtes une femme exceptionnelle Maeva. Mais seule, vous finirez inexorablement par vous détruire. Et je suis convaincu que le monde y perdrait terriblement. Maintenant si vous voulez savoir si je suis sincère, observez moi, regardez-moi dans les yeux. Suivez votre instinct. Pour quelle raison êtes-vous venue ? Pourquoi m’avez-vous fait confiance il y a deux semaines ? Je ne crois pas au hasard. »

Il la fixa, cherchant dans le regard de braise de la jeune femme une réaction, aussi infime soit-elle.

C’était troublant. D’une sensualité presque enivrante. Elle était tendre et féline à la fois, prédatrice et proie en même temps, jonglant entre le feu et la glace. Elle aimait jouer. Mais là encore, elle se cachait. Derrière sa plastique, derrière ses masques de séduction et sa gestuelle millimétrée. Evan dû faire preuve de tout son self contrôle pour ne pas succomber. « Le seul moyen de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y céder » disait Oscar Wilde. A croire que cette phrase avait été écrite pour ce genre de situations. Ils étaient sur le fil du rasoir. Un seul geste et tout pouvait basculer. Elle était trop proche pour la repousser. Il avait voulu la tester. Peut-être le regrettait-il à cet instant précis. Pris à son propre piège fut la première pensée qui lui traversa l’esprit. Juste avant de penser à Evangelina. Le sourire de sa fiancée lui apparut comme une bouée de sauvetage, comme un havre de paix dans la tempête sensorielle qui se déchaînait. Mais il avait toutes les peines du monde à s’ancrer à cette image.

Ce n’était pas la relation qu’il voulait avec Maeva. Son cœur et son corps appartenait à une autre. Jamais la fidélité ne lui avait sans doute autant coûté qu’à cet instant précis où Maeva Neera Hunter avait approché ses lèvres pulpeuses aussi près des siennes, pressant sa poitrine contre son torse, donnant littéralement l’impression de fusionner avec l’Ombre. Elle s’était enroulé autour de lui telle une femme reptile à laquelle on ne pouvait ou ne voulait résister. Tout n’était que sens. Il tentait de garder les idées claires mais la vapeur du bain conjugué aux murmures de la jeune femme ressemblait à une incantation magique, le mirage onirique d’une naïade hantant les rêves des hommes. Elle était sublime. En cet instant, le temps semblait s’écouler au ralentit, retenant son souffle…Et un geste fit tout basculer…

Il lui fallut déployer une force morale insoupçonnée. En douceur, il desserra lentement l’étau vivant que la jeune femme avait bâti autour de lui. Il passa sa main dans les cheveux de l’agent du BAM avec une certaine tendresse, tremblant d’émotion. Elle ne le laissait pas indifférent. Mais il avait prêté serment.

«La légende ne se trouve pas au creux de ma peau ou dans le reflet de mon regard… Je peux te donner le temps, le savoir et l’attention nécessaire. Je t’enseignerais plus que l'indispensable pour accomplir ce que tu dois devenir. Mais mon corps, mon cœur et mon âme ne m’appartiennent pas. Je ne peux t’offrir ce que je ne possède pas…Contrairement à ce que tu crois, le Fantôme n’est jamais seul… »

Quelques mots sibyllins en guise d’excuses. A son tour, il passa ses mains sur les joues de la jeune femme, lentement, puis les fit glisser le long des épaules d’albâtre de la demoiselle. Il pouvait la deviner, cette énergie, cette force vitale qui bouillonnait en elle. Rien qu’aux frémissements de sa peau. Il n’avait pas le droit de succomber. Mais il fallait bien avouer qu’il devait mobiliser toute sa force et son intégrité morale. Il en avait le souffle coupé. Une chaleur avait envahit son corps comme s’il déployait lui-même une énergie phénoménale. Il la regarda dans les yeux avec la solennité des grands moments.

«Entends-tu cette résonnance ? Ressens-tu ce magnétisme ? Ce n’est pas ce que tu imagines…C’est bien davantage. C’est le vent du destin qui souffle et unit ce qui doit l’être. Cela vient du fond des âges et nous dépasse. Nous sommes des chasseurs »

« Si tu es une proie, nous chasserons le chasseur. Je t’apprendrai à ne plus le craindre ; à t’en libérer…Aucun chasseur n’est invincible. C’est la première règle de la jungle. Très souvent, il se nourrit de notre peur la plus profonde pour nous acculer et nous réduire à la soumission. Il n’y a qu’une seule solution : la révolte. Et seule la volonté, la rage de survivre te sauve dans ce genre de situations. Mais tu apprendras. Je t’enseignerai à te libérer de tes chaînes. Je t’en fais le serment. »

Il s’était redressé dans l’eau, dévoilant sa musculature, l’intégralité de son buste hors de l’eau. Elle passa ses doigts sur son cou jusqu’à toucher l’impact de balle, comme une petite fille aveugle qui tentait de se faire une représentation d’un individu en touchant son visage. Il la laissa faire, observant cette curiosité, cette fascination dont il semblait être l’objet. Il n’en tirait pas un quelconque plaisir des sens ou un orgueil mal placé. Cela le confirmait juste dans son intuition. Il y avait un lien entre eux qui n’était ni de l’amitié, ni de l’amour mais une force beaucoup plus puissante. Comme un esprit de meute. Etrange pour deux mutants. Ils étaient un chaînon nouveau de l’évolution de l’espèce humaine et pourtant ils étaient ramenés à un lien quasi animal, venant des origines les plus obscures et lointaines de l’Homme. Comme un instinct de survie collective, la certitude qu’ils seraient plus forts ensemble, avec cette même rage au fond du ventre, cette même soif de liberté et de justice, cette même détermination. Mais il ne pouvait répondre entièrement et de manière transparente à l’interrogation de la jeune femme.

« Toute légende a sa naissance. La mienne possède la particularité de compter aussi un nombre certain de résurrections. Cette cicatrice est un rappel, un avertissement. Même un immortel finit par croiser la dame à la faux. Cela ne veut pas dire qu’elle obtient gain de cause. Mais il ne vaut mieux pas la courroucer sans de bonnes raisons. Elle est une amante particulièrement susceptible. Elle a en plus la rancune tenace. Une parfaite candidate pour le divan en somme… »

La petite pointe d’humour pour enrober le tout. Comme une marque de fabrique. Une petite signature en filigrane. Il la regarda dans les yeux. Il y avait quelque chose d’encore enfantin derrière les ombres qui semblaient les obscurcir. Et il se surprit alors à une attitude paternaliste avec la jeune femme.

« Nous devrions sortir et nous vêtir. Enfin, si cela ne te dérange pas de marcher un peu. Le jardin zen est magnifique la nuit tombée… »

Elle eut un rictus moqueur. Ne le prenait-elle pas au sérieux quand il lui promettait de l’aider à se libérer de ses chaines ? Ou alors était-ce que la tâche lui semblait titanesque, irréalisable ? Quoi qu’il en soit, ce sourire vexa quelque peu le Fantôme même s’il ne laissa rien paraître. Et quoi ?! Il était quand même l’Ombre qui marche, le spectre qui faisait trembler la pègre et les malfrats des bas-fonds de New-York. Mais, il devait bien l’avouer, dans ce genre de situations, le masque était d’une certaine utilité pour ne pas être grillé. Elle verrait bien le moment venu si cette promesse était vaine.

Elle s’était à nouveau collée à lui. Mais pas comme la femme fatale qu’elle avait pu être quelques minutes auparavant. Son aura semblait avoir changé. Là, elle tenait davantage de la femme-enfant, cherchant un moyen de se sentir en sécurité. Comme un louveteau se blottissant contre le dominant de la meute afin d’être protégé. C’était à la fois troublant et porteur d’espoir. Il avait la sensation étrange qu’il y avait au fond d’elle, derrière son masque d’assurance, derrière sa franchise et son manque de tact qui auraient fait passer Shannen Doherty pour une chic fille, il semblait se trouver une petite fille prise au piège, apeurée, refusant peut-être de devenir adulte. Et lui, il était là pour l’accompagner, la guider au-delà de ses propres limites. Comme un maître jedi, il avait trouvé son padawan. Enfin, tout du moins le croyait-il.

Il la laissa donc poser sa tête sur son épaule sans trouver à y redire. La seule chose qui le mettait mal à l’aise était de penser à la manière dont Evangelina interpréterait les choses, le jour où elle découvrirait une telle relation. Encore une chose compliquée à devoir expliquer. Une de plus. De toute façon, vu la complexité dans laquelle s’était installée leur relation, cela ne changerait sans doute pas grand-chose. Mais bon, mademoiselle Grigori n’était pas réputée pour son ouverture d’esprit en la matière et il devait bien l’avouer, dans la situation inverse, il y a fort à parié qu’Evan y aurait été aussi de sa crise de jalousie. Mais pour le moment, il suffisait de profiter de l’instant. Ce n’était pas tous les jours qu’une femme aussi belle que Maeva Hunter venait se pendre à votre cou. Mais ce n’était pas ce qu’il voyait à cet instant précis. Il ressentait une jeune femme perdue, cherchant désespérément un point de repère, un sanctuaire, un endroit où elle pourrait exprimer librement ses peurs et ses doutes, loin de son armure quotidienne d’agent du BAM.

En douceur, il la prit à bout de bras et la posa sur le rebord carrelé du bassin. Puis, sortant de l’eau, sans un mot, il alla derrière le paravent chercher deux serviettes. Délicatement, il en déploya une sur les épaules de la jeune femme pour qu’elle n’attrape pas froid. Il se baissait ensuite pour lui frictionner le dos à travers le voile moelleux dont il venait de l’entourer. Comme il l’aurait fait pour un enfant. Etrangement, cela le ramena à la grossesse de sa compagne. Il se demandait constamment s’il ferait un bon père. Maeva venait de lui offrir une première bribe de réponse. Il en avait déjà l’attitude. Le tout étant de ne pas se mélanger les pinceaux.

- La vache, je confirme mes dires, t'es vraiment bien conservé. Limite digne d'un mannequin.

Cette réflexion l’amusa. Non pas qu’il prêtait une importance déraisonnée à son physique. Non. Loin de là. Bien qu’il affectionnait un style situé entre le dandy chic et débraillé et un petit côté steampunk, qu’il entretenait régulièrement sa forme physique…Il eut un sourire en coin. Il était évident qu’il se préoccupait de son apparence. Pas au point d’user les miroirs mais néanmoins, il aimait ne pas laisser autrui indifférent. La phrase de Maeva lui procura une certaine satisfaction. Même s’il n’était pas dupe.

« Je te remercie…Tu n’es pas mal non plus…Un savant mélange entre Diana Prince et Catwoman…le sex-appeal en plus. A ce jeu là, je pense que la ligue des Justiciers peut aller se rhabiller pour le prochain calendrier des dieux du stade… »

Humour toujours…Le Fantôme sorti de l’eau, se dirigeant à son tour vers le paravent. Il y avait quelque chose d’étrange dans l’air. Une atmosphère bizarre. A bien y réfléchir, c’était souvent le cas quand une jeune femme se trouvait dans les parages. Il avait un rapport étrange avec la gente féminine. Cet éternel besoin de faire de l’esprit, de chercher à séduire alors qu’il était tout ce qu’il y a de plus heureux avec Evangelina. Même s’il fallait bien avouer que les temps n’étaient pas simples. Depuis qu’il lui avait avoué son identité secrète, une forme de malaise s’était installée. Il savait qu’elle était au milieu du gué. Mais tout ceci n’était que passager. Il en avait l’intime conviction. Il enfila son jean, sa chemise noir et son gilet gris, jetant un coup d’œil furtif à sa montre à gousset. La nuit allait s’étirer encore un peu. Toujours masqué, il se dirigea vers l’agent Hunter

-T'en fais pas, je peux rester tranquille sans sauter sur l'un des moines. J'suis une grande fille tu sais.

« Je n’en doute pas une seule seconde très chère. De plus, ils seraient tellement apeurés par une femme aussi vivante et directe qu’ils risqueraient de faire dans leur habit traditionnel…Inutile de provoquer une tempête en ces lieux…J’aimerais pouvoir revenir y étudier si cela ne te dérange pas…De plus, je suppose qu’au niveau des hommes, tu n’as que l’embarras du choix. J’en connais qui se damneraient pour se trouver sur ton carnet de bal…Le BAM organise bien des soirées de charité dansantes, n’est-ce pas ? »

Là encore, il la titilla. Gentiment. Juste pour la voir sourire. Puis, en parfait gentleman, il lui tendit son bras afin qu’elle puisse s’y accrocher.

« Si mademoiselle veut bien se donner la peine de me suivre, le jardin nous attends… »

« C’est vrai que tu as du chien…Enfin, je dis ça pour ton côté sauvage…Je ne sais pas pourquoi la louve a toujours eu pour moi un côté nourricier, protecteur, presque maternant…Sans doute le mythe de Romulus et Remus mélangé à l’histoire du livre de la jungle…Je vais finir par te surnommer Raksha…Et pour ta gouverne ce n’est pas une combinaison que je porte mais une armure tactique…Comme si j’étais le genre de mec à mettre mon slip par-dessus mon pantalon pour ressembler à superman… »

Bon il était vrai qu’il ne s’agissait pas des premiers adjectifs qui venaient à l’esprit en voyant Maeva Hunter au premier abord. En tout cas pas pour lui. C’était Evangelina qu’il voyait dans ce rôle, belle, rayonnante, protectrice….Maeva tenait, pour le moment, davantage de l’animal traqué par un obscure chasseur, quelque chose ou quelqu’un qu’elle craignait et haïssait à la fois.

Ils marchèrent calmement en direction du jardin. Pas de bandeau, la mise en scène n’était plus nécessaire. Ils passèrent les frêles portes de papier pour se retrouver aussitôt dans un espace ouvert, aux courbes harmonieuses, aux lignes épurées. Bien que le temple se situait au cœur de Chinatown, le bruit de la ville ne semblait pas atteindre ce lieu hors du temps et de l’espace. Seul l’eau de la fontaine artificielle paraissait rythmer les battements du cœur végétal du temple. Ils avancèrent le long d’une allée de galets dont la blancheur semblait quasi irréelle sous les rayons de la pleine lune.

« C’est magnifique n’est-ce pas ? Des milliers d’années de sagesse, de recherche de l’harmonie et de la perfection. L’unité du corps et de l’esprit. Le Ying et le Yang…La complémentarité de ce que tout oppose. C’est ce que tu dois trouver en toi…Mieux te connaître pour mieux te contrôler. Ce qui c’est passé le soir où nous nous sommes rencontrés…Ce n’est pas toi…Ce ne sera jamais toi…Mais néanmoins, il te faudra le dompter, l’apprivoiser…C’est ainsi que l’on cesse d’être une proie… »

Le Fantôme avait reprit un ton grave. Sa voix posée s’éteignit dans la solennité de l’instant présent. Il voulait la guider, lui enseigner ce que lui-même avait découvert dans ses vies et dans celles de ses prédécesseurs. Il avait cinq siècles de mémoires et de sagesse à partager. Et autant de combats et de leçons à en tirer. La seule inconnue était de savoir si elle était prête à écouter.

« Que fais une cocotte-minute quand on la fait chauffer et qu’on maintient le couvercle trop longtemps ? Elle finit par être hors de contrôle et explose, ravageant tout ce qui se trouve à moins de cinq mètres et repeignant le plafond de jus de betterave…Et bien, il en est de même pour l’être humain…Si tu ne laisse pas la bête s’exprimer alors jamais tu ne la contrôleras, jamais elle ne t’obéiras. Il faut juste trouver un cadre adéquat pour qu’elle puisse s’exprimer… »

Il avait énoncé cela comme une évidence, comme si la solution était d’une simplicité enfantine. Une idée lui vint. Il jeta un œil autour de lui. Rien ni personne. Le silence de la nuit et la clame des instant qui précèdent les tempêtes. Et pour cette fois, ce serait lui qui déclencherait la tempête. Tout du moins si Maeva consentait à jouer la partition qu’il allait lui proposer. Risqué ? Certainement. Suicidaire ? Probablement. Mais elle devait apprendre à contrôler. Hors, si elle étouffait son pouvoir, celui-ci allait finir par la dévorer, littéralement. Il y avait une alternative. Mais serait-elle enclin à en payer le prix ?

« Tu a en parti raison. Si tu t’obstines à la contenir en toi, elle finira par te détruire. Tu dois accepter qu’elle fasse partie de toi. Dieu, le destin, la nature, appelle cela comme tu veux, t’a donné ce don. Maintenant, c’est à toi de savoir si tu souhaites continuer à ce qu’il domine ta vie comme actuellement, en explosant à l’improviste, générant des catastrophes dont les remords te rongent nuit après nuit ou si tu préfères apprendre à vivre en harmonie avec elle en la laissant s’exprimer et te protéger si nécessaire…C’est ainsi que sont les loups : à la fois terribles prédateurs mais aussi compagnons protecteurs pour ceux qui savent les apprivoiser…»

Il lui prit la main, la regardant droit dans les yeux avec une sérénité et une assurance que rien ne semblait pouvoir troubler. Tendrement, il passa sa main le long de la joue de Maeva, avec calme, dans une douceur troublante.

« Ne crains rien…Libère-la. J’aimerais pouvoir la contempler, voir Raksha dans ce qu’elle a de plus beau et de plus terrible à la fois. Fais-moi confiance, elle ne me fera rien. Elle n’est pas la destructrice aveugle que tu sembles croire. Je voudrais que tu puisses le constater par toi-même. Et quand bien même sa colère s’abattrait sur moi, j’ai largement les moyens d’en venir à bout, ne t’inquiète pas. Je ne lui ferais aucun mal pas plus que je ne t’en ai fais… »

 « Ne te méprends pas...Elle ne m'intéresse que parce qu'elle fait parti de toi. Si j'avais voulu m'occuper juste d'elle, je t'aurais laissé dans la merde le soir où je t'ai aidé. A moins que tu sois capable de verser dans l'exorcisme et qu'il s'agisse d'un démon, tu n'as pas vraiment le choix. Maintenant, tu peux décider de faire l'autruche...Mais la colère ne te permettra pas de te défiler face à moi...petite fille »


Elle pensait vraiment qu'il tomberait dans le piège d'un mécanisme de défense aussi grossier et infantile ? Ou alors était-ce sa peur qui prenait le dessus ? Il aurait pu jouer avec cela, la pousser dans ses retranchements pour la forcer à faire sortir cette force tapie dans les ténèbres de son âme. Mais ce n'était pas son style. Pas quand il avait de la bienveillance pour une personne.


 « Tu contrôles le verrou de la cage...C'est déjà un pouvoir en soi. Ne te cherches pas de vaines excuses, tu as plus de maîtrise sur elle que tu ne l'imagines. Le tout étant de l'accepter...Maintenant, si tu ne veux pas, c'est ton choix, je ne te forcerai pas. Mais je risque aussi d'avoir du mal à t'aider autant que je le voudrai. Si tu ne prends pas le risque, si tu ne saisis pas l'occasion quand elle se présente alors comment comptes-tu lutter contre ta « malédiction » ? Après, c'est toi qui ressent les choses. Je ne suis pas à ta place. Mais laisse-moi juste te montrer... »


A ces mots, il se focalisa sur l'un des rochers qui trônait dans le jardin. Il concentra sa volonté, son courage, unifiant son esprit dans cet objectif unique. Sans peine, le gigantesque bloque de pierre s'arracha du sol dans un craquement sourd et s'éleva de plusieurs mètres, dans un flottement aussi surprenant qu’irréel. L'Ombre qui marche le reposa ensuite à terre avec une dextérité qui aurait fait pâlir n'importe quel pilote d'avion. Un atterrissage en douceur, le bloc reprenant parfaitement la place qui était la sienne quelques instants auparavant.


 « J'ai mis du temps à maîtriser ce pouvoir. Je ne compte pas le nombre de personnes que j'ai pu blesser quand j'étais plus jeune car je voulais être une personne « normale ». Du coup, dès que je me retrouvait face à une situation de stress, de colère ou de peur ou même d'une banale contrariété, j'explosais tout sur mon passage. Ce n'est qu'avec le temps que j'ai compris que quoi que je fasse, cela faisait parti de moi. Que je le veuille ou non. Je pense que c'est pareil pour toi. Elle ne s'en ira pas. Elle ne disparaîtra pas d'un coup de baguette magique. Quoi que tu fasses, elle sera toujours en toi. Tu continueras à blesser et à tuer ceux qui te sont chers tant que tu t'obstineras à lutter contre elle. Et tu devras porter le fardeau des remords sur tes épaules. C'est un choix de vie. Pas le meilleur selon moi, mais tu es maîtresse de ton destin. C'est à toi de voir. »

Elle l'avait attrapé par le col. Son geste avait été vif, presque trop rapide pour le Fantôme qui ne l'avait perçu qu'au dernier moment. Cependant, il aurait pu l'éviter s'il l'avait désiré. Il resta impassible. Ce n'était pas de la colère. C'était de la douleur. Il en avait la certitude. Il la laissa donc faire, sans broncher, sans sourciller. Puis, il la fixa d'un air sévère. Elle voulait comparer ? Alors il allait lui donner du grain à moudre. Il saisit le poignet de Maeva d'un geste aussi calme que déterminé. Il exerça une pression suffisante sur la main de la jeune femme pour lui faire lâcher prise et la maintint fermement, sans chercher à lui faire mal.

 « C'est bon, tu as finit ta crise ? Le monstre tu es en train de le créer car tu refuses de penser qu'il fait parti de toi. Nous sommes tous des monstres, petite fille. Tous aux yeux de quelqu'un. J'en suis un aux yeux de chaque purificateur qui marche sur cette Terre, de chaque membre de la mafia qui occupe les bas-fonds de New-York...Je serais peut-être un aux tiens parce que tu ne peux accepter ce que je te dis. Le tout est de choisir quel type de monstre on désire être. Tu crois qu'elle va te dévorer ? Alors mords-la la première. Et ce n'est pas en geignant comme une gamine de cinq ans que tu vas la soumettre... Crois-moi, cela ne fera qu'accroître son emprise sur toi. Car si tu te positionne en victime alors, elle sera sans pitié. Il n'y a pas de place pour les faibles dans ce type de combat. Vae Victis... »

A ces mots, il la relâcha doucement, tranquillement. Puis il la regarda, d'un air calme et compatissant.

 « Je t'en demande sans doute trop pour ce soir...Je suis désolé. Tu peux partir, je ne te retiens pas. Mais si un jour l'envie de te prend de me montrer de quoi tu es capable lorsqu'elle se saisit de toi, n'hésite pas une seule seconde. Je t'aiderais à la dresser. Il est hors de question qu'elle prenne le pas sur la jeune femme combative que je sens en toi. Ce serait un gigantesque gâchi...Vis, deviens forte, combat un autre jour...»

Puis, à ces mots, il tourna les talons et retourna vers les bâtiments. Le temps n'était pas encore venu. Elle-même ignorait ce qui arriverait et quand cela se produirait. Il faudrait être patient. Mais le jour viendrait. C'était inéluctable.