[Ellis Island] Silence... Moteur... Action! [PV Ben Ashfield]

Une vue plongeante sur une étendue d’eau, parsemée de déchets plus ou moins organiques. Les cimes de gratte-ciels de part et d'autres, au loin. Une végétation éparse, sur l’île non loin de là, mêlée à de la poussière, et de nouveaux déchets. Toujours le même décor, alentours, on peut également apercevoir bon nombres de bateaux amarrés à quelque distance de là. Un charme certain s'en dégage, alors que l'immobilité du paysage n'est perturbée que par le ballotement des navires en cette aube brumeuse. Le défilement du paysage se ralentit, puis l'image s'oriente vers l’eau même, alors que l'altitude décroit, pour finalement passer sous la surface de l'eau. Le cheminement reprend, explorant le fond de la baie, croisant quelques espèces aquatiques dont la singularité interpelle le réalisateur.

Gros plan sur un banc de « poissons », mesurant approximativement vingt-cinq centimètres chacun, il doit bien y en avoir quatre ou cinq cents, nageant de conserve. Une forme sombre apparaît alors, en arrière-plan, une silhouette massive se dessine. La nuée se disperse, vraisemblablement effrayée par un de ses prédateurs naturels. Majestueux, imposant, le nouvel arrivant doit bien mesurer quatre mètres de long pour autant d'envergure. Il est ainsi décidé de le nommer nargoth, pour la suite du documentaire.

Le massif ichtyen commence alors à avaler quelques un des retardataires, et semble parti pour faire un festin. Il engouffre au fur et à mesure la globalité du banc, lançant ce qui semble constituer ses membres supérieurs afin de ramener les proies à sa gueule, ne laissant que peu de survivants. Mâchant distinctement, il recrache au fur et à mesure les débris cartilagineux, qui flottent un instant en suspens, avant de finir par couler pour venir reposer sur le fond, déplaçant à l'occasion limon, vase, et algues. Semblant repu, le nargoth reprend sa nage indolente, et il est alors possible d’apercevoir que ce qui avait dans un premier temps été pris pour une queue est en réalité constituée de deux membres inférieurs aux extrémités palmées, laissant supposer l’appartenance de l’individu à l’espèce mutante, sa forme globale ayant une apparence largement humanoïde sur ce plan. Soudain, sa tête se tourne en direction de la caméra, ses yeux semblant luire malgré l’heure précoce d’un éclat que le commentateur interprétera comme carnassier. Le prédateur semble alors foncer vers l'objectif, se rapprochant à vive allure. Fin du reportage.

Et alors qu'émerge à toute vitesse de l'eau un être vert, fusant vers la surface, et poursuivi par une forme massive qui saute hors de l'eau pour tenter de l'attraper, on peut voir sur son visage un sourire satisfait. Doop -car il s'agit évidemment de lui- est content de lui, la scène qu'il a filmée possède une intensité certaine, et en la revisionnant il ne peut que se féliciter d'avoir su capter la splendeur du paysage, la grâce du mouvement de la nuée, la fragilité de ces petites créatures, mais également la prestance et l’appétit insatiable du prédateur. Et la chute, tout bonnement magnifique.

Lévitant rapidement vers l’île non loin, Ellis Island, le muté s'élève ensuite à quelques dizaines de mètres de hauteur afin d’en avoir une vue globale, pour ensuite venir se poser non loin d’une petite cabane en ruine, dissimulée par les arbres, à distance du bâtiment principal. Visitant rapidement la bicoque en bois, qui semble inhabitée depuis un certain temps déjà, il prend rapidement une décision. Sans aucun effort, et sans remords, il la débite en planches, entassant les débris au centre de la clairière, puis régurgite un briquet, qu'il utilise pour mettre le feu au tas. Il recrache également un sac de couchage, et décide de s'y enrouler, posé non loin du feu, alors qu'il commence à jouer d'un vieil harmonica cabossé.

Spoiler:

"Écoute, je te demande pas d'acheter un pavillon en banlieue avec une femme, trois gosses et un chien en option ! Juste d'avoir, quelque part, un endroit où crécher sûr !
- Bah, j'en ai déjà un...
- Sérieux, enfin ?
- Ton canapé.
- ...
- Attends heu... j'dois te laisser.
- Hein ? Nan ça c'est trop facile Ben, tu me fais le coup à chaque fois ! C'est quoi ton excuse cette fois ?
- Y a une grosse patate en train de transformer ma piaule en feu de camps.
- ... Tu me prends vraiment pour un..."

En temps normal, Ben ne raccrochait jamais au nez d'un de ses frères. Au pire les laissait-il parler un peu dans le vide le temps qu'ils se calment avant de reprendre la conversation sur un tout autre sujet, avec un naturel désarmant auquel même un Seth en colère ne résistait jamais. Et son frère laissait couler, la plupart du temps. Aujourd'hui cependant, le newyorkais ne lui en avait même pas laissé le temps. Il faut dire que c'était pour la bonne cause, pour une fois, il ne racontait pas de conneries. Il y avait vraiment une grosse patate en train détruite son 3 étoiles de la soirée ! Immobile à la lisière de la clairière, le téléphone encore à la main, Ben contemplait la scène, peut-être un peu étonné mais pas franchement affolé. Apparemment, on ne l'avait pas encore remarqué. Quelle surprise n'est-ce pas ?

Le mutant avait débarqué sur l'île en début de journée, ignorant qu'au même moment, un caméraman patatoïde débutait son reportage sur les profondeurs de l'embouchure du Hudson. Sa visite n'avait pas de but réel, elle n'était que le fruit d'une impulsion qu'il avait suivi sans se poser de questions, comme toujours. L'instinct de conservation sans doute, se mettre un peu au vert après les évènements de Mutant Town, ou quelque chose dans ce goût là. Il avait joué les touristes toute la journée, s'était promené dans le musée et exploré l'île, faussant rapidement compagnie au groupe pour suivre son propre parcours et chercher les meilleurs angles de vue. Ce reportage là, au contraire des photos qu'il avait prises lors de la descente des purificateurs, ne se vendrait surement pas très bien mais à la fin... qu'est-ce que ça pouvait bien foutre ?

Et puis il était tombé sur cette cabane en ruine et ravi d'avoir enfin trouvé un coin sympa où campait à New-York, avait décidé d'y poser ses miches pour la soirée. Bien lui avait pris cependant de s'en éloigner quelques minutes alors qu'il bavardait avec son frangin, la patate aurait bien été capable de le débiter lui aussi en petits tronçons pour son feu de camps, et peut-être même s'en sans rendre compte ! C'aurait été une triste fin. Le sac sur l'épaule, le jeune homme observait son invité surprise qui s'était installé avec un harmonica. Il était sans doute aussi peu digne d'intérêt aux yeux du nouveau venu que les troncs d'arbre qui les entourait, mais il n'en profita pas pour faire le mariole, trop occupé à essayer de se rappeler où il avait déjà vu le drôle de personnage. L'époque où Doop était une star du petit écran, multiplié en plusieurs milliers d'exemplaires sous forme de tasses ou de peluches, datait un peu. Les souvenirs revinrent assez vite pourtant, tout comme les bons réflexes du métier d'ailleurs et Ben troqua en un tour de main son portable contre son appareil photo duquel il changea l'objectif sans se presser.

"Cheese patate !" Lança-t-il avant que le flash n'illumine un instant la clairière. Il voyait d'ici les gros titres "la descente aux enfers d'un super héros : Doop, SDF d'Ellis Island". Malgré tout, le paparazzi n'avait pas l'air très pressé de faire son boulot et il rejoignit la patate bien installée, s'asseyant à côté pour visionner sur son appareil la photo qu'il venait de prendre.

"Quand j'étais gamin, j'avais des chaussettes avec votre tête dessus." Annonça-t-il comme s'il parlait de la pluie et du beau temps.

[HJ : Hmm... Si y a un souci quelconque, mp ^^ !]

Franchement, il n’aurait pas pu rêver mieux ! Camping à la belle étoile, feu de camps, harmonica, et même une ex-star / super héros du petit écran pour lui tenir compagnie, que demandait le peuple ? L’agacement de Doop ne fut en plus que très passager et Ben n’eut même pas à se départir de son sourire matois pour apaiser le mutant qui retrouva sa bonne humeur avant qu’il ait eu le temps de dire ouf. Tant mieux, malgré ce qu’aurait pu laissé croire son comportement habituel, il ne cherchait pas à se mettre la moitié de la planète à dos. Surtout pas les grosses patates, qu’est-ce qu’il y avait de plus cool au monde qu’un mutant vert type tubercule ? A l’époque, Ben avait été, comme beaucoup de gamins, particulièrement fan de Doop, et l’entendre parler lui rappeler de bons souvenirs d’une période où à part la distraction apportée par la télé, le reste de sa vie n’était pas particulièrement jouasse.

Assis en tailleur, l’appareil photo entre les genoux, le newyorkais écouta un instant la musique avant que son oreille ne se fasse plus distraite. Comme le musicien qui finit par abandonner son harmonica, il était concentré sur l’image qu’il venait de prendre.

"Je vois je vois." Répondit-il à la star, d’un ton léger qui lui donna l’air peu concerné par la question alors qu’en réalité, ses doigts, indépendamment de sa tête apparemment, procédaient déjà aux réglages adéquats. La lumière du feu rendait bien, elle donnait de jolis éclats à la peau couleur mousse de son compagnon et il aurait trouvé dommage de rater une si belle occasion de lui tirer le portrait. Flash proscrit pour cet essai-ci, le clic caractéristique de son appareil se déclencha à plusieurs reprises cette fois, d’autant plus que si les premières photos de cette nouvelle série saisirent le mutant dans des poses relativement normales, les dernières quant à elles eurent droit au spectacle particulièrement peu ragoûtant du régurgitage de caméra. Abaissant son propre matériel pour cesser de regarder les choses par l’intermédiaire de son viseur, le jeune homme se pencha sur la caméra, l’œil brillant et la bouille faussement adorable du gamin prêt à partager un jeu, surtout si ce dernier appartient à quelqu’un d’autre. Pour ça, les deux mutants s’étaient bien trouvés : lorsqu’il s’agissait d’abandonner sa caquette d’adulte sachant se tenir et éviter les caprices de gosse, Ben ne marchait pas, il courrait.

"J’ai rien compris. Avoua-t-il sans se départir de son sourire un peu benêt quand Doop eut enfin fini sa tirade, quoique se contredisant aussitôt en reprenant. J’m’appelle Ben."

Empruntant la caméra des mains de Doop, le jeune homme fit rapidement marche arrière pour re-regarder une partie de la vidéo.

"Nan c’est bien comme ça, on s’en fiche de savoir s’il va sur face-de-bouc après."

Le simili documentaire animalier d’habitude, ce n’était pas trop son truc, mais sur le coup, il était assez séduit par le décalage entre le commentaire du cinéaste, le charabia sous-marin et les images qui défilaient, ce qu’il fit d’ailleurs savoir à son compatriote.

"Tu veux du chocolat ?" Poursuivit-il sans aucun rapport avec la choucroute, sourire lumineux aux lèvres alors qu’il vidait son sac de plusieurs objets hétéroclites (une pince coupante, un livre, un jeu de dé, une écharpe et un bonnet à paillettes) avant de mettre la main sur ce qui l’intéressait, c’est à dire trois barres de chocolat enveloppées dans leur papier d’aluminium. Et une pomme un peu fripée, sans doute abandonnée un peu trop longtemps dans son antre certes pas aussi infini que pouvait l’être Doopland mais passablement bien remplie aussi.

"Baaah, c'est pas grave. Y a des redif' !"

L'enfant qu'avait été Ben n'était jamais vraiment disparu dans les limbes de sa personnalité. Au contraire, il était toujours là en force et les prémisses d'adulte responsable en payaient les frais, se retrouvant le plus souvent étouffés sous une spontanée insouciance. Il traitait donc la mort... de façon fort personnelle. Pourtant, il l'avait croisée plus d'une fois. Celle de son père d'abord. Et plus récemment, on avait fait cramé d’illustres inconnus devant ses yeux. Le résultat photographique était certes assez vendeur, mais ça n'était pas à proprement parler un spectacle réjouissant. Malgré tout, les moments de choc passés, il s’acharnait à considérer la faucheuse comme une parfaite étrangère à sa version de la réalité, sans doute parce que cet état d'esprit rendait les choses plus faciles à vivre. Si je n'y pense pas, ça n'existe pas, point.

D'ailleurs, il avait d'autres choses en tête. Des choses plus intéressantes et plus amusantes. Par exemple, qu'il était en train de partager un chocolat calumet de la paix avec une patate qui, pendant un temps, avait été son héros number one. Déballant une des confiseries restantes, le jeune homme mordit avec gourmandise dedans, abandonnant la pomme ratatinée à son triste sort. Ben avait une alimentation très variée, sautant du coq à l'âne, ou de la barre de chocolat à un dîner gastronomique, en passant par toute la palette de ce qui était vaguement comestible, d'un soir à l'autre. Le mot "lassitude" ou "quotidien" ne faisait pas parti de son vocabulaire.

"Il y a du monde là dedans ?" Interrogea-t-il en mâchouillant, essayant d'estimer, de ce qu'il avait vu des aventures retransmises du mutant, le nombre d'invités permanents à Doopland. Installé comme s'il était chez lui -ce qui était un peu le cas, de son point de vue, puisqu'il avait posé son sac à côté-, presque allongé mais appuyé sur ses coudes pour admirer le feu, le newyorkais renvoya un sourire matois à son compagnon vert :

"Je traque les pommes de terre. Répondit-il en achevant ce qui restait de sa barre en léchant du chocolat sur son pouce. Non en vrai, concéda-t-il finalement, j'ai toujours mon appareil sur moi, je suis photographe. Mais j'étais pas là rapport à ça. Juste... Une envie de se mettre au vert, un peu."

Évidemment, resté sérieux trop longtemps lui aurait fait trop de mal et il se redressa brusquement aux dernières questions, l'air faussement alarmé.

"Chuuut, tu veux pourrir ma couverture ?? C'est pas pour rien que j'ai migré depuis Konoha, c'est pas possible d'être incognito là-bas !"

Monté sur ressort, le garçon était debout trois mètres plus loin avant d'avoir fini sa phrase, singeant une pose de ninja, ou du moins, ce qu'il en imaginait. Son cirque ne dura toutefois pas, il n'était pas capable de rester en place très longtemps et il n'avait pas vraiment le sens du ridicule mais présentement, il s'était figé en pleine attaque karaté pour se retourner avec un sourire calculateur vers Doop :

"Je sais pas... Des posters ? Mais je suis sûr qu'avec un bon titre, j'en tirerai un prix intéressant dans les journaux... La réapparition du héros : Doop, sdf à Ellis Island ! Nan ?"

Malgré le fait qu'il pratique le métier depuis plusieurs années, Ben n'avait semble-t-il pas assimilé tous les principes de base, dont celui, parfaitement raisonnable, qui préconisait d'éviter de discuter des photos volées avec ses victimes. Recommençant à virevolter tel un Jackie Chan plein de bonne volonté mais manquant de technique, le garçon finit par s'arrêter après avoir placé le feu de camps entre Doop et lui. Lassé de jouer à karaté kid, le newyokais s'accroupit, relevant son œil brillant d'illuminé chronique vers la grosse patate musicienne :

"Ça fait longtemps qu'on avait pas entendu parler de toi... T'as fait quoi pendant tout ce temps, à part du reportage sous-marin ?"

Quand on répondait à côté à la moitié des questions qu'on nous posait, la bienséance aurait sans doute voulu qu'on évite soi-même d'essayer d'obtenir des réponses, mais passons.

Doop ne pouvait pas le savoir, mais il venait d’éveiller un monstre tapi tout au fond de son interlocuteur. Un monstre prêt à ouvrir l’œil à la moindre stimulation, la moindre petite étincelle. Un monstre envahissant et qui attirait toute sorte d’ennuis. Un monstre qui s’appelait "curiosité". Et qui, chez Ben, tenait plus de la pathologie qu’autre chose, au grand désespoir de ses frangins adorés. A l’évocation de la possibilité de pouvoir explorer des terres inconnues dont l’absurdité frisait l’extase totale pour lui (bon dieu ! c’était plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur !), son œil droit s’alluma, suivi de près par le gauche, et le jeune homme fixa le patatoïde avec un intérêt plus vif encore, si c’était possible.

"Sérieux, je peux ?"

Oh oui, s’il te plaît, jette moi dans la cage aux lions ! Difficile de savoir s’il se rendait toujours bien compte de la réalité des choses. Mais même sans ce léger détail, la perspective de pouvoir prendre des photos dans le no man's land que représentait Doopland était suffisamment alléchante pour qu'il passe outre les potentiels (voir plus que probables) dangers. En plus il pourrait faire des expériences : sa transparence fonctionnait-elle sur la population mini-Doopienne ? C'était grand, Doopland ? Est-ce qu'il aurait du réseau là-bas ? Tant de questions et si peu de réponses, ça valait bien un petit voyage !

Abandonnant sa position de ninja accroupi prêt à bondir, le newyorkais se rassit, pensif alors qu'il entamait sa dernière barre au chocolat.

"Oh de toute façon, c'est pas moi qui fait les titres ! Répondit-il avec un sourire plein de fossettes. Et franchement, vu les rédac' que ses photos là intéresseraient, je suis pas sûr que la vérité primerait, c'est moins vendeur. Ou à la rigueur, un truc du style... je sais pas "Doop, mis à la porte par sa bombe de copine", ça attirerait déjà plus le public."

Le jeune homme froissa la papier qui entourait feue sa friandise, puis entreprit de mâchouiller l'ongle de son petit doigt à la place alors qu'il écoutait le mutant avec plus d'attention que n'aurait pu le laisser penser son attitude insouciante. Hochant vaguement la tête de temps en temps pour faire signe qu'il était toujours là, il eut un sourire à la mention des agents secrets. Oui, il voulait bien le croire, il suffisait de voir à quel point Elie pouvait être casse-pied alors qu'il n'était encore que flic.

"Ouaip. Ça a dû être cool."

Voyages, détectives... Tout ça sonnait plutôt bien à l'oreille. De quoi s'apporter son petit lot d'imprévisibilité quotidienne. Pendant un temps en tout cas aux dires du mutant vert. Acceptant de bonnes grâces une cigarette -il n'était pas non plus un adepte régulier, tout dépendait de son humeur et de ses lubies du jour-, il se leva pour retourner près de son sac dans lequel il farfouilla un long moment avant d'en tirer un énorme briquet kitschissime.

"T'as vu ? Il est classe hein ??"

Ravi d'avoir enfin l'occasion de profiter de sa trouvaille (qu'il avait récupéré dans les égouts et qui fonctionnait malgré tout), le jeune homme alluma sa clope et en tira une bouffée -sans tousser s'il vous plaît- alors qu'il se rasseyait. La dernière question de Doop l'avait rendu bien silencieux et il mit un certain temps à répondre alors que, malgré l'expressivité habituelle de son visage, seules les ombres des flammes dansantes dessinaient encore des changements sur ses traits.

"C'était... agité. Concéda-t-il finalement, tirant sur sa cigarette puis la tapotant pour en faire tomber les cendres. C'était bruyant aussi. Et chaud. Et enfumé."

Beaucoup d'euphémismes pour un brasier et des hurlements qui avait duré une bonne partie de la nuit. "Horrible" aurait sans doute été un qualificatif plus exact pour décrire ce paroxysme de la haine et ses odeurs de chair brûlée mais c'était toujours pareil, ne pas mettre de mots sur les faits l'aidait un peu à mieux dormir la nuit.

"En fait, j'ai toujours les photos. Tu veux voir ?" De sa main libre, il avait tiré une carte mémoire d'une petite poche de son sac. Pas besoin de farfouiller cette fois, il savait toujours où était son matos. Et le contenu de cette carte lui tournait suffisamment en tête depuis quelques jours pour qu'il ne risque pas de l'oublier.

Ben considéra un instant Doop, la moue boudeuse. "Rester sain d'esprit" ne faisait pas vraiment parti de ses priorités dans la vie, d'autant plus qu'on lui reprochait souvent d'avoir une case en moins. Ce qui était totalement faux. A la rigueur une case en plus. Ou un petit pois qui roulait dans la tête. Mais de toute façon, c'était le reste du monde qui avait un problème, pas lui. D’ailleurs, sa moue déçue disparut vite. Ben ne considérait jamais un "non" comme une réponse définitive et pour arriver à ses fins, il avait plus tendance à louvoyer qu’à attaquer les résistances de front. S’il n’y allait pas tout de suite, ça serait pour plus tard et attendant, il adopta un sourire matois, haussant les épaules d’un air faussement résigné alors qu’il préférait changer de sujet pour noyer le poisson.

"Ouais... Et s’il peut y avoir un bout de fesse quelque part sur la photo, c’est encore mieux ! Heureusement, je suis bon là dedans."

Et il était fier de lui, le bougre. Gare aux miches de la belle brune de Doop, le lieu de villégiature actuelle de la patate n'était pas tombé dans l’oreille d'un sourd.

Un instant, le newyorkais joua avec son énorme briquet, s'amusant à déclencher l'énorme flamme qui en jaillissait à chaque fois, mais le jeu de Doop avait l'air encore plus marrant et il se pencha vers lui, la cigarette au bec.

"Carrément super cool oui !" Répondit-il à la grosse patate avec enthousiasme, bon public. Évidemment, il fallait qu'il tripote la bestiole et vif comme un chat, le jeune homme chipa à son compagnon le petit lapin pour le prendre dans une main et l'observer. Malgré leur changement de sujets vers des rivages largement moins amusants, il garda le Nabaztag entre les doigts, jouant machinalement avec comme s'il s'était agi d'un nouveau doudou. Ben avait de nombreux objets fétiches de ce genre, mais il les oubliait en général aussi vite qu'il les avait adopté. Coinçant la cigarette entre ses lèvres, il récupéra son appareil photo pour changer la carte mémoire, puis le déposa entre les mains de Doop.

"Il y a une vidéo aussi. Précisa-t-il. Rien à voir avec ce que tu fais toi, mais il m'a semblé qu'il fallait aussi garder une trace de ce que j'entendais."

Les photos étaient nombreuses. Très nombreuses. Trop nombreuses. Des flammes, des hommes armées, des victimes implorantes, des résistances, des débris, des corps... Cette nuit là, Ben s'était donné pour mission d'immortaliser tout ce qu'il voyait, pour que personne ne puisse ensuite minimiser les évènements. A défaut de pouvoir aider ses compagnons mutants de façon plus efficace. A part une fille qu'il avait réussi à sortir des flammes. Un dommage collatéral que les purificateurs n'avaient pas surveillé, ce qui lui avait permis à lui de la tirer du brasier. Pas franchement héroïque comme sauvetage d'ailleurs, et il avait failli y laisser quelques plumes, ce qui l'avait calmé pour le reste de la nuit. La vidéo quant à elle durait quelques minutes et montrait sensiblement la même chose que ce qu'il avait figé dans le temps, sauf qu'évidemment, mouvements et sons renforçaient cette impression d'apocalypse généralisée.

"Déchiquetés dans d'atroces souffrances hein ? Ceux-là, en ce qui me concerne, j'ai pas d'objections à ce que tu les y envoies. C'est con que les capuches cachent presque toujours leurs visages."

Scrutant l'écran à côté de Doop, Ben avait plissé les yeux pour mieux voir, tirant négligemment sur sa cigarette d'une main et jouant avec un mini-lapin en plastique qui ne lui appartenait pas de l'autre.

"D'un autre côté, ça serait injuste que eux ils aient le droit et pas moi !" Reprit-il finalement. Le retour du sourire imbécile. Rester sérieux plus de deux minutes avaient l'air décidément trop compliqué pour certains.

Cette patate était plus maline qu'elle en avait l'air. Et même s'il faisait mine de ne pas avoir entendu, l'ignorer ne changerait sans doute pas la donne. A moins d'un miracle, Ben ne pourrait pas garder ce lapin dont la nouveauté faisait tout l'attrait aux yeux du dernier né des Ashfield.

"T'es pas très partageur hein !" Regretta-t-il en secouant la tête, sans pour autant lâcher le lapin. Un nouvel objectif pour la soirée : réussir à conserver le Nabaztag. Et en dernier recours... s'en faire offrir un. Mais le challenge était moins intéressant.

Le silence s’installa. Un long moment. Doop regardait les photos, et Ben regardait Doop. Ses photographies, il les connaissait déjà. Il les avait visionnées plusieurs fois. Mais le mutant à côté de lui avait un visage plus qu’expressif et devenu brusquement apathique, le newyorkais l’observait comme s’il s’était agi d’un miroir de ses propres émotions. Quand le spectacle devenait particulièrement horrible, ou une situation trop difficile, le photographe, d’ordinaire particulièrement expansif, avait plutôt tendance à se retrancher et à laisser les autres se charger de la communication, quelle qu’elle soit. Ce qui était bien avec Doop, son visage élastique et sa morale très personnelle, c’est qu’il ne faisait pas les choses à moitié.

"J’aimerai bien voir ça. Répondit finalement le jeune homme, visiblement très porté sur l’éthique lui aussi. Le jour où tu les choppes, préviens moi."

Il n'avait jamais montré un goût particulier pour la violence mais pour le coup, il avait l'impression que de voir en direct la punition infligée par la patate à ses monstres l'aiderait à se sentir mieux. La théorie de la vengeance, ça s'expérimentait avant de se rendre compte que ça n'était pas très efficace.

De nouveau le silence. Moins long, le temps que les deux compères récupèrent un peu, les yeux fixés sur le feu. Le sourire revenu aux lèvres du mutant était plus fragile mais regagna en densité et en lumière au fur et à mesure de la démonstration de Doop.

"C'est justement parce qu'on sait pas ce qu'on y trouverait que ça donne envie !"

Les yeux écarquillés, le garçon suivit la trajectoire du serpent des yeux. Tombera, tombera pas ? Dans le feu, bien entendu. Mais l'animal était apparemment chanceux, après avoir échappé à l'armée de mini-Doop, voilà qu'il évitait les flammes de quelques centimètres. Affolé par cette chaleur soudaine, la bête fila entre les pieds du garçon qui les releva précipitamment, la laissant disparaître dans les ténèbres.

"Un peu plus à gauche et on aurait pu manger du serpent grillé."

Purée, c'est vrai qu'il devait y avoir tout un écosystème là-dedans ! Où est-ce qu'elle était partie, la bestiole ? Il scruta les buissons, en vain. C'était le genre de truc qu'on pouvait trouvé dans leur dimension tous les jours ou de l'inédit ? Peut-être que ça crachait le feu ! Peut-être que ça roulait pour attaquer ! Peut-être que ça parlait ! Peut-être que ça allait se faire pousser des ailes, ou des doigts, pour pouvoir les claquer ! Et l'autre patate qui osait réserver le voyage aux moches et méchants...

Le photographe s'y voyait parfaitement, coiffé d'un chapeau à la Indiana Jones et explorant des territoires inconnus, sans peur et sans reproche. A la rigueur, il emmènerait les frangins, un pour ouvrir la marche, l'autre pour couvrir ses arrières, et roule ma poule ! L'exploitation fraternelle, c'est encore ce qu'il y avait de plus efficace. Évidemment, Doop s'empressa de casser ses beaux rêves et Ben, qui contemplait jusqu'alors le ciel d'un air rêveur, se retourna vers lui en boudant :

"T'avances pas trop, y a plein de gens qui pensaient m'avoir étiqueté à vie et qui m'ont oublié dès le lendemain ! Quelle étiquette d'abord ?"