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 Le jour des prémices (Yitzhak Anavim)

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Axel Rosenblum
Élève à l'Institut Beta
Axel Rosenblum


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MessageSujet: Le jour des prémices (Yitzhak Anavim)   Le jour des prémices (Yitzhak Anavim) Icon_minitimeLun 16 Juin - 8:55

Le calendrier hébraïque ressemblait au calendrier grégorien : ressemblait seulement, ce qui rendait ses différences et ses décalages vis-à-vis de ce dernier d'autant plus obscur. Là où le second était solaire, le calendrier du peuple d'Israël était aussi bien fonction de la lune que de l'astre du jour. Il disposait ainsi d'un mois supplémentaire tous les deux… ou trois ans, selon un cycle qui devait durer lui-même dix-neuf ans. La durée des mois pouvant varier, chacune des années était ainsi susceptible de comporter trois cent cinquante-trois, trois cent cinquante-quatre ou trois cent cinquante-cinq jours (si elle possédait douze mois) et trois cent quatre-vingt-trois, trois cent quatre-vingt-quatre ou trois cent quatre-vingt-cinq jours (si elle possédait treize mois, dans lequel cas on l'appelait alors « année embolismique »). Bien évidemment, des exceptions devaient parfois être respectées pour ajuster entre eux les repères lunaires et solaires. Une telle complexité était en partie exposée dans le bien nommé « Livre des jubilés ».

Pour les juifs en diaspora, vivant au rythme de leur pays d’accueil, il était peu commun de savoir, sans référence, quel jour l'on était, selon le calendrier hébraïque. Pourtant, ce jour-là à la synagogue de Jamesburg – une petite ville quelque part entre New York et Philadelphie – personne ne l'ignorait, et cela ne devait rien au hasard. Ce mercredi cinq juin, cette année-là, correspondait au sept du mois printanier de Sivan ;  le sept du mois de Sivan correspondait à la date de Chavouot.

L'observation de cette fête des moissons était aisée. Les préparations avaient été faites par les volontaires. La synagogue avait été ainsi décorée de guirlandes, de couronnes et de bouquets de fleurs, essentiellement des roses, symbole de joie, mais également des lys, qui rappelaient la terre sainte. Tous ces pétales pâles donnaient à la maison de D… une allure splendide. Le bâtiment, même s'il avait été nu et quoique petit, était d'abord très beau : dans un style byzantin, avec ses arcs outre-passés et ses fenêtres hautes inscrites de l'étoile à six branches. Il paraissait avoir des siècles et malgré sa modestie, semblait tout droit sorti d'une époque antique et faste. En vérité, grès rose et marbre blanc n'avaient pas été mis ensemble depuis plus d'une trentaine d'années. La construction récente avait été financée grâces aux dons généreux de divers israélites, d'ailleurs présents.

Les convives étaient en effet triés sur le volet et à l'exception de quelques fidèles locaux, s'étant trouvés presque là par hasard, la fête était privée. Habillés de couleurs claires, essentiellement du blanc, car telle était la tradition, on pouvait ainsi croiser l'élite de la communauté juive de New York et de tout le New Jersey réunis. Des directeurs de presse, des producteurs, des financiers, des plumes bien connues, des hommes d'affaires, des grands patrons et même quelques scientifiques célèbres s'apprêtaient ainsi à festoyer avec leur famille.

Chavouot se devait d'être un moment de joie… et il n'y avait de plus grande joie selon la Mishna que de se rendre à la synagogue pour prier. Respectant ce commandement, la tête couverte, tout ce monde était entré dans le lieu des rassemblements des fidèles. L'intérieur de la synagogue dégageait la même impression d’ancienneté tranquille. Il était cependant manifeste que tout était très neuf, des six chandeliers dorés qui pendaient des plafonds gris et blanc aux nombreuses chaises en bois sombre, toutes occupées.

D'abord un Cohen, puis d'autres hommes, tour à tour, montaient sur l'estrade de la bimah et lisaient à haute voix des passages choisis, parfois abrégés, de la Torah. Puis le rabbin en personne vint se saisir d'un lourd rouleau qui reposait jusqu'alors sur une table consacrée nommée choulhan. C'était un homme plutôt petit mais assez jeune, portant un châle de prière blanc, rayé de bandes noires, par-dessus une chemise tout aussi immaculée. Sa kippa était blanche, elle aussi. La seule touche de couleur était apportée par ses lunettes rectangulaires et minces, aux branches rouge sombre, qui lui donnaient un air d'intellectuel tendance… ce qu'il était d'ailleurs dans une certaine mesure. Même le sage était en effet une personnalité médiatique, invité de choix, connue pour débattre des questions concernant Israël ou l'antisémitisme.

Habitué à la manipulation du papier précieux, le Rav ne mit que quelques secondes à trouver ce qui était le cœur même de la cérémonie : la récitation des dix commandements. Car en sus, Chavouot commémorait également le don de D… à Moïse des tablettes de loi au sommet du mont Sinaï. C'était le moment le plus important, et l'assemblée, les moins attentifs sous l'impulsion des plus assidus, se levait alors.

« Je suis l'Eternel, qui t'ai fait sortir du pays d’Égypte, d'une maison d'esclaves. Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi. Tu ne feras pas d'idole, ni toute image de ce qui est haut dans le ciel, ou en bas sur la Terre, ou dans les eaux au-dessous de la terre... »

Axel n'avait jamais vraiment goûté aux récitations… ni aux cérémonies religieuses en général. Ce n'était pas exactement qu'il manquait de spiritualité, ou même qu'elles ne l'intéressaient pas… c'était simplement que tout le reste l'intéressait encore davantage. Cette impression était encore plus manifeste un jour comme celui-ci : il y avait tant de gens à qui parler, tant de personnes importantes qui détenaient des savoirs inestimables. La spiritualité et le recueillement, il lui semblait plus approprié de les avoir lorsqu'on avait manifestement rien de mieux à faire. Il se consolait en se disant que, à peine sorti, il aurait probablement des heures de conversations fascinantes avec tous ces individus.

« Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que l’Éternel t’accordera. »

En plus des rencontres à faire, s'il était ici, c'était également pour faire plaisir à sa famille. Sa mère, bien sûr, n'était pas présente… mais son père, avec toutes les contractions d'un homme libre de son temps, tenait toujours à ce que son fils assiste aux liturgies lors des fêtes. De son propre aveu, il ne lui demandait pas de croire, mais voulait par là s'assurer qu'il jouisse de la vie intérieure la plus riche possible. L'héritage, le sentiment de savoir d'où l'on venait, était aussi une motivation importante. La coutume était bien respectée dans son entourage : l'un de ses demi-frères, trente-neuf ans, était un rang derrière avec sa compagne et ses deux enfants, et son frère cadet à sa droite. Son père, pour sa part, était à sa gauche.

« Tu ne commettras pas d'adultère. »

Ce commandement manqua de le faire sourire. Lorsqu'on connaissait Simon Rosenblum et la réputation – méritée – de coureur de jupons qu'il avait, il ne pouvait en être autrement. Quant à Axel, après avoir retrouvé à seize ans, et d'une manière inespérée, des perspectives dans ce domaine, sa mutation avait d'abord rendu la chose plus délicate à assumer. Aujourd'hui encore il était femme… toutefois, il ne se montrait pas véritablement sous son vrai jour. C'était quelque chose d'exceptionnel, qu'il avait encore une fois fait pour son père.

Une kippa blanche sur la tête, comme tout le monde ou presque (l'unique différence constatée étant la couleur), il portait donc des habits d'homme, un costume complet blanc et une chemise blanche. Ils étaient enfilés par-dessus une tunique spéciale, qu'Axel avait acheté peu après que sa mutation se soit déclarée, et qui lui avait longtemps servi. Le vêtement en synthétique, très fin, possédait de nombreux élastiques qui se réunissaient en formant une croix dans le dos et se réglaient grâce à un jeu de velcros… le tout dans l'unique but de cacher le peu de poitrine qu'il avait.

C'est qu'il y avait là des personnes qui le connaissaient depuis son enfance, et qui l'avaient toujours rencontré en tant que garçon. Il ne fallait pas les choquer… il était même nécessaire de les ménager. Pas que les phénomènes qui se produisaient dans son corps soient un secret : il avait tout de même écrit un livre leur étant en partie consacré. Toutefois, la pilule passait bien mieux aux yeux de certains si, justement, elle était écartée de leur regard. Ils pouvaient ainsi faire semblant de l'ignorer et s'adresser à Axel comme ils l'avaient toujours fait. Le jeune mutant n'en demandait pas davantage et était prêt par cette concession à acheter la paix.

« Ne rends point contre ton prochain un faux témoignage. »

Il avait un peu appréhendé, d'abord, la réaction des communautés religieuses à son égard. Il avait eu tort sans doute : si les dents grinçaient parfois, on se gardait bien de toute remarque ouverte à son encontre. Il y avait bien quelques bruits, mais la vaste majorité des convives étaient éduqués et progressistes… et même ceux qui ne l'étaient pas reconnaissaient, pour la plupart, que l'absence de mutation n'avait rien à voir dans l'appartenance ou non à la communauté juive.

La récitation se termina sur le dixième commandement, qui traitait de la convoitise. L'assemblée s'assit de nouveau, et le rabbin rangea le rouleau. La cérémonie ne devait pas tarder à se terminer, même si la lecture de quelques passages du livre de Ruth paraissait encore obligatoire. Ensuite seulement, la fête pourrait commencer, et pourrait durer jusqu'aux dernières heures de la nuit, alors que les plus pieux passeront une soirée d'études, et que les autres seront en train de profiter autrement des bontés de l'Eternel.
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Yitzhak Anavim
Confrériste Delta
Yitzhak Anavim


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MessageSujet: Re: Le jour des prémices (Yitzhak Anavim)   Le jour des prémices (Yitzhak Anavim) Icon_minitimeVen 20 Juin - 22:01

A me voir à moitié endormi sur mon siège, on aurait peine à croire que je suis venu de ma propre volonté et non trainé par une famille désespérément croyante. J’aime bien l’ambiance de la syna, ce côté recueillement forcé, où la moitié des gens s’ennuient avant la grande fête. C’est une sorte d’épreuve même si, selon les textes, la prière est censée nous faire connaître l’épiphanie. Je suppose que ça fonctionne quand on est assez illuminé pour sentir des caresses divines sans invoquer la sainte drogue. Pendant une très courte période, j’avais essayé de me convaincre que j’en étais capable. J’avais l’envie sincère d’être totalement intégré à cette communauté, de cœur comme d’esprit. Mais ma spiritualité se tient plus bas que terre. Il me semble qu’en cherchant à l’élever, je n’ai fait que l’enfoncer. J’ai manqué ma carrière de fanatique juif bien confortablement assis sur ses certitudes, qu’importe, ça ne m’a pas empêché de faire croire à une foi sans mesure pour être reconnu par Israël. La croyance n’est qu’un aspect parmi d’autres, la plupart des gens présents ici le savent. Il existe une chose bien plus précieuse, faire corps avec une culture, une famille, gagner un sentiment d’appartenance profond, capable d’abolir toutes les frontières. Nous étions les héritiers d’une grande histoire, de millénaires de savoirs, de traditions mieux préservées qu’aucunes autres, disait-on souvent pour éprouver avec un plaisir vaniteux notre fierté d’être nés au milieu du peuple élu. J’aimais cette idée. Elle avait piqué mon orgueil dès l’enfance, au point de rendre insupportable mon statut de « non-pur ». Mes parents, athéistes convaincus, n’ont jamais compris mon obsession, ils ont souvent accusé mon grand-père d’avoir tout fait pour me recruter, au lieu d’ouvrir les yeux sur une bête évidence : Papy Levi m’a fait découvrir un monde incroyable pendant qu’ils travaillaient et s’appliquaient à ne s’intéresser qu’à leurs petites affaires. Avec l’un, j’allais explorer toutes les villes antiques du bassin méditerranéen, avec les autres, les vacances rimaient avec ennui sur la terrasse d’un hôtel luxueux de Floride. Rien d’étonnant à ce que je me sois senti petit-fils de mon grand-père avant d’être l’enfant de mon père.

Quand une partie de ma vie a basculé dans un gouffre que je n’ai jamais vraiment pu remonter, c’est le judaïsme qui m’a aidé à survivre. C’est une chose assez difficile à expliquer pour les gens qui n’ont jamais eu d’attachement inné à une communauté, mais, quand on ne croit plus en rien ni en personne, se souvenir que pour une famille étendue votre existence signifie quelque chose peut être salvateur. J’ai émergé en m’accrochant fermement à cette idée. Même si ça c’est mal terminé, à cause de mon enrôlement dans Tsahal et de mon impossibilité totale de retourner en Israël sans me faire kidnapper ou tuer, je n’oublierais pas tout le réconfort que mon implication dans cette culture m’a apporté. Aujourd’hui, je me demande si cette comédie m’aidera encore. Bof… Le simple fait d’employer le mot « comédie » annonce déjà je contraire je crois. Je m’accroche à une illusion qui n’est plus. Trop d’événements sont arrivés depuis. Les crises existentielles terminées, je me laisse à moitié dériver vers je ne sais trop quoi, je continue de me trouver des objectifs dangereux, je me concentre sur des choses concrètes, je vois les gens comme des moyens ou des dangers, sans me demander s’ils ont autre chose à m’apporter. Mais il me reste encore mon grand-père. Et, pour lui, de temps en temps, je reviens vers mes origines, je me rappelle les bons souvenirs, j’arrive à voir un avenir loin de toutes la violence qui guide mon quotidien. Mon grand-père, cette cérémonie, me rappellent que je suis humain. Constat étrange, je sais. Il me choque, me serre le cœur, m’empêche de me concentrer sur les lectures qui s’enchaînent depuis une heure. En acceptant de participer à Chavouot, je savais à quoi me préparer. On a beau ne pas croire à tout ça, la solennité des lieux invite à la méditation. Ça soulève des choses, les spectres de sentiments perdus. Et alors, on aperçoit ce qui n’est plus, tout ce qui s’étend derrière nous, tout ce qu’on a lamentablement raté.

Je sais, l’ordre du jour est d’être heureux. Dans l’immédiat, je suis plongé dans un entre deux bizarre, on pourrait parler de mélancolie je pense, même si ça sonne un peu ridicule. Je me sens étourdi, un peu coupable même, et j’ai l’impression que ça me fait du bien. Peut-être pour ça que les pires connards entretiennent leur spiritualité, on peut faire son mea culpa devant une force supérieure et retourner se salir les mains avec le sentiment d’être purifié. A dire vrai, j’ai du mal à interpréter toutes ces contradictions. C’est pas du domaine de la raison, ça m’échappe, un peu comme mon tempérament qui se déchire en permanence entre la logique et la passion. Dans le fond, je suis quand même soulagé quand la cérémonie touche à sa fin, parce qu’on dirait que j’ai vraiment trop réfléchi, plus que d’habitude, et ce n’est pas franchement agréable. Certains se lèvent comme des ressors, souvent ceux dont les jambes commençaient à avoir sérieusement la tremblote, d’autres restent dans le recueillement. Mon grand-père prend son temps. J’imagine qu’il va attendre que la syna se vide pour s’entretenir avec le rabbin, c’est un bon ami à lui, ils ont déjà fait pas mal de travaux d’études ensemble. En attendant, je n’ai aucune honte à me comporter comme si j’avais douze ans et me serrer contre le vieil homme. Il passe de suite un bras autour de mes épaules et me murmure en hébreu :

- Je suis content que tu sois venu Zack.

- Ça me fait plaisir d’être là aussi.


A côté, ma grand-mère ne dit rien, mais elle sourit aussi. Les mots échangés sont très simples, et en même temps lourds de sens. Mon père est le grand absent de cette charmante réunion familiale. Par un système de transfert un peu tordu, j’ai pris sa place, en quelque sorte, j’ai honoré l’enseignement de papy Levi à la place de mon géniteur et il m’a souvent semblé qu’il était en trop entre nous deux, un intrus glissé dans l’arbre généalogique. J’ai, pour mes parents, des sentiments proches du néant. D’ailleurs, je ne les vois presque plus, sauf quand j’ai besoin d’argent. Ces derniers temps, je suis aussi resté très distant avec mes grands-parents séfarades. Je me suis coupé du monde pendant des mois, sans raison. J’ai dû passer à leur maison une fois depuis Hanoucca, et j’ai complètement ignoré Pessah. Ça leur a fait beaucoup de mal. Ils ont dû craindre que je les abandonnais, moi aussi. Alors j’essaye de me rattraper, parce que je leur dois beaucoup, et que mon père ne fera pas cet effort à ma place.

- Tu restes avec nous pour le repas ?
demanda ma grand-mère en se levant. Elle est restée élégante, encore assez mince dans sa robe blanche, malgré ses soixante-dix ans.
- Bien sûr ! Je vous avais dit que je restais tout le shabbat, je n’ai pas changé d’avis en une heure.
- Tu as peut-être tort, la plupart des gens ici sont de sinistres pédants
, plaisante mon grand-père.

Mais son sourire dément le sarcasme. Me voir partir l’aurait beaucoup déçu. Et il est intelligent, il sait que quelque chose tourne de moins en moins rond chez moi. Peut-être même qu’il se prépare à ce que je disparaisse du jour au lendemain dans des conditions tragiques. Pourtant, il reste discret, je lui ai déjà bien fait comprendre que personne d’autre que moi ne pouvait lancer le sujet de « mes problèmes ».

- Excuse-nous un instant, dit-il en me désignant le rabbin.

J’opine, pas vraiment envie de me mêler à la conversation qui va suivre. A la place, je fais un peu plus attention au peuple qui se dirige en petits groupes vers la sortie. Ils ont tous sorti leurs plus beaux vêtements immaculés. Je suis presque le seul à porter un jean bleu pâle (pas tout à fait blanc, mais presque !). Certains visages me sont familiers, surtout ceux des jeunes adultes et adolescents avec lesquels je finissais les banquets à quatre pattes sous les tables. C’est loin tout ça. Maintenant, quand on se croise, on se sourit vaguement ou on s’ignore. Je suis devenu trop distant depuis mes treize ans, ils ne savent plus comment m’aborder, et je ne vois pas l’intérêt de revenir vers eux. Exception faite pour un. Je ne peux pas dire qu’il m’ait laissé un souvenir marquant pendant les quelques soirées où nous avons chahuté ensemble gamins, à faire je ne sais quoi avec d’autres gosses surexcités par la fatigue et l’agitation des adultes, mais j’ai eu l’occasion de m’intéresser à lui il y a quelques mois, à cause de son livre, un acte militant plutôt courageux où il a jeté en pâture sa mutation à la société. Et, le moins qu’on puisse dire, c’est que son gêne x est du genre à faire débat. Le fait de ne pas pouvoir mettre des gens dans des cases, surtout celles qui concernent la sexualité, a tendance à perturber beaucoup, et j’en sais quelque chose. A mon échelle, j’ai aussi eu droit à mon lot de regards consternés à cause de mes attitudes censément contradictoires. Mais la plupart du temps, je ne suis pas contrariant. Je joue le numéro du gay marrant, et les simples mortels sont contents. Enfin… Je suis très heureux de croiser Axel Rosenblum, une personne avec laquelle j’ai potentiellement des choses intéressantes à dire, ici. Je profite de la confusion des départs pour l’aborder avant les autres.

- Hello Axel. Yitzhak, tu te souviens de moi ? – Introduction banale, certes. Il faut bien commencer par quelque chose. – Bon, en fait, ce serait mieux pour toi que tu ne t’en souviennes pas, je pense que si je rencontrais le « moi gamin » aujourd’hui, je me ficherais des baffes. Mais si je te dis que j’ai apprécié ton livre, tu me pardonneras de l’avoir téléchargé illégalement ?

Non, je n’ai jamais été doué pour aborder les gens de manière correcte et polie, c’est ennuyeux, j’aime imposer un style tout de suite. Donc je lui sers un grand sourire de connivence. Mes yeux passent, un instant, du noir au rouge pour lui faire passer plus clairement le message. Pas la peine d’attirer l’attention sur ma mutation au milieu de la foule. Seuls mes grands-parents sont au courant, j’aimerais éviter de créer le désordre ce soir, pour changer.


Dernière édition par Yitzhak Anavim le Ven 27 Juin - 19:25, édité 1 fois
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Axel Rosenblum
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MessageSujet: Re: Le jour des prémices (Yitzhak Anavim)   Le jour des prémices (Yitzhak Anavim) Icon_minitimeMar 24 Juin - 15:51

Le plus dur, à mesure que la fin de la cérémonie approchait, était encore de ne pas trépigner ; taper du pied nerveusement était de plus en plus tentant. Les minutes s'écoulaient, et bien que chacune réduise encore la durée d'attente, assise, elles paraissaient toutes plus longues les unes que les autres. Le temps s'allongeait, pour Axel, qui ne goûtait pas vraiment à l'inaction. Les dernières récitations, celles du livre de Ruth, étaient de plus à ses yeux d'une insipidité certaine. Il était question de paysans glanant et d'une belle-mère jouant une prophétique entremetteuse, aux dépens de feu son propre fils. Le récit entier était enroulé dans des valeurs traditionnelles, louables mais ennuyeuses à conter dans la prose ancestrale, même bien traduite.

Une fois la lecture de ce fragment de l’œuvre de Samvel achevée, ce fut enfin la libération ; le moment pour Axel de se choisir un interlocuteur. Elle savait qu'il fallait faire vite, ne pas hésiter à se lancer, sous peine de se retrouver seul assez vite, les autres ayant tous débutés des conversations sans lui. Son regard parcourut la salle, à la recherche d'un interlocuteur. Elle repéra un journaliste qui avait écrit un excellent article dans le Smithsonian à propos de la conservation des espèces marines dans l'océan indien. La mutante l'avait lu et l'avait beaucoup aimé, en grande partie grâce aux magnifiques photographies qui appuyaient le propos. C'était un homme âgé de la cinquantaine, une barbe grise et des cheveux encore un peu longs, à mi-chemin entre l'aventurier et le baba cool.

Axel s'apprêtait à franchir la dizaine de mètres qui les séparaient pour l'aborder, lorsque du coin de l’œil, elle aperçut une autre personne se diriger vers lui. Ses plans changèrent alors. Radieuse, elle rendit aussitôt son sourire à son nouvel interlocuteur, tout en commençant déjà à l'évaluer du regard. Sa réponse fusa sans qu'elle prenne vraiment le temps d'y réfléchir. Les éléments inscrits dans sa mémoire concernant le jeune homme étaient rares, mais encore assez vifs. Elle commenta joyeusement :

« Salut. Bien sûr, je me souviens ! Tu étais ce garçon turbulent… enfin, au moins au début… »

En mettant les choses à plat, elle se rendit compte que la plupart des souvenirs qu'elle avait d'Yitzhak (à commencer par son prénom) étaient tous inscrits avant l'adolescence de ce dernier. De cette époque, elle avait en effet en mémoire un enfant à la vivacité d'esprit certaine, quoiqu'assez dissipé, ce qui ne faisait d'ailleurs qu'ajouter à son charme. Puis, c'était un peu comme s'il s'était évaporé. Elle se rappelait tout juste sa présence lors de certaines cérémonies, et chez lui une absence d'envie de communiquer, voire une fermeture, qui l'avait à ses yeux fait disparaître presque aussi bien que s'il n'avait pas été là du tout.

La remarque concernant le mode d'acquisition de son livre la fit rire. Faire de l'argent avec son ouvrage était loin de ses préoccupations. Elle aurait même aimé le diffuser plus librement, mais il fallait quand même couvrir les frais engagés pour l'édition et le marketing. Elle songea à tous les auteurs qui auraient vendu leur mère pour être lus par quelques personnes seulement et sans rien toucher au bout du compte. Axel se sentit privilégiée ; elle était même certaine de l'être.

« Ah ah, non ! C'est un grand honneur d'être partagée par des dizaines de personnes sur The Pirate Bay. Ça me fait plaisir que tu l'ai aimé… et si tu oses m'approcher à moins de cinquante mètres, c'est déjà qu'il ne t'as pas trop effrayé, c'est une bonne nouvelle ! »

Elle le détaillait assez discrètement, et ce qu'elle voyait était loin de lui déplaire. Il n'y avait rien dans ce garçon au regard ambitieux de l'adolescent ombrageux dont elle s'était faite à l'image. C'était plutôt avec ses origines d'enfant impétueux qu'il paraissait avoir renoué. Quel âge pouvait-il donc avoir ? Un peu plus jeune que lui, croyait-elle se rappeler : peut-être deux ou trois ans de moins. La croissance d'Axel ayant été perturbée, la différence n'avait jamais été vraiment manifeste, et ne l'était toujours pas vraiment. Fouillant dans ses souvenirs, il lui semblait qu'il lui avait dit à une occasion avoir sauté quelques classes. Loin d'être à plaindre à un niveau intellectuel, elle se souvenait quand même avoir envié cette excellence.

Une chose était sûre : maintenant qu'il l'avait abordée, la jeune femme n'allait pas le lâcher facilement. Au palmarès des choses agréables chez-lui, il n'y avait pas que son regard et son intellect. Chacun des traits de son visage était au moins aussi attirant que ces derniers. La fin justifiant les moyens, elle ne jugeait pas malhonnête de profiter un peu de sa situation pour se rapprocher de lui…

« Si tu veux, je dois avoir un exemplaire dans ma voiture, je pourrais te le dédic... »

Elle pencha la tête sur le côté en voyant passer la lueur rouge dans les yeux de son interlocuteur. Puis la surprise passée, Axel s'ouvrit de plus belle.

« Oh, David serait enchanté de savoir ça ! »

L'intérêt qu'elle entretenait à présent pour le garçon était monté en flèche. Elle ne s'était pas attendu à rencontrer un mutant ici, dans une synagogue réservée à un milieu très fermé. David Haller, le rabbin de l'institut Xavier, était à la tête d'une petite communauté de fidèles mutants, mais ils étaient suffisamment rares pour que chaque nouveau membre potentiel soit remarquable. Le lieu, toutefois, n'était peut-être pas assez discret pour parler librement. Lorsque tous seraient partis, paradoxalement, ils seraient également trop exposés.

« Ça te dit que j'aille te dédicacer ça, alors ? » se servit-elle de prétexte pour l'inviter à s'éloigner.

Le parking se trouvait au sud de la synagogue ; longeant un immense espace vert (d'ailleurs agrémenté d'un zoo) nommé Thompson Park. La salle des fêtes et les banquets en plein air, eux, étaient situés au nord-ouest. C'était la direction qu'empruntaient la plupart des convives.

« Alors c'est une mutation de rendre ses yeux rouges ? Je ne l'aurais jamais cru » fit-elle à mi-voix, sur le ton de la plaisanterie.
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Yitzhak Anavim
Confrériste Delta
Yitzhak Anavim


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MessageSujet: Re: Le jour des prémices (Yitzhak Anavim)   Le jour des prémices (Yitzhak Anavim) Icon_minitimeVen 27 Juin - 21:43

Non seulement il se souvient de moi, mais en plus il a l’air d’avoir gardé des images assez précises pour sous-entendre que, même à l’époque, il avait remarqué mon changement. J’ai beau me donner un style désinvolte, je me sens toujours un peu bizarre quand des gens me rappellent comment j’ai sauté d’une personnalité à l’autre en quelques mois. Et si j’avais gardé mon insouciance plus longtemps, ma vie aurait-elle connu d’autres tournants ? Je me pause souvent la question. Ça ne sert à rien, mais je me demande… Au début, les choix étaient vastes. J’ai pris le mauvais chemin. Alors, pourquoi pas un autre après tout ? Ceci dit, j’évite de provoquer un malaise. Je lui retourne son sourire. C’est fou comme il a l’air sympa. Il… ou elle d’ailleurs… Je ne suis pas certain d’avoir très bien compris ce qu’il voulait dire dans son livre et, là, je dirais que sa voix sonne assez féminine pour qu’une personne non informée lui serve automatiquement du « mademoiselle ». D’expérience, j’ai pu constater que les gens étaient capables d’écrire beaucoup de conneries sur leur identité sexuelle, vous dire une chose un jour, et tout l’inverse le lendemain. Et voir des idiots se perdre dans des concepts plus flous que prévus pour se trouver une identité, c’est pas tellement mon délire. Je dirai « il » pour l’instant.

En tout cas, la provocation l’a fait rire, chose assez rare pour être signalée. Quand j’aborde les gens de cette manière (les trois-quarts du temps), je récolte presque toujours des mines contrariées. Les plus ennuyeux tiennent à me rappeler des règles de bonne conduite, et les autres se sentent obligés de me défier. Partir du principe que ma seule intention est d’engager une discussion ne leur vient jamais à l’idée. Ils préfèrent rétablir leur honneur bafoué, en discourant sur des histoires de respect ou je ne sais trop quoi. En réalité, la plupart de mes interactions sociales débutent pas un conflit. On pourrait se dire que la faute me revient, que ce problème devrait me faire réfléchir, réviser mon attitude… Sans doute. Ce serait pertinent si je tenais à m’entourer d’amis. Voyez-vous, je préfère être seul et libre que piégé dans des conventions sociales totalement absurdes. J’énerve des inconnus qui, sans me connaître, veulent me plier à leur manière d’être… J’applique une sélection rapide. Personne n’a rien à attendre de moi, tant que je n’ai pas évalué mon envie de m’impliquer ou non dans une relation. Au final, Axel contourne à merveille la première épreuve. Je suis même soulagé de ne pas trouver une seule once de tension dans ses propos. Ça me déstabilise presque. Un vieux réflexe me mettait à l’avance au taquet, prêt à contre-attaquer devant une fierté froissée. Mais il répond à la plaisanterie. Il me donne le droit de réagir « normalement » pour une fois, sans agressivité ni formules torturées.

Effrayé ? Je ne vois pas pourquoi. Je me suis plus effrayé en pensant que je n’aurais sans doute jamais été capable de faire la même chose. C’est le genre d’acte militant très fort qui peut te bousiller une vie pendant des années. Mais t’as l’air de bien t’en sortir, c’est cool.

Je lui lance ça sobrement, sans délicatesse particulière. C’est la vérité après tout. J’ai voulu lire ce livre par curiosité et, en passant les pages, je réfléchissais aussi à mon propre cas, j’essayais de m’imaginer dans la même situation, et je n’ai pas trouvé une seule raison pour publier ma vie. Quand le projet dépasse la pulsion narcissique, l’engagement est important, on devient un exemple pour d’autres, c’est un acte généreux. Je peux être beaucoup de choses… Je ne suis pas une personne généreuse. Et, si je ne me suis jamais vraiment caché d’être mutant ou de ne pas avoir une sexualité conventionnelle, j’ai toujours mené ce combat dans mon coin, pour embêter le monde, en oubliant de soutenir plus largement les gens comme moi. Je ne fais pas dans le social, je fais la guerre. Avant de tomber sur le livre d’Axel, c’était, à mes yeux, la position la plus noble. Aujourd’hui, je n’en suis plus aussi certain. Même si ça ne remet pas en cause mon opinion, je suis toujours admiratif des gens capables de mener des combats justes d’une façon qui m’est totalement inaccessible.

Axel me détaille assez intensément. Je ne sais pas si je me fais des idées ou non, mais je me sens un peu mal à l’aise sur l’instant. Quand il me parle de me signer un exemplaire dans sa voiture au moment où je lui donne des indices sur sa mutation, je flippe un peu. J’ai rien contre lui hein. Ceci dit, j’ai pas tellement envie de m’embarquer dans un plan douteux, du genre être vénéré sans raison parce que je lui ai dit que son bouquin était bien. Peut-être qu’il a l’habitude de lever des type mal dans leur peau depuis sa récente célébrité ? Ou peut-être qu’il cherche juste à nous éloigner d’un endroit assez inadapté à ce genre de discussions. Faut vraiment que je me calme niveau paranoïa. Et puis, c’est quoi cette histoire à propos d’un David « enchanté » de rencontrer des mutants ? Un peu trop pris au dépourvu pour sortir une réplique intelligente, je lance une bêtise au hasard, en ouvrant mes mains d’un air perplexe :

- David ? Lequel ?

Et là, soit Axel comprend le trait d’humour débile, soit j’ai définitivement l’air paumé, surtout qu’il me regarde encore plus intensément depuis mon changement de couleur oculaire. Et mince. Il repart avec ses histoires de dédicaces. Je regarde un instant autour de moi, il n’y a plus grand monde, et on risque de parler gêne x et compagnie… Oui, ça semble logique.

- Ok…
Réponse prudente, encore hésitante. Ce n’est pas tout à fait l’impression souhaitée. Donc, je me reprends rapidement, en plaquant un sourire ironique sur mes lèvres.
– Je ne sais pas lequel des deux fera le plus plaisir à l’autre, mais si tu y tiens, j’espère qu’elle sera assez classe pour que je puisse m’en vanter auprès de tes fans !

Je le suis dehors, sans faire signe à mes grands-parents. Ils me retrouveront au banquet de toute manière. Le parking est en retrait, et nous sommes à peu près les seuls à le préférer aux animaux du zoo. Une fois éloigné de la foule, Axel reprend le sujet de la mutation, avec un trait d’humour qui parvient à me faire rire. Je lui tourne un regard devenu turquoise.

- Je suis sûr que tu n’as jamais rien vu d’aussi fascinant, pas vrai ? Ce n’est qu’un aspect de mon pouvoir bien sûr, mais c’est sans doute le plus incroyable !

Retrouver l’extérieur me libère un peu l’esprit. Je n’ai pas vraiment envie de parler en détail de mon pouvoir, je ne connais pas suffisamment l’autre mutant pour savoir si je peux lui confier ce genre de choses sans en avoir la nécessité absolue. Néanmoins, il me donne envie de m’amuser un peu, et je ne supporte plus la chemise blanche qu’on m’a forcée à porter. Sans rien dire, je la change en un débardeur gris clair (vous voyez, je continue de faire un effort) au tissus beaucoup plus léger.
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